Chasse à l’homme dans la France sarkozyste ! Le nouveau film d’Olivier Azam, « La Cigale, le corbeau et les poulets », revient sur la mystérieuse « Cellule 34 » qui avait menacé le président de la République d’avant. Au cœur du Haut-Languedoc, ce faits divers qui aurait pu connaître une fin dramatique en devient truculent grâce à ses personnages. Une fable attachante au parfum de Groland, et parfois à peine croyable… En salles ce mercredi 18 janvier.

arton896-e8d18Ils sont une petite dizaine, ils habitent une ville de 2.200 âmes a priori anodine, nichée au commencement du Haut-Languedoc et, pour toute singularité, ils exercent parfois leur droit d’être citoyens à part entière. Tantôt lanceurs d’alerte sur un enjeu de politique locale, tantôt Sancho Panza luttant contre le c’est-comme-ça et le on-n’y-peut-rien. C’est bien pourtant à Saint-Pons-de-Thomières, dans ce contexte semi-rural peuplé de militants du quotidien que la France, prise en otage d’un sarkzoysme zélé, a cru y déceler un péril tel qu’il méritait le déploiement d’une escouade de forces de l’ordre, à la recherche d’un mystérieux corbeau.

L’histoire relevait de l’affront : un individu s’amusait à menacer des membres de la Sarkozie alors aux affaires en leur envoyant des missives contenant des balles de revolver. Il n’en fallait pas davantage pour que, tous soupçons dehors, « l’événement » ne serve à l’emballage médiatique et aux interpellations de tous poils. Quelques activistes gauchistes feraient assurément partie du lot. Pourtant peu enclins à un mode de vie « suspect » (dans la bande, on trouve un dentiste, un plombier ou un principal de collège à la retraite), le groupe de Saint-Pons n’en était pas moins visé, selon la logique qui prévaudrait quelques années plus tard dans la traque de certains opposants : après tout, le militantisme ne pourrait-il pas mener au terrorisme, à l’instar des militants écologistes facilement insultés en djihadistes verts ? Toujours est-il qu’après quelques sirènes hurlantes et des coups de pied matinaux dans les portes, le pot-au-rose avait fait chou blanc. Les activistes de Saint-Pons-de-Thomières n’étaient que des activistes…

Farce

C’est autour de cette conclusion en forme de flop policier qu’Olivier Azam structure son récit. Chapitré comme une fable, le film met d’abord à l’honneur les protagonistes de l’affaire, filmés face caméra, dans la dynamique d’un faux suspense autour la résolution du pataquès. La séquence, montée comme un récit en écho des différentes interpellations, vaut principalement pour la gouaille de cette tribu d’énergumènes. Séquence presque pittoresque où chacun livre son morceau de bravoure face à l’autorité (policère et administrative), unique point de convergence des moqueries dont le réalisateur se fait l’orchestrateur. Il y a dans cette reconstitution de l’affaire, jusqu’au repli peu glorieux des autorités face à leur méprise, tous les éléments d’une farce. On y rit jaune, comme lorsque les pauvres s’échappent des griffes des riches ou que les faibles arrivent à déjouer les abus de pouvoir des forts. Cousins de lutte d’un François Rufin et de son Merci Patron !, les acteurs de ce vaudeville politique s’en distinguent cependant par leurs (ré)actions : ici, la force émane du plus haut niveau de l’État et rien ne peut empêcher qu’elle s’abatte sur eux.

Alors Olivier Azam, comme un compagnon politique de route (Les Mutins de Pangée, qui produisent le film, ont à leur actif quelques autres œuvres sympathisantes de l’anarchisme et de la gauche dite « radicale »), les invite à rire, quelques années après, de cette mésaventure. Et au besoin, en faisant revenir les personnages sur les « lieux du drame ». Si Azam n’hésite pas à utiliser les codes du reportage – souvent misérabilistes, utilisant les témoins dans leur seule condition de victimes, c’est pour mieux les détourner et renforcer l’effet comique de sa farce. Car ceux qu’ils filment ne sont pas des victimes (comme le sont le couple Klur dans Merci Patron !), mais bien des citoyens dépositaires d’un maigre mais essentiel butin : leur estime d’eux-mêmes et leur certitude que le pouvoir qui tente de les briser n’y parviendra pas. Dans cette première partie, ce sont ainsi non seulement des « gueules » que l’on découvre mais aussi des identités fortes et des caractères inaptes au renoncement. Premier de cordée de cette bande : Pierre Blondeau, improbable ancien militaire reconverti dans le militantisme de gauche, gérant d’une librairie régionaliste (La Cigale du titre) et, à son niveau, distributeur d’énergie de combat pour ses collègues de lutte. Avec eux, Olivier Azam dépasse intelligemment la farce et, sans en avoir l’air, porte le propos du film vers une réflexion politique.

