Suite de notre exploration du 50ème festival Visions du Réel, à Nyon. C’était il y a quelques semaines, et le film de Sophie Bédard Marcotte « L.A. Tea Time » a manifestement tapé dans l’oeil de Jules Berg. Voilà pourquoi…

L.A. Tea time fait partie de ces films difficiles à arrêter : on y entre et on en sort comme dans un manège. Et ce manège tourne grâce à l’énergie de deux personnages, Sophie et Isabelle, qui décident d’aller rencontrer l’actrice et réalisatrice Miranda July à Los Angeles. Cette intrigue, somme toute assez « légère », est le point de départ d’un film sur le désir d’en faire…

Décrire l’humour des deux héroïnes reviendrait à imaginer que soit adaptée au cinéma la série animée Têtes à claques à partir de l’expérience de deux jeunes femmes. Ajoutez-y seulement une profondeur digne d’un conte philosophique. Car les deux filles vont se servir du prétexte de Miranda July pour questionner et rendre hommage au cinéma qu’elles aiment. Plans découpés méticuleusement, passages soudain au format large (le « scope »), effets spéciaux, incrustations de décors enchantés… Ces effets accompagnent le chemin tortueux et fragile des deux Montréalaises vers Los Angeles.

Et, surtout, ce cadre sans cesse commenté et parodié par les deux personnages donne à la trame une force de commentaire. Comment parler de la difficulté de faire un film, sans vriller dans l’intellectualisme ou l’esthétique « selfie » ? Voilà le pari de L.A. Tea Time.

Tout commence avec un plan scope splendide avalé quelques instant plus tard par un écran de télévision posé dans une galerie d’art de Montréal. Nos deux héroïnes essaient d’y aligner des écrans  sur des murs blancs. D’un plan époustouflant à une télévision pas droite… La culture du cinéma est d’emblée croisée avec le quotidien banal de ces deux jeunes femmes. La caméra semble posée, là, toute seule. On constate alors un des (faux) principes fabuleux du film : tout se passe comme si Isabelle et Sophie n’étaient que deux dans ce grand espace vide, et qu’elles se filmaient, la caméra tournant. En passant, chaque « gros » mot prononcé est couvert d’un bruit de canard, ou de saxophone, ou d’un BIP.

Un générique d’animation fantastique découpe les décors futurs du film à la manière d’un théâtre miniature. La Sonate n°2 en la majeur (op. 2 n°2 : 1.Allegro) de Beethoven et la photo fantastique nous plongent définitivement dans cet univers faussement hollywoodien.

Sophie s’essaie, face caméra, à des lettres de présentation à Miranda July ; elle commence, jette, recommence… Cut. Après quelques hésitations de départ, et la constatation que « le monde est fuckin’ intense en ce moment », Sophie et Isabelle se convainquent que leur jeu léger en vaut quand même la chandelle. La sonate de Beethoven reprend, mais est vite coupée à la radio par le « classique LCD Sound System » : la voix de Robyn. Faute de droits sur la musique de la star suédoise, tout le son de la séquence est coupé. Effroi dans la salle : le projectionniste aurait-il eu un problème ? Heureusement le film déculpabilise l’ouvrier des ombres, et des sous-titres pallient l’impossibilité de diffuser la discussion de Sophie et Isabelle sur fond de Robyn, et rappellent aux spectateurs qu’ils regardent un film fauché, un film « fragile ».

Cheveux dans le cadre, changements de filtres intégrés au tournage, ça y est, on est sur la route. Et heureusement, ce ne sont pas les étapes du voyage vers Los Angeles qui comptent (on commence à connaître la route 66…) ; ce sont les rencontres, les désirs de fabriquer du cinéma et la comédie entre Sophie et Isabelle qui sont au centre de la représentation. Comme ce pilier de bar qui pense détenir le plus ancien panneau de la route 66 (et en est fier). Ou ce manifestant californien qui est déjà sur des projets d’invention de la 5G et d’évolutions des réseaux mobiles. Ou ces couchsurfeurs – familles d’accueil – filmés depuis un bout de leur salon, toujours donnant cette impression que la caméra est juchée là, innocente.

Après tant de rencontres, Sophie finit par croire au surnom que lui avait donné le vieux routier macho qui l’avait appelée « nympho-ringarde ». Mais la jeune femme profite du dernier désert avant L.A pour rendre hommage à Chantal Akerman, et rappeler qu’elle n’a pas traversé les Etats-Unis seulement pour être méprise : « J’y vais sans idées préconçues, et c’est justement là ma plus grande force. J’essaie d’être une éponge, j’essaie d’être dans une sorte d’écoute et de regard flottants » dit la voix surplombante d’Akerman, déesse au-dessus des grands espaces américains qu’elle a filmée dans Sud.

De nouveaux effets spéciaux décalés dessinent une aube aux doigts roses et une cité au loin. Nous voici à Los Angeles ! A peine arrivé, par un travelling arrière « maison » et tremblant, longue focale qui tente de saisir les palmiers et la célèbre pancarte géante d’Hollywood Boulevard, on quitte Hollywood de la manière la moins hollywoodienne.

Retour à Montréal, donc. Hollywood n’était définitivement pas faites pour elles. Hollywood, c’est mort, vive le cinéma !

Jules Berg
L’auteur tient à remercier Aurélien Marsais et Aude Renaud Lorrain.

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