Certes, visionner un film documentaire allongé sur son canapé, seul chez soi, dans la solitude du cinéphile, crâne bien calé par la douceur d’un oreiller, tête rehaussée pour s’offrir la meilleure vue possible sur son petit écran d’ordinateur portable, engoncé pleinement dans la « civilisation du cocon » décrite si bien par Vincent Cocquebert (éditions Arkhê, 2021), ce mode de visionnage là peut nous offrir aussi de beaux vertiges cinématographiques. Ce fût le cas, chacun mettra dans cette case à souvenirs l’œuvre qu’il a en tête, et c’est encore le cas. Oui, même replié sur soi à baisser les yeux sur une petite fenêtre d’images animées par le réel, on peut nous amener loin. Certes.

Et puis il y a des festivals comme celui des Yeux Ouverts dont la cinquième édition était organisée en ce début d’été 2022 par le collectif Lundi soir.

Le Blog documentaire a bien des points communs avec les membres fondateurs de cette petite assemblée de passionné-e-s de cinéma documentaire. Pour la plupart, nous sommes passés par le master 2 pro « Le Documentaire : Ecritures du Monde Contemporain » de Paris 7-Denis Diderot, à dix ans d’intervalle ; nous avions ici évoqué la 3ème édition du festival en 2019  ; et nous avions participé à une table ronde en 2021 sur le thème de « la parole autour du documentaire« . Inutile de dire, donc, que nous nous sentons en communion avec la passion qui anime ce collectif. Cet article ressemble alors à une accolade amicale mais aussi à un chapeau bas à l’audace concrète et vivifiante d’un petit groupe d’amateurs de documentaires qui ne se résignent pas à voir la solitude du cinéphile arrimé à son petit écran devenir la norme. Rencontres collectives sur place.

Et sur place, c’est le Sample à Bagnolet. C’est ici cette année que les festivités audiovisuelles et sonores ont fait entendre leur cœur battant du 30 juin au 3 juillet. à l’instar de la Belle-de-Mai à Marseille (une ancienne manufacture de tabacs), de l’Anis Gras à Arcueil (une ancienne distillerie de liqueurs), des Pêcheries de Fécamp (une ancienne sécherie de morue) ou encore du 104 à Paris (l’ancien service municipal parisien des pompes funèbres), on est à nouveau dans de l’ancien réhabilité qui résonne. Une nouvelle friche rappelant, à qui veut bien le voir, pour s’en réjouir ou le déplorer, au choix, un passé industriel autrefois réellement existant, avant que la mondialisation libérale l’emporte dans des territoires à bas salaires et à faibles protections sociales. Le Sample d’antan, c’était le domaine de l’entreprise Publison, un lieu où se fabriquaient des consoles de mixage, entre autres objets techniques d’enregistrement sonore et d’édition musicale. C’est aujourd’hui ce que l’on nomme un tiers-lieu à vocation artistique et festive, à la programmation pluridisciplinaire. Et qui finalement pour quelques jours, avec ce festival, accueillit un tant soit peu de son aura d’hier à travers la création sonore qui y fût programmée.

Ce qui était au programme des 4 jours des Yeux ouverts #5 est ici.

Propos choisis et recueillis par Benjamin Genissel.

Le Sample à Bagnolet (93)

Irène Oger (co-fondatrice de Lundi soir ; travaille aujourd’hui pour la branche distribution de Météore films) : « Au départ on est une bande de copains ayant fait les mêmes études. Et on s’est unis dans un collectif. Ce que l’on a fait d’abord, c’est de monter des ateliers d’écriture pour les jeunes auteurs documentaristes car ils éprouvent souvent pas mal de solitude dans l’écriture de leur projet de film. On a voulu mettre en partage la petite compétence que nous avions acquise dans l’élaboration de dossiers. On a pu ainsi accompagner, en binôme et avec un rendez-vous hebdomadaire, les différentes étapes d’écriture de docs sur toute une année, par exemple. On a depuis revu notre formule d’accompagnement pour en faire un rendez-vous mensuel, chaque premier lundi du mois. Cela marche très bien, il y a beaucoup de demandes car ça répond à un besoin, à un manque. On a envie de monter des résidences d’écriture désormais, en partenariat avec des lieux d’accueil de documentaristes. »

