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© Gwenaël Bossion d’après une photographie d’Hélène Adamo – Camera Lucida Productions

Félix & Paul : Visite guidée dans le studio le plus réputé du monde

par Fanny Belvisi

C’est dans le cœur vibrant de Montréal que se situe le très à la mode Félix & Paul Studio, à deux pas du Centre Phi, haut lieu d’expérimentation artistique dans la ville. Cette proximité n’est d’ailleurs pas juste géographique, les deux entités entretiennent des liens forts, et il n’est pas rare que le Centre Phi présente les dernières réalisations du Studio.

Lors de notre séjour québécois en mars 2016, le Centre Phi proposait d’ailleurs un « Jardin de réalités virtuelles » où le public était invité à s’immerger dans quatre œuvres VR offrant un regard neuf sur de grands enjeux du XXIème siècle. Deux d’entre elles, President Clinton, Inside impact : East Africa et Nomads : Maasai, avaient été justement réalisées par Félix Lajeunesse et Paul Raphaël, les fondateurs du studio.

Nous avons donc voulu en savoir plus sur ces deux personnalités. Le logo du studio les représente, l’un chevauchant un orignal, et l’autre un dromadaire. Même si l’image stylisée fait sourire, elle traduit peut-être l’ambition de ces deux-là ; s’étendre du Grand Nord au Grand Sud. Car c’est un fait, la petite start-up créée en 2013 ne semble pas s’arrêter de grandir et s’attaque à des projets toujours plus ambitieux. On sait d’ailleurs que même si les dromadaires ne comptent pas au nombre de la faune déjà très diversifiée de la côté ouest américaine, Félix & Paul Studio a récemment ouvert une filiale à Los Angeles… « En bout de ligne, pour Félix, Paul et Stéphane (dernier membre fondateur de la start-up), l’idée est d’être un VRAI studio de cinéma pour la VR. La technologie avance très rapidement. Il n’y aucune raison pour que cela ne puisse pas aller beaucoup plus loin et que nous ne devenions pas un gros « studio » de VR. Nous restons basés à Montréal, mais nous avions besoin de cette filiale car il y a beaucoup d’opportunités à L.A. », affirme Cindy.

Cindy, c’est elle qui m’accueille par cette froide matinée de mars dans les locaux du studio. Une assiette de cookies « home made » et une tasse de thé bouillant à la main, elle me présente les lieux dans lesquels quelques membres de l’équipe sont déjà installés devant leurs écrans d’ordinateur. Ici, tout est top secret. Impossible de prendre des photos, par exemple…

Les espaces se divisent en deux grandes parties : à l’entrée, on trouve les six développeurs qui s’occupent de gérer les données reçues (et éventuellement les bugs qu’elles engendrent) afin qu’elles s’adaptent correctement à la technologie utilisée par le Studio – à savoir des casques Gear VR de Samsung, alimentés par le périphérique Oculus –, mais aussi de développer une caméra VR pour qu’elle puisse répondre au mieux aux besoins des projets futurs.

La seconde partie de la pièce, séparée judicieusement par le coin cuisine du Studio, est composée de l’équipe de post-production qui gère, elle, la partie montage des projets, le son et sa synchronisation.

Au total, 25 personnes participent aux réalisations du Studio avec encore 10 postes à combler du côté de la post-production, tant celui-ci gagne toujours plus en importance. « Nous avons grandi beaucoup en peu de temps, mais nous avons encore besoin de monde car nous allons continuer à prendre beaucoup d’ampleur. », reprend Cindy.

Cindy, c’est un peu la super assistante des trois fondateurs du studio, Félix, Paul et Stéphane. Arrivée en 2015, c’est elle qui s’occupe de gérer leurs plannings compliqués, de coordonner leurs rendez-vous, de leur faire rencontrer les bonnes personnes au bon moment, de filtrer les très nombreux projets qui arrivent dans sa boîte mail pour ne leur présenter que ceux qui s’accordent le mieux avec la philosophie du Studio. Enfin, c’est aussi elle qui gère une partie de la communication de la start-up (site internet, réseaux sociaux, Instragram). « Il n’y a pas le temps de s’ennuyer ici. L’important, c’est que tout le monde aime ce qu’il fait. Vu que notre standard de qualité est très haut, cela nécessite beaucoup d’heures et aussi une fierté dans son travail. Il faut que la personne veuille donner le meilleur d’elle-même. Tout le monde est très dédié ici.», explique-t-elle.

Devant l’engouement et l’essor de Félix & Paul Studio, Cindy est bien consciente de l’enjeu de ce développement « On est encore une start-up. Il y a eu beaucoup de couvertures médiatiques sur le Studio ces temps-ci, ce qui est une bonne chose. Mais c’est aux gars de voir où sont nos intérêts… Qu’est-ce qui pique notre curiosité ? Est-ce qu’on veut aller sur ce projet ? Veut-on encore travailler avec des gros studios comme Fox ou Universal ? Il faut trouver le juste milieu dans toutes ces sollicitations et réussir à faire un petit peu de tout dans ce qui les intéresse. »  

Quant à elle, elle sait que « plus il y a de personnes et plus j’ai de travail ! Je dois faire en sorte que même si on a une autre filiale à L.A., cela reste la même famille, pour que tout le monde reste sur la même longueur d’ondes et continue à bien travailler ensemble. Je crois que je vais être bien occupée ! ».

