Pour la quatrième année consécutive, Le Blog documentaire et le Master 2 Pro DEMC unissent leurs forces à l’occasion du FIPA. Un partenariat au cours duquel les étudiants sont notamment chargés d’écrire un article sur le festival, sous la forme et le sujet de leur choix. Nous publions les meilleurs d’entre eux. Place donc ici à la réflexion menée par Anne Berets autour de deux films, « Le Choix d’Oleg » et « Salafistes« , qui posent à nouveau cette épineuse question, notamment travaillée par Jean-Louis Comolli : filmer l’ennemi ?
Cette année au FIPA, deux films documentaires ont retenu mon attention car tous deux avaient un but semblable : filmer l’ennemi. Le premier montre des soldats volontaires russes partis se battre en Ukraine pour une cause considérée par la communauté internationale comme une violation des droits fondamentaux ukrainiens. Cette guerre a fait depuis son commencement en 2014 de nombreuses victimes, surtout des civils. Le second film tente pour la première fois d’expliquer avec exactitude en quoi consiste la doctrine salafiste, par le biais d’interviews des chefs religieux de ce courant établis au Mali, en Irak, en Syrie. Au nom d’une idéologie politique ou religieuse, ces deux films montrent une violence quotidienne extrême, perpétrée par des hommes qui en ont conscience et l’assument. Tous deux donnent pour la première fois la parole à des personnes honnies de l’espace médiatique occidental. Mais la différence formelle provoque chez le spectateur des impressions bien différentes. Explications.
Dans le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie, les médias occidentaux accordent bien peu de place aux motivations des volontaires russes qui viennent perdre la vie sur la ligne de front. Le choix d’Oleg, film documentaire de James Keogh et Elena Volochine, vient nous éclairer sur cette réalité trop rarement décrite. Lors de reportages sur la ligne de front en Ukraine, la réalisatrice a rencontré le commandant de bataillon Oleg. Celui-ci, venu combattre aux côtés des indépendantistes ukrainiens, vient du fin fond de la Sibérie. Durant tout le film, une interrogation demeure : pourquoi est-il venu s’enliser dans une guerre qui le concerne si peu ? Que lui apporte ce combat quotidien ?
Le discours idéologique, très présent dans les médias, est ici complètement laissé de côté. Ce qui intéresse les réalisateurs, c’est l’humain derrière le combattant, et non le Russe face à l’Ukrainien. Pour la première fois, le soldat russe n’est pas dépeint comme une brute pétrie d’idéologie mais comme un individu qui se cherche au sein d’une guerre qui a perdu son sens. Le recueil de la parole est au centre du travail des deux réalisateurs. Frôlés à chaque assaut par la mort, le commandant Oleg et le soldat Max prennent conscience du côté vain de cette guerre, dans laquelle ils n’intéressent personne et ne savent plus pourquoi ils se battent. Le bataillon est filmé comme un groupe d’hommes exilés, abandonnés, qui luttent désormais pour rester en vie. La perte des leurs, inexorable, les rend philosophes. Cet égarement est rendu par un traitement formel très intime : les regards se perdent, les gestes sont fébriles, la parole se délie sous le poids d’une culpabilité incomprise.
Mais les personnages ne sont pas non plus des héros. On sent chez eux une agressivité à fleur de peau. Oleg peut se montrer grossier, violent. Malgré cela, on se sent proche des soldats. On désire ardemment qu’ils restent en vie.
Le contre-point n’est jamais loin, tantôt incarné par la mère d’Oleg, tantôt par la caméra qui se meut autour du campement. La mort est bien réelle, et la mère d’Oleg sait que sa peur est partagée par les mères ukrainiennes, que la douleur du deuil est universelle. On n’oublie également pas qu’Oleg est avant tout venu ici pour combattre. Avec le soldat Max, ils partagent cette fascination pour le danger, l’excitation de l’assaut. Cette adrénaline leur fait apparaître leur vie d’avant comme fade et dépourvue de sens. Ici, le sens aussi a disparu, mais il reste les exigences du quotidien : garder ses hommes en vie, vivre avec ses blessures, parvenir encore à dormir. Parfois, les assauts apparaissent comme un jeu : Oleg et ses soldats s’esclaffent, courent, se bousculent, rentrent dans leurs « pénates » soulagés d’être encore en vie, avant de repartir.
Le documentaire Salafistes, de François Margolin et Lemine Ould M. Salem, filme lui aussi l’ennemi qui donne aveuglément la mort au nom d’une idéologie. Qui lui aussi mène une guerre sans fin, à une « proie » à la fois clairement identifiée et mouvante. Là aussi, les deux réalisateurs désirent montrer une réalité peu représentée dans les médias : expliquer l’idéologie salafiste, sans garde-fous ou filtres occidentaux. Donner la parole aux penseurs de cette mouvance permet d’être confronté à l’ampleur des idées véhiculées. Le film s’articule en deux temps : interviews d’intellectuels salafistes reconnus par leur communauté et vidéos de propagande de l’Etat Islamique ayant pour rôle d’être l’illustration des interviews menées.