« On a appelé notre collectif « Lundi soir » pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un lundi soir que durant notre année de Master, on a festoyé et senti une fusion amicale entre nous. Et puis c’était aussi un petit clin d’œil au fait que le lundi soir, c’est le début de la semaine, qu’on reste souvent chez soi, pantoufles-canapé, alors que là on proclame : « Eh bien non, dès le lundi soir, sors de chez toi et viens voir un documentaire ! ». Il y a aussi le lien entre le lundi et la lune, ce qui fait qu’on a adopté un logo lié à la lune : on aimait bien cette image d’évasion poétique. »

« Et puis très vite, avec deux autres initiatrices de Lundi soir, Laurine Carton et Lila Fourchard, on a eu envie de créer un festival. On s’est lancé en 2016 afin d’organiser notre première édition l’année suivante. J’avais beau avoir été bénévole à Lussas, aux Rencontres Périphérie au Méliès à Montreuil ou au Réel, on était novices en la matière, on a appris en faisant. Chaque année, on s’améliore. L’idée de base c’était d’offrir un espace de diffusion à des œuvres peu montrées, peu diffusées. Et de parler de « rencontres » plutôt que de « festival ». Le choix des mots est important. Et bien sûr, on est dans le non-compétitif. Et puis dès le départ, on voulait d’emblée s’associer à des lieux alternatifs, des lieux vivants, hors des circuits classiques de diffusion. Notre liberté est choisie. On reste autofinancés pour le moment. Le prix d’entrée est libre. L’idée, c’était que ça bouge, que ça vive. Et c’est toujours le cas. » 

« Il y a d’autres festivals, d’autres moyens de se rassembler quand on fait du cinéma documentaire. Il y a des événements-phare comme Cinéma du Réel, ou comme Lussas. Nous, on s’adresse depuis le début à la jeune création. Une de nos premières tables rondes était : « Un état généreux pour la jeune création documentaire ? ». On reste dans cette volonté de rassembler les jeunes professionnels. Autant avec notre festival annuel, qu’on espère être une sorte de balise pour ces derniers, mais aussi tout au long de l’année, dans la durée. Chaque année, il y a de plus en plus de films qui sont envoyés à notre appel à films. Et quand on voit la bonne réaction des bénévoles externes qui nous rejoignent, on sait qu’on offre un espace de rassemblement, un lieu pour résister à nos solitudes. »

Irène Oger et Ferdinand Fassot inaugurent le festival.

Ferdinand Fassot (co-fondateur de Lundi soir et producteur associé à la maison de production Rue de la sardine) : « Mon parcours vers le cinéma documentaire est un peu atypique. J’étais ingénieur à la base. J’ai terminé ma formation et je n’ai pas voulu travailler dans ce domaine. J’avais en parallèle une passion pour le cinéma qui m’avait été transmise par ma famille. Je voulais reprendre mes études, je cherchais des sujets divers, des thématiques qui balaient large, du social, de la politique, de l’histoire. En intégrant le Master 2 pro DEMC, j’ai fait la jonction des deux, mon appétence pour le cinéma et ma curiosité pour des « sujets » – même si ce terme n’est pas très beau. Année très forte. J’ai fait un stage en production chez Agat films, ce qui m’a permis de changer l’image négative que j’avais au départ du métier de producteur car de rencontre en rencontre, ça m’a plu, j’ai réalisé combien ce rôle-là pouvait être très intéressant. »

« Avant de suivre la formation du Master 2, je me disais que j’avais une bonne culture cinématographique ; je connaissais mes classiques, quoi. Mais en préparant l’examen d’entrée et surtout pendant l’année, j’ai visionné plein de films documentaires et là j’ai eu la sensation étrange de découvrir une sorte de cinématographie parallèle. J’ai fait connaissance avec des réalisateurs très importants dans l’Histoire du documentaire, alors que je ne les connaissais pas. Chris Marker par exemple. Je ne le connaissais pas du tout avant puis j’ai vu Le Joli Mai et là j’ai compris : « Ah c’est vraiment ça, le documentaire », et pas l’image basée sur des « sujets », un peu télévisuelle, que je m’en étais faite auparavant. J’ai découvert des artistes, en fait. »