© Gwenaël Bossion d’après une photographie d’Hélène Adamo – Camera Lucida Productions

Les cookies et le thé engloutis, il est à présent temps de se confronter aux œuvres elles-mêmes. Car ce qui fait la renommée de Félix & Paul Studio, c’est notamment son positionnement sur des projets relevant d’une approche documentaire, permettant une plongée au cœur de situations « réelles » dont le spectateur fait l’expérience d’une manière presque « pure ». Le réel pourrait-il être restitué de manière intacte, en apparence en tout cas ?

Cindy me place l’imposant, et à vrai dire assez inconfortable, casque VR sur les yeux et une paire d’écouteurs sur les oreilles. Le voyage débute avec l’une des toutes premières réalisations du Studio, Strangers with Patrick Watson dans laquelle le spectateur est immergé dans l’intimité d’un studio de musique où le musicien est filmé en train de répéter. Nous poursuivons notre exploration avec Nomads : Herders, saisissante incursion dans les paysages de Mongolie avec une scène impressionnante où le spectateur pénètre à l’intérieur d’une yourte et se retrouve entouré par une famille mongole en train de manger et de vaquer à ses occupations. Même sentiment de vertige devant un tête-à-tête avec un Bill Clinton semblant presque en chair et en os, assis derrière son bureau en train de nous parler dans President Clinton, Inside impact : East Africa. Et puisque Félix & Paul Studio s’est également lancé dans la fiction, Cindy décide de me montrer le projet présenté au Festival Sundance en 2014 et élaboré avec Fox Searchlight et Fox Innovation Lab, à l’occasion de la sortie du film Wild.

Au final, l’expérience sensorielle est convaincante, même si ce nouveau medium soulève une foule d’interrogations, tant la VR déplace les enjeux critiques du cinéma « classique », oblige à repenser avec de nouveaux outils sa grammaire et sa syntaxe qui sont ici bien chamboulées.

Dans la VR, le spectateur est véritablement scindé entre un ici (son corps) et un ailleurs (sa conscience). Si ce medium fait toucher du doigt un vieux rêve de l’Homme – le pouvoir d’ubiquité – quel nouveau rapport au corps induit-il ? La VR permet une relation immersive qui offre au spectateur une expérience esthétique qui stimule puissamment ses sens. Toutefois, en privant le spectateur d’une distance physique avec l’œuvre, ne procède-t-elle pas d’une captation totale de son attention ? Ne lui ôte-t-elle pas également, d’une certaine manière, sa distance critique, celle-là même qui permet d’apprécier une œuvre et la représentation du réel qu’elle propose ? D’ailleurs, quelle représentation du réel la VR offre-t-elle ? En quoi est-elle différente du cinéma ?

Roland Barthes analyse en 1978 ce qu’il nomme « effet de réel » à propos de la littérature réaliste. Cet « effet de réel » consiste dans la présence, au sein des textes littéraires, notamment à partir des romans réalistes du XIXème siècle, d’éléments descriptifs n’ayant aucune valeur fonctionnelle, c’est-à-dire ne servant en rien la narration du roman. Cet « effet de réel » apparaît ainsi clairement lié aux descriptions présentes dans les textes qui servent moins à l’action qu’à valider un rapport immédiat et authentique au réel. En étendant cette réflexion, on peut s’interroger : la force de la VR ne provient pas elle aussi de cet « effet de réel » ? Cette pensée serait d’autant plus fondée que la narration des films réalisés jusqu’à présent demeure relativement faible, et que le spectateur a finalement davantage la sensation d’assister à la description d’une réalité qui lui est plus ou moins éloignée, que d’être pris dans une histoire.

Que deviennent les notions de cadres et de plans ? Le rôle du réalisateur est-il toujours le même ou ne s’assimile-t-il pas plutôt à celui d’un metteur en scène de théâtre qui, après avoir organisé les déplacements et le jeu de ses personnages, doit quitter la scène pour laisser le spectacle se dérouler ?

Qui de plus légitime pour répondre ici à ces questions que Félix Lajeunesse ? Nous avons réussi à le « coincer » pendant quelques minutes…

Félix Lajeunesse et Paul Raphaël – © Alexi Hobbs

Vos films ont une durée généralement comprise entre 8 et 10 minutes. Cette temporalité est en partie liée à des contraintes techniques. Mais ce choix de formats courts est-il aussi lié au fait que les films que vous réalisez impliquent un fort engagement du spectateur, notamment dans les documentaires ? Est-ce une volonté de ménager notre capacité d’attention ?