Dans ce film, on reste très extérieur aux propos et aux individus : ils sont vus comme vecteurs de la parole et d’une pensée. Le format adopté laisse un grand pouvoir aux mots, et à un discours parfaitement construit par des personnes éduquées. Le cheikh Oumar Ould Hamaha ou ce jeune imam de Nouakchott connaissent très bien leur sujet, le prêchant tous les vendredis. Cette aisance à l’oral, l’absence d’hésitation ou de silences donnent au film un caractère de reportage – présenté comme tel au FIPA – qui ne laisse pas beaucoup de place au téléspectateur.
Seuls les bédouins, habitant dans les environs de Tombouktou où un citadin s’interroge sur la l’interdiction de la musique par la charia, semblent être des personnages à part entière. L’identification aux personnes interrogées est donc minimale, en particulier à cause du format utilisé : l’interview renforce le sentiment d’altérité, le spectateur se sent extérieur au dispositif.
Aussi, le film se veut choquant. Les discours le sont, à travers l’absence de remords ou d’interrogations face au terrorisme, la place de la femme dans la société ou la « nature » de l’homosexualité par exemple. Les images le sont aussi puisqu’elles montrent des scènes d’une rare violence. Les fusillades sur l’autoroute, en particulier, laissent perplexe : qui sont ces personnes poursuivies ? Qu’est-ce qui dans la charia justifie ces actes ; ne sont-ils pas plutôt justifiés par la nature d’un pays en guerre qui tente de régler ses comptes avec le passé ?
Ce film tente de comprendre un discours, et non les personnes qui l’incarnent, à l’inverse du Choix d’Oleg qui met l’humain en avant et délaisse l’idéologie. Les deux films ont donc leurs écueils. Je suis sortie très émue du film sur Oleg, héros tragique d’un destin qui le dépasse. Mais après l’émotion, c’est l’agacement qui m’a saisie. En effet, en discutant avec les réalisateurs, on découvre qu’ils ont omis sciemment plusieurs scènes : celles où les soldats discourent sur l’idéologie du régime de Poutine, raison pour laquelle ils sont venus en Ukraine. Leur violence est elle aussi minimisée : ainsi, le prisonnier ukrainien est présenté comme bien traité par les soldats russes qui lui donnent à manger, lui parlent avec douceur. En réalité, il a été tabassé trois jours et privé de nourriture. Les réalisateurs ont eu du mal à garder de la distance avec leurs personnages, certes attachants mais volontairement criminels. Ils omettent alors une part de leur personnalité – légitime dans un contexte aussi extrême – qui rendrait véritablement compte de la réalité.
A l’inverse, Salafistes agace par sa froideur. Si ce n’est un cours magistral – et violent – sur le salafisme, que nous apprend ce film ? Le coréalisateur François Margolin assure que c’est la première fois que l’on nous montre le véritable visage du salafisme. Mais qui ne sait pas que les voleurs ont la main coupée, que les adultères sont passibles de lapidation, que les homosexuels sont tués ? On nous montre des hommes instruits, qui énoncent froidement des discours terribles. La question n’est finalement plus de savoir ce qu’ils pensent, mais pourquoi ils le pensent. La distance des réalisateurs est trop grande face à ceux qu’ils interrogent, tels des singes dans des zoos, et trop faible quant à l’utilisation d’images très violentes pour montrer l’application de ces discours au quotidien, que nous connaissons.
Ces deux traitements posent donc la question de la distance lorsqu’on filme l’ennemi. La trop grande empathie trompe le téléspectateur : l’ennemi-bourreau devient ami, confident, victime. A l’inverse, une trop grande distance donne l’impression de ne pas voir un film cinématographique mais une démonstration professorale.
Peut-être est-ce quelque peu provocateur, mais j’attends désormais un troisième film qui réunirait les deux précédents : s’approcher au plus près d’un salafiste convaincu, et le voir peu à peu douter, s’interroger sur le sens du monde et sur l’époque dans laquelle on vit. Loin des clichés, et loin des images nauséabondes de l’Etat Islamique qui abondent dans nos médias.
Anne Berets
Plus loin…
– Filmer l’ennemi, Images documentaires n°23, 4ème trimestre 1995
– Entretien avec Jean-Louis Comolli, Rue Descartes n° 53, 2006 (cairn.info)
– « L’expérience Blocher » : entretien avec Jean-Stéphane Bron (Le Blog documentaire)
Cette femme est une énorme menteuse, c’est une Russophobe avérée dans toutes ses interventions.
Voici comment elle bidonne ses reportages: https://www.youtube.com/watch?v=rehlck9PLb8
A vomir