Laïs Decaster (réalisatrice de J’suis pas malheureuse, un des deux courts métrages que Le Blog documentaire avait décidé de distinguer au FIDE 2019, et de Elles allaient danser, cette année venue présenter Soirée Mousse) : « Ce dernier film a des liens de continuité avec J’suis pas malheureuse. Dans le premier, je filmais mes amies et dans celui-ci c’est ma petite sœur que j’ai filmée. Uniquement dans son bain, durant le premier confinement. Elle m’y a raconté son rapport à la vie amoureuse, à la séduction, à ce qui se passe ou pas, à l’ennui aussi. C’est quelqu’un que je filme souvent, avec qui j’ai une relation de sœur mais aussi de réalisatrice avec ma caméra, caméra qui est installée entre nous deux. Ce film tient du portrait. Et à nouveau c’est le portrait de quelqu’un qui m’est proche. Car c’est généralement avec des gens proches de moi que je peux parvenir à raconter l’intimité. »

« Je suivais un peu sur les réseaux le collectif Lundi soir mais je n’étais jamais venue aux Yeux Ouverts. C’est génial comme endroit, je suis super contente d’être là. J’aime bien discuter après les projections, en public ou en petit comité, j’aime bien avoir la réaction immédiate des spectateurs. Ce n’est jamais facile de dire tout haut ce que l’on pense dans une salle, moi-même comme spectatrice je ne prends jamais la parole en public, mais on a toujours la possibilité de discuter dans un lien direct avec la personne. Cela paraît propice ici, car le lieu est très chaleureux. Et puis ce qui est bien quand on vient présenter un court-métrage en festival, c’est qu’on en voit d’autres dans une même séance, ça rajoute un bonus inestimable, toujours enrichissant. C’est souvent des univers différents, avec des jeunes qui racontent leur ressenti, leur problématique, dans des premiers jets, des expressions qu’on retrouve moins par la suite. C’est un peu comme découvrir les premiers courts de cinéastes confirmés, renommés, qui sont souvent exceptionnels, vifs, et qui sont toujours intéressants d’aller revoir. »    

Le Sample, côté cour.

Giulia Montineri (membre de Lundi soir et réalisatrice) : « J’ai assez vite eu l’intuition que je voulais faire du cinéma, même si ce n’était pas forcément tranché. En tout cas, oui, à l’adolescence, je me disais que j’allais essayer de faire des films. Mes premiers essais, sans formation, étaient fictionnels, mais le documentaire m’a rattrapée par l’envie de creuser des questions intimes, politiques, profondes, et cela de manière un peu plus risquée. Davantage dans la confrontation. »

« Organiser un festival, c’est la joie de se retrouver, de se rencontrer. La vivacité des échanges, après les projections ou pendant les ateliers, que l’on voit, que l’on ressent, confirment cette envie. C’est autre chose qui se passe quand on regarde les films ensemble. »

Phane Montet (membre de Lundi soir, bénévole au festival, réalisatrice et co-créatrice du podcast Cinéphiles de notre temps) : « Avant de rentrer dans une formation de concepteur audiovisuel à l’INA, je ne connaissais pas le cinéma documentaire. J’avais dû voir 4 films documentaires en tout dans ma vie, j’étais très loin de ce genre. En fait, je regardais surtout des docs sur YouTube, qui est une autre manière de diffuser et de voir des films. Des vlogs donc. Qui sont encore autre chose que le documentaire télé ou de création. Et c’est vraiment pendant mon Master que j’ai découvert le cinéma documentaire. Et ce qui m’a plu c’est qu’il y a une sorte de facilité quand on veut réaliser des films, même si c’est peut-être une fausse idée : prendre une caméra et aller s’attacher à quelque chose qui nous intéresse. Et puis, ce sont souvent des gens, les cinéastes documentaristes, qui se posent plein de questions, sur l’éthique, qui s’attachent à des sujets qui permettent de mieux comprendre notre société. Et enfin, c’est comme rentrer dans une communauté, on rencontre ses pairs, on reconstitue une autre famille et c’est chouette aussi. »