Félix Lajeunesse – L’idée de « présence » dans la réalité virtuelle est quelque chose que l’on doit moduler en fonction de l’histoire, comme un instrument. C’est en tout cas comme cela que nous travaillons. Ce n’est pas une matière qui doit être utilisée à pleine intensité tout le temps. On la module à travers l’histoire. Si on ne crée que des moments très forts et qu’on les enchaîne dans la narration, cela engendre un certain type d’expérience, très dense. Dans les films que nous faisons, il y a des moments où on essaie de réduire l’intensité de l’impression de présence, pour laisser au spectateur le temps de respirer et de ne pas être trop happé. C’est comme dans une histoire où il y a des plans dans lesquels on voit les choses de loin, des plans larges où seul le monde existe et permet de se dégager un peu de l’histoire. Après ces pauses, le spectateur est plus apte à retomber dans l’intensité dramatique.

En VR, il y a donc cette première dimension qui existe, c’est-à-dire l’intensité du storytelling. Mais il y a aussi l’intensité de la présence du spectateur que l’on module en fonction du type d’expérience que l’on veut créer.

Dans Nomads : Herders, il y a des plans qui ont une intensité plus forte que d’autres. Lorsque le spectateur arrive sous la yourte avec les gens, il n’y a pas de narration en tant que telle, mais il existe une sensation de connexion très forte avec ces personnes. Et pourtant il ne se passe rien de particulier. S’il s’agissait d’un film classique, on trouverait cette scène accessoire et quelconque. Pourtant, si on la pense en fonction de l’évolution du sentiment de présence, elle est un paroxysme dans l’expérience.

Le lien avec ces personnages s’effectue à ce moment. Eh bien typiquement, je n’aurai jamais placé cette scène au début de l’expérience. Graduellement, les choses se mettent en place et cette scène est émotionnellement plus forte là où elle est située. Il faut que le spectateur soit psychologiquement préparé. Nous pensons beaucoup en ces termes et nous travaillons la VR dans cette optique, pour les projets de fiction comme pour les documentaires.

La matière première avec laquelle nous travaillons, c’est l’état d’esprit du spectateur. En VR, tu es dans sa tête. Pendant que tu l’immerges dans un œuvre de VR, il ne peut pas la fuir et porter son attention ailleurs, il ne peut pas se déconnecter. Le spectateur est contraint de connaître ce qui lui est présenté. C’est donc un medium très sensible où il est possible d’avoir un réel impact sur l’état d’esprit des utilisateurs.

Pour moi, une œuvre de VR qui n’est pas bonne me fait enrager, car je suis dedans et que je ne peux pas en sortir. Je suis plongé dans quelque chose qui enveloppe complètement ma perception. Cela me met en colère ! Tandis que s’il s’agissait d’un film classique, j’aurais juste à réduire mon niveau d’attention et à penser à autre chose. Cela n’est pas possible dans un film de réalité virtuelle. Il y a donc un lien très sensible qui se crée avec le spectateur. Dans Herders, nous avons donc vraiment pensé à l’évolution de l’histoire et à la manière dont nous allions agir sur l’état d’esprit du spectateur. Parce que ce medium parvient à nous toucher de façon très sensible, nous essayons de l’utiliser de façon soignée, en respectant l’intelligence et la sensibilité du spectateur.

De votre point de vue, VR et cinéma sont deux choses complètement différentes ? Si la VR permet au spectateur de s’approcher de la réalité, s’agit-il encore pour vous d’une « représentation de la réalité » ? Et, si oui, quelles en sont les modalités, les caractéristiques ?

Oui absolument, la VR est une représentation de la réalité ! La seule grande différence, c’est qu’il y a beaucoup moins de distance existant entre la représentation et le spectateur. Ce qui change donc, c’est la relation qu’on entretient avec cette représentation. Le medium est construit à partir d’assises proches de l’expérience sensorielle humaine : comment nous voyons les choses naturellement dans la réalité, comment nous les entendons, et comment nous percevons l’espace.

La VR reçoit et exprime les choses d’une manière analogue à celle de l’être humain. Il s’agit en fait d’une expérience immédiate, très intime et qui ne semble pas faire une grande distinction entre ta conscience à toi, en tant que spectateur, et la conscience de l’artiste qui a créé le film.

La nature du medium est différente, donc le positionnement du spectateur est aussi différent. Je ne pense pas que la VR, même dans son incarnation la plus réelle, permette une confusion. Même lorsqu’on filme des moments de vie intégrale, des segments non manipulés, le cerveau du spectateur reste conscient qu’il est dans une expérience et qu’il peut s’abandonner jusqu’à un certain point. Il ne peut pas penser qu’il s’est téléporté. La VR crée une suspension dans la tête, mais pas une déconnexion complète.

> La suite de cet entretien est à retrouver dans
Les nouveaux territoires de la création documentaire <

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