la-cigale-le-corbeau-et-les-pouletsDerrière la farce, le soupçon systématique

Claire Chazal qui détaille dans son journal l’assaut mené par la police contre cette supposée Cellule 34, coupable de lettres de menaces. Présent au détour d’une séquence dans le film, l’extrait du JT de TF1 de l’époque peut prêter à sourire : il n’est pourtant qu’un symptôme de ce qui s’annonce en matière de gestion des contestations. Réponse policère, mise en accusation sans preuve réelle, le tout sous le regard intéressé des mass-médias, toujours prompts à courir dans le même sens que l’événement en direct, même si celui-ci mériterait un minimum de réflexion. La grosse farce de l’erreur de casting révèle bien vite de quoi cette politique est le nom. Une ère du soupçon généralisé où, de groupes autonomes en oppositions syndicales, le pouvoir ne cesse de décrédibiliser les mouvements de contestation en tentant de les criminaliser. Impulsée sous le régime Sarkozy, la doctrine résonne d’une étrange façon à l’heure de l’état d’urgence permanent…

C’est donc aussi un peu dans une perspective historique que se regarde ce film, où la brutalité mal orientée des policiers à l’encontre des sympathisants gauchistes de Saint-Pons fait encore sourire. Au même moment, la fameuse affaire Tarnac (si brillamment expliquée par David Dufresne dans son magasin général) révèle comment les moyens de renseignement doivent, dans une logique aussi perverse que planifiée, aussi servir à surveiller les mouvements autonomes. De Tarnac à Saint-Pons, la gémellité est évidente et l’on n’est qu’à moitié surpris de découvrir justement que certains membres de l’épicerie creusoise sont invités par Pierre Blondeau au banquet de l’amitié. Mais ce qui frappe, à suivre les protagonistes de ce – petit – milieu militant du Languedoc, c’est la visibilité presque bon enfant, non étudiée d’un point théorique, de leurs actions. A l’inverse de Tarnac qui a fait de son invisibilité un signe politique, Blondeau affiche clairement ses positions, interpelle les élus sur le terrain, envoie des lettres à la presse ou aux ministres. Il faut dès lors voir dans les soupçons des autorités émis à son endroit la volonté pernicieuse et méthodique de saper la base de la contestation, même si celle-ci est visible, ostensible.

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Au-delà de la farce, le sérieux

Que peut devenir le film une fois que son personnage principal a exercé son droit et son devoir de citoyen, interpellant le préfet sur une histoire de contamination forestière ? Un temps, l’histoire se tient en équilibre, entre repas de l’amitié et discussions à La Cigale. Vers quoi va-t-elle basculer ? Après s’être rendu compte que le pouvoir du citoyen ne contrecarrait que très peu celui des puissants, Pierre Blondeau allait-il emmener Olivier Azam, et nous avec lui, dans une autre dimension de la lutte, dans un autre espace sensible ? [Attention ! SPOILER imminent !] 

Au contraire : il décide finalement de se lancer dans la course pour la mairie de Saint-Pons et de faire de son engagement un combat politique. En perdant dans les urnes, en arrivant à ne faire gagner que le moins pire de ses opposants, Blondeau teinte le film d’un goût amer. A la fois remarquable et triste, cette fin un brin désabusée montre les limites de la fable. Car si l’abnégation et la constance de Blondeau sont admirables, si la volonté de « jouer le jeu » politique pour peser dans les décisions et non les subir est inspirante, avec la défaite électorale le réel devient comme trop lourd à porter. En quête de justice, Blondeau entraînant Azam dans son sillage semble avoir perdu davantage qu’une élection : une forme d’insouciance, une capacité d’émerveillement. La morale de la fable alors ? Belle et noble mais aussi terre-à-terre et un peu vaine. Comme un combat face à un objet de lutte qui ne cesse d’échapper aux combattants.

Nicolas Bole

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