Phane Montet

Irène Oger « Chaque année, la durée du festival s’allonge d’un jour. On prend de l’ampleur dans la durée. Cette année, il dure 4 jours. Plus on a du temps, plus on évite de trop condenser les plages de projection, d’aérer le programme. Cela permet aussi de diffuser deux fois chaque film, ce qui offre une chance supplémentaire aux spectateurs de les voir. Les documentaires sonores ne sont diffusés qu’une seule fois mais sont en écoute libre dans la sonothèque. On organise pour la première fois une soirée de concerts. Le lieu s’y prête, le jardin est grand, et puis ça faisait longtemps qu’on avait envie d’un moment festif, dédié à la musique. »

« Comme on n’a pas le budget pour pouvoir payer des sessions de droits, on mise beaucoup sur l’accueil. On essaye d’offrir le meilleur accueil possible aux invités, aux cinéastes comme à nos partenaires afin qu’ils ou elles se sentent bien. On offre le défraiement, les coupons boisson et repas, c’est la base mais on soigne aussi le rapport humain dans notre accueil. On compense ainsi mais on se démarque aussi par ça. »

« Cette année, on a choisit comme marraines Laure Portier et Camille Juzeau. Choisir qui va nous « parrainer » résulte toujours d’une discussion en interne, au sein du collectif. On a à cœur de choisir des auteurs qui n’ont pas encore une renommée médiatique mais dont le talent est évident. Des auteurs qui réinventent des formes, qui ont un ancrage contemporain, dont la jeune création peut se sentir proche. La plupart d’entre nous a été bouleversée par Soy libre de Laure Portier, c’est pourquoi on projette son premier film, Dans l’oeil du chien (2018). On essaye toujours d’impliquer nos parrains et marraines dans notre programmation, de les laisser s’exprimer, de nouer des rencontres avec le public. Camille Juzeau est la marraine du pan « créations sonores » de notre festival ; elle est très généreuse, elle est dans une volonté de transmettre, on diffuse le dernier épisode de sa série de podcasts L’insomniaque en plein air. Avec elles, on a envie de fraîcheur. »

« Quand on parle de documentaire, à Lundi soir on parle de cinéma. Le documentaire qui frôle la fiction, on adore. C’est un cinéma du réel qui nous occupe, mais on ne veut pas être bornés stricto sensu à une seule définition rigide du documentaire. L’appel à films de notre festival n’a jamais de thématique. On ne cherche pas des œuvres qui parlent de tel ou tel sujet car ça enferme, ça. Bien sûr, dans notre programme de projections, on peut rassembler des films qui ont des points communs, afin d’offrir des séances assez cohérentes. On peut aimer un cinéma social, engagé, mais on n’en fait pas non plus un totem. On choisit des films pour leur poésie pure, parfois. »

Nicolas Marilleau trio

Olivier Duval (réalisateur venu présenter Bègue (35′, 2019)) : « Je connaissais le festival car je suis venu présenter Et j’ai voulu mettre mon père dans une camionnette qui y fût sélectionné en 2019. Les festivals sont importants pour les documentaristes car leurs films sont systématiquement moins vus que les fictions. Surtout les festivals comme celui-ci ou comme Lussas, spécifiquement consacrés à ce genre. Car c’est un genre un peu ingrat : il y a moins d’argent, moins de visibilité. Des festivals de documentaires, ça a du sens. Même si mes films se situent un peu entre les deux car ils sont portés par une écriture de fiction mais avec une réalisation de documentaire. Ils sont très structurés, disons. Ou alors trop (rire). Ou bien pas assez (rire à nouveau). En tout cas, les festivals viennent rompre avec le côté très solitaire de notre métier. On écrit des dossiers, on cherche des financements en permanence, alors voir des gens, et voir des gens qui voient nos films, c’est super. C’est pas simple de faire des films, c’est un vrai combat. Donc être là c’est chouette. »

