Voici deux nouvelles preuves éclatantes de la richesse de la création documentaire sur les planches. Nous avions déjà évoqué la « Radio Live » de Caroline Gillet et Aurélie Charon… Voici deux nouvelles pièces qui s’inspirent du réel pour toucher et interroger leurs spectateurs. Sur deux terrains différents, et féconds, « Vies de papier » et « Une longue peine » s’avancent comme deux rendez-vous incontournables pour les amoureux du genre. Présentation.

Ces Vies de papier sont nées presque par hasard sur un marché de Bruxelles. A la brocante de la place du jeu de Balle, Tommy Laszlo tombe sur un vieil album de photographies en parfait état. Il le feuillette, l’achète, puis le contemple avec le directeur artistique de La bande passante, Benoit Faivre. Derrière les clichés, les deux complices découvrent bientôt de premières énigmes. Le livre renferme en fait la vie d’une femme, née en 1933 en Allemagne, puis partie vivre en Belgique. Un destin a priori singulier, que les deux auteurs décident de remonter en partant sur les traces de cette mystérieuse Christa.

« Pourquoi nos deux artistes se sentent-ils aussitôt liés intimement à l’album ? En quoi le destin de cette immigrée leur rappelle-t-il la trajectoire de leur grand-mère à chacun ? C’est le début d’une vaste enquête. Traversant l’Europe, ils interrogent des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, des généalogistes, leur propre famille…

Les voilà devant nous, sur scène, pour restituer les étapes de cette investigation au long cours. Ils jouent leur propre rôle et manipulent les images de cet album, des vidéos et des cartes géographiques. Surgissent des relations étroites et de surprenantes coïncidences. Peu à peu, apparaît, en pointillés, le portrait d’une inconnue et celui d’une Europe encore balafrée des cicatrices du dernier conflit mondial. Vies de papier rend visible les liens inextricables entre l’histoire intime et l’histoire avec « sa grande Hache » comme disait l’écrivain Georges Perec. Dans ce spectacle, Benoit Faivre et Tommy Laszlo interrogent le processus qui transforme le passé en souvenir : que choisit-on de voir, de garder, d’assumer ou de fuir ? »

Du théâtre documentaire à partir d’objets

L’objet comme document

Benoît Faivre est un « touche à tout ». Il a étudié la musique, le cinéma et le théâtre, puis après avoir créé des bandes son pour le théâtre et la radio, il est devenu metteur en scène et acteur pour le théâtre d’objets. Certains spectateurs se souviendront de Compléments d’objets, où des téléphones, des noyaux d’olive et des clefs de voiture délivraient le souvenir sonore des faits divers dont ils avaient été témoins. Ou de Cockpit Cuisine, hommage cinématographique aux artistes de l’art brut et autres bricoleurs de machines à rêver. Chez Benoît Faivre, qui se reconnait dans les démarches de Roland Shön, Pascal Rome ou Christian Carrignon, l’objet est un document qui permet la rencontre avec l’Autre. Pour la compagnie, les objets sont comme des éponges qu’il convient de lire pour en accueillir les histoires et les possibilités plastiques. Plus que des outils d’illustration, il s’agit de véritables porteurs d’histoires.

Vers une dramaturgie du papier

Avec l’arrivée de Tommy Laszlo, la compagnie a entamé en 2014 un travail de recherche à partir de papiers anciens sauvés de l’oubli : au cours de performances, ils métamorphosent des encyclopédies, des planches botaniques, des cartes postales ou des plans d’architectes pour recréer des décors en volumes révélés par le son, la lumière et la vidéo. Au Fond, Villes de papier et Nos Jardins sont autant de formes singulières nées de la rencontre des deux artistes avec des objets de papier. La démarche artistique de la Bande Passante a pris un nouveau tournant avec la découverte d’une archive personnelle dont l’histoire dépasse la fiction. En créant Vies de papier, Benoît Faivre et Tommy Laszlo nous font voyager plus que jamais dans le temps et la mémoire, réelle ou racontée.

Vies de papier est à découvrir en février au Creusot et à Troyes, en mars à Vandoeuvre-lès-Nancy, en avril à Lunéville, Rhinau et Muntzenheim, en mai à Forbach. Toutes les infos sur le site de La Bande passante.

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Dans un tout autre genre, Une longue peine place le spectateurs face à cinq personnages, cinq personnes qui ont toutes fait l’expérience de la prison. 14 années de détention pour Alain, 35 pour André, 19 pour Eric, 18 pour Louis, et 8 années de parloir pour Annette, sa compagne.

Ces cinq destins, ces cinq histoires ont été recueillies par le metteur en scène et fondateur de La Compagnie des hommes, Didier Ruiz. Il a accompagné ces anciens détenus vers la scène, où ils racontent leurs vies avec leurs mots, leurs émotions, leurs hésitations. Des récits qui touchent, qui bousculent, qui révoltent aussi… qui interrogent chacun sur son fort intérieur et qui questionnement sur le système carcéral en général.

Le processus de création de la pièce Une longue peine a été documenté par Stéphane Mercurio qui en a tiré un film, Après l’ombre, à voir dans les salles françaises à partir du 28 mars prochain. Après A Côté et A l’ombre de la République, la réalisatrice y poursuit son travail autour des prisons (voir ici pour les avant-premières).

Les récits du spectacle sont publiés aux Editions La passe du vent. La pièce sera jouée dans les prochains mois à Béziers, La Norville, Nantes et Paris. Toutes les infos sur le site de La Compagnie des hommes.

 

« Ils sont restés enfermés pendant de nombreuses années. Ils ont vécu dans un autre monde, une autre société, avec d’autres règles. Comment peut-on parler ensuite de ce voyage souvent honteux, souvent tu ?

Ceux que l’on nomme les « longues peines » peuvent nous faire part de cette étrange parenthèse avec leurs mots, leur poésie, leurs émotions. Une longue peine, comment ça se raconte ? C’est étrange, ce mot qui signifie punition et chagrin en même temps.

Il y a ceux qui sont sortis mais il y a aussi ceux qui ont attendu dehors. Les compagnes, les enfants qui racontent leur enfermement à eux. Comment tous ont été emportés par cet abime de la disparition, du passage à l’ombre.

Sortir du silence, donner à entendre, ouvrir des portes, des espaces d’échanges et de réflexion.

Le théâtre est le lieu de la parole. De toutes les paroles. Le théâtre est le lieu du partage. Partageons avec eux. Leur présence sur le plateau, leurs paroles qui résonnent vers les cintres, leur dignité qui illumine le public. Regardons-les en face. Regardons-nous. »

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