Laure Bioulès (membre de Lundi soir, travaille par ailleurs pour des festivals documentaires à Bruxelles) : « Quand les membres fondateurs de Lundi soir étaient en master DEMC ensemble, moi j’étais en Master 1 dans la même université. J’en connaissais quelques-uns et progressivement j’ai un peu suivi leurs cours. Je me suis un peu « incrustée », oui. C’est pendant mes études que j’ai vraiment formulé mon goût pour le cinéma documentaire. Son côté plus « brut » m’a complètement happé. Je crois que j’en avais marre d’intellectualiser à tout-va à la fac, je voulais revenir à une forme immédiate. Filmer les gens qui nous entourent peut être aussi fort que de mettre en scène de la fiction. Je me suis dit que je n’avais pas forcément besoin d’écrire des scénarios mais que je pouvais filmer ce qui m’entourait car tout ce qui m’entourait pouvait être tout aussi beau et passionnant que ce que j’aurais pu écrire. »

« Ce que l’on essaye de faire émerger dans le festival, c’est la jeune création documentaire. C’est un cinéma très varié, je ne sais pas s’il y a des « tendances » prononcées mais on voit qu’il y a parfois des sortes de « mode » dans la forme des films. C’est lié à la démocratisation des outils de tournage, au fait de réaliser pour très peu cher, de pouvoir filmer avec un téléphone portable ou d’enregistrer le son avec un enregistreur audio bon marché. Il y a aussi des modes d’écriture qui reviennent d’un film à l’autre. Ce qui n’est pas si illogique, les jeunes cinéastes sont influencés par leur époque, l’accélération de la technologie, les réseaux sociaux, des sujets importants qui caractérisent leur temps. C’est très bien, selon moi, car c’est important de renouveler les formes le plus possible. »

Lila Fourchard (co-fondatrice de Lundi soir, coordinatrice de l’organisation du festival, a travaillé à ADDOC et à Périphérie et est réalisatrice): « J’avais fait option Cinéma au lycée mais à l’université j’ai étudié l’Histoire, la sociologie et l’anthropologie. La méthodologie pour aborder le réel en sociologie m’a semblé un peu déprimante, un peu trop dure. Elle me pesait un peu. Alors j’ai fini par raccrocher avec le cinéma en intégrant le Master 2 DEMC, et notamment avec le cinéma documentaire qui m’a paru un beau biais pour raconter l’Histoire et la société, un moyen plus poétique et personnel pour y parvenir. Je me souviens d’un cours à l’EHESS de Cécile Boëx qui m’a vraiment convaincue de la pertinence du cinéma documentaire, elle nous avait montré plein de films, c’était passionnant, ça m’avait donné envie. »

« Le collectif est né pour s’entraider. Notamment pendant les cours d’écriture de projets documentaires menés par Jean-Pierre Krief. On se faisait des retours en petits groupes sur des idées de films et il y a vraiment eu une énergie entre nous. Lundi soir, c’était la volonté de maintenir cette énergie et rester ensemble. Créer un festival, c’est aussi de la création d’énergie. Un festival, une fois qu’on pose les dates, ça porte. On était d’abord en interne et avec le festival, l’idée c’était d’ouvrir notre cercle, d’aller encore plus vers les autres, de se mettre en contact, en réseau. Un festival, c’est aussi mettre en valeur des œuvres, et surtout des œuvres faites par des gens qui nous ressemblaient, c’est-à-dire la jeune création. »

Charlotte Ballet-Baz (membre de Lundi soir, bénévole aux Yeux ouverts et réalisatrice) : « Dès mon enfance, j’ai voulu faire du journalisme, du grand reportage, donc c’est vers cette voie que je me suis orientée. En attendant de passer les concours de Sciences-Po pour effectuer un Master en journalisme, j’ai écrit un mémoire sur les grands reporters. Les liens qu’ils avaient avec leur sujet, les personnes qu’ils rencontraient. Et en fait, je me suis rendu compte qu’ils n’avaient pas le lien que moi j’espérais. Qu’il n’y avait pas le temps pour eux de l’établir, avec les commandes, avec la rapidité de livraison des sujets. Donc j’ai réalisé que c’était du documentaire que je voulais faire, avoir le temps avec ses personnages, pouvoir aborder l’intime. J’ai gardé ça en tête, et après Sciences-Po je suis entrée dans un Master de réalisation documentaire avec l’INA. Vraiment j’adore le cinéma documentaire, je ne veux pas faire autre chose. »

« Quand on va dans un festival, on y va souvent pour une raison, mais il se passe plein de choses autour, donc forcément ça développe une certaine curiosité. Une plateforme de visionnage de films en ligne peut fonctionner de la même manière mais la grande différence c’est que l’on n’est pas là, présentement, on n’est pas dans un espace-temps défini. Ici, on est vraiment dans un espace-temps défini. Nos séances d’écoute de documentaires sonores sont tout aussi remplies que les projections de documentaires audiovisuelles, alors que peut-être les festivaliers ne venaient pas forcément pour y assister. C’est l’effet d’être pour de vrai dans un lieu bien réel. »

Projection de « Bègue » d’Olivier Duval

Ferdinand Fassot : « Avant de lancer la première édition du festival, on ne savait pas du tout ce que ça pouvait donner. On a lancé un appel à films, on n’avait aucune idée de combien d’œuvres on allait recevoir, entre 4 et 400, on penchait plutôt pour 4, c’est dire ! En fait, on en a reçu plus que ce que l’on pensait. On s’est rendu compte combien le cinéma documentaire était très mouvant, et qu’il se faisait souvent avec peu de moyens, ce qui allait très bien avec notre festival. On a réalisé qu’il y avait beaucoup de cinéastes qui avaient plein de choses à dire, qui avaient un regard, mais dont les films étaient très peu vus. En documentaire, il y a toujours une liberté qui est rafraîchissante. Et même si c’est un festival de plus, il n’y a jamais trop de festivals. »

« La question de la numérisation du cinéma, de son visionnage sur petit écran, de la distance qu’il induit, est là depuis longtemps. Mais elle a connu une accélération ces dernières années. Quand on a lancé le festival, c’était simplement l’envie de se retrouver. De montrer que le documentaire peut toucher plus de gens qu’on ne le croit. On essaye d’être le plus rassembleur et inclusif possible, même si ce n’est pas toujours facile. Je sais qu’il y a des spectateurs qui n’étaient pas du tout dans le documentaire, pas du tout dans cet « autre » cinéma alternatif, et qui sont sortis de projections ici en disant : « c’est super ce que l’on a vu ». Et là, c’est comme une petite victoire pour nous ce type de réactions. Avec la pandémie de Covid, oui, finalement, organiser un festival « physique » est presque devenu une manière pour nous de réaffirmer notre envie d’un cinéma vu en commun. »

Marius Belmeguenai, Ana Sauque et Orianne Philippozzi du Club rotule (collectif de scénographes issus de l’école d’architecture de Belleville qui a conçu l’identité visuelle du festival, collectif comptant également Johanna Dubois et Alicia Mineaud) : « On est tous dans le même Master et c’est Lila Fourchard qui a proposé que nous coopérions avec Lundi soir sur cette nouvelle édition du festival. En partant de ce qu’est la philosophie et les valeurs du festival, en fonction aussi de l’esthétique qui avait été celle des éditions précédentes, on a travaillé avec l’équipe organisatrice. On a utilisé du matériau de réemploi, comme les tissus qu’on a récupérés ou comme les assises, dans une économie de moyens qui est en phase avec l’esprit du festival mais aussi du Sample. C’est pourquoi on trouve dans la salle d’écoute collective des créations sonores mais aussi dans la sonothèque des assises de différents formats pour permettre à l’auditeur de se sentir bien, à son aise. Ces assises ont été détournées de leur utilisation d’origine car elles étaient auparavant des morceaux d’une grande arche ayant servi au décor d’un plateau de théâtre. On les a revêtues d’un textile découpé depuis un rouleau que l’on a récupéré à la Réserve des arts à Pantin, un textile super extensible et très doux. Ce textile est généralement orange pour être en phase avec la couleur choisie pour l’affiche et les programmes cette année, mais il y a aussi des couleurs voisines, le rose, le rose pêche. Et comme c’est de la récup’, on peut aussi lui redonner une seconde vie. On a également posé des tapis de moquette au sol avec des formes plus organiques qu’au départ, selon les mêmes objectifs. Dans des salles plutôt froides, faites avec du béton, l’idée c’était d’apporter une ambiance colorée. Les retours sont positifs, autant de la part des organisateurs que des auditeurs. »

Jacques Sorrentini Zibjan (réalisateur, venu présenter ici Temps conté (2020, 17′), film d’étude réalisé pendant le Master de Lussas) : « Mon film est basé sur les témoignages de retraités qui expliquent en off ce qu’ils ressentent dans leur vie maintenant qu’ils sont à la retraite, et quel était leur rapport à leur vie professionnelle. Et à l’image, on a une proposition visuelle très différente : l’évolution d’une grande piscine de baignade qui se prépare à être remise en route pour accueillir des nageurs. A part à Lussas, c’est la première fois que ce court-métrage est projeté devant des gens en vrai, donc c’est cool. Et puis c’est toujours super de proposer des séances où plusieurs films se répondent entre eux. Je suis très impressionné par le courage et la volonté des organisateurs et organisatrices, que je trouve admirables. C’est un bel endroit, je suis heureux d’être là, de pouvoir prendre l’air entre deux séances. Et puis j’ai toujours aimé aller en festivals, surtout au FID car je suis de Marseille. ça permet de pouvoir faire connaissance avec des formes très différentes. »

Lila Fourchard : « En définitive, il me semble bien que ce que nous mettons en place avec Lundi soir, ça marche ; que nos principes de départ avec ce festival, avec nos ateliers d’écriture, se sont concrétisés dans les faits. Vraiment. Ce qui me fait dire ça, c’est qu’au départ le collectif était restreint et il s’agrandit au fil des ans. C’est l’effet du festival. L’entraide continue de se créer avec d’autres. Les réalisateurs nous font de bons retours. Notamment sur l’aspect convivial du festival. » 

« Nous fonctionnons avec l’énergie du bénévolat puisqu’il n’y a pas de salariés dans l’association. On n’engrange aucun bénéfice. On n’a pas non plus encore obtenu de subventions. C’est à la fois très chouette car ça contribue à maintenir l’esprit du collectif, un esprit au fonctionnement horizontal. Là, c’est plutôt « Qui peut, s’investit » et on fait ensuite les choses ensemble. Il n’y a pas de C.A., de bureau, qui donne des ordres. Mais le pendant un peu négatif, c’est que c’est parfois difficile de garder cette flamme de la « mobilisation de nous-mêmes » pour l’organisation d’un festival qui se prépare bien en amont, qui demande beaucoup de travail, qui oblige parfois à mettre de côté des activités professionnelles. L’avenir du festival dépend aussi de l’aide extérieure que nous pourrons avoir. Cela rendrait notre avenir un peu moins fragile et stimulerait encore plus notre envie de continuer. Car vraiment, les retours que l’on a sont toujours très bons, très chaleureux. »

*

Effectivement, après suivi cette édition 2022, Le Blog documentaire ne peut que confirmer ces derniers mots recueillis. Et conclure sur deux éléments : d’abord, sur cette accolade amicale à Lundi soir, qui est très sincère. Mais aussi sur cette petite impression qui toujours nous étreint après avoir été immergé au cœur d’une séance de projection dans le cadre d’un festival : impression quasi sensorielle, devenue familière, qui nous envahit à la sortie, en regagnant l’air extérieur, au moment de cligner des yeux. Cette étrangeté de regagner le réel, ce que l’on croit être le vrai réel, après avoir pourtant visionné des films dits du « réel ». Ce délicieux paradoxe de ne plus bien savoir désormais, de celui qui provenait de l’écran regardé ou de celui de notre quotidien retrouvé, lequel possède finalement le plus de « réalité ». Sentiment flottant oui, et agréable, mais certitude évidente que l’on a bien fait d’être venu jusqu’à ce festival se couper un instant du monde – puisque c’est à chaque fois pour mieux le regarder.

Benjamin Genissel

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