De danse, il sera encore question ce mois-ci… Et de Pina Bausch, en particulier. La regrettée chorégraphe est au centre de deux films début avril. A noter également lors de cette première semaine, deux documentaires « incarnés » ayant trait à l’environnement. A chaque fois, l’entreprise est vaste, les moyens lourds, et l’ambition militante… Cela étant, Pina, le film apparemment « événement » de ce mois cache, au creux de son relief, un autre film singulièrement important : L’autobiographie de Nicuale Ceaucescu, de Andrei Ujica, qui sort fin avril.
Le 6 avril
Pina, de Wim Wenders.
Qualifié de « film dansé en 3D« , ce documentaire a été pensé avec la chorégraphe disparue en juin 2009, et poursuivi après sa mort. Wim Wenders, ami de 20 ans de Pina Bausch, avait depuis longtemps l’idée d’une œuvre sur le travail de la chorégraphe, et sur sa pensée au travail.
Le cinéaste s’enracine là où l’art de la danseuse s’est attaché, à Wuppertal, et s’articule autour de quatre spectacles : Le Sacre du printemps, Kontakthof, Café Müller et Vollmond. Entre leurs prouesses de technicité et de grâce, les « auteurs » de Pina Bausch se confient, voix off sur visage impassible… Poignant.
Tout aussi captivant, Wim Wenders brise la ligne de séparation entre la scène et la salle pour aller au-devant des artistes, et les mettre justement en avant. Nous sommes alors submergés par la beauté du geste, immergés dans les squares, les rues ou les transports de Wuppertal. Comme Pina Bausch l’avait réalisé dans son seul film, La Plainte de l’impératrice (sortie en juin 2011, L’Arche éditeur), le cinéaste allemand bouscule les lignes de la représentation classique pour suivre les danseurs dans leurs libres et très étonnantes déambulations dans la ville.
Wim Wenders cherchait la forme idéale susceptible de sublimer l’art de son amie. Il semble l’avoir trouvée avec la 3D ; quelque chose qui, selon ses propres termes, « abolit les frontières entre la scène et l’émotion intime du spectateur« .
La critique, unanime, salue une œuvre essentielle, rare et pionnière. Un renouveau, même, dans la filmographie du cinéaste. « L’incontestable sommet » de la dernière Berlinale pour Jean-Michel Frodon qui, sur son blog Projection publique , voit dans Pina une œuvre « qui ouvre une nouvelle voie pour le cinéma de manière plus décisive qu’aucune autre réalisation 3D à ce jour« , un film à la « à la beauté fulgurante, qui s’invente aux confins des splendeurs chorégraphiques conçues par Pina Bausch, de l’émotion suscitée par sa disparition, et de la manière de filmer, en scène et en extérieur, en action et en paroles, ce qui a été construit par le Tanztheater Wuppertal« .
Wim Wenders avouait : « Pina est la grande sœur que je n’ai jamais eue. Je me sentais hanté. Tout le temps du tournage, j’ai senti son regard traverser mon épaule ». D’autres précisions dans l’entretien que le cinéaste a accordé à Evène. Voyez aussi les secrets de tournage d’Allociné.
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Les Rêves dansants, sur les pas de Pina Bausch, de Anne Linsel et de Rainer Hoffmann.
Ce film, déjà sorti en octobre 2010, est repris en avril 2011. Il a été tourné en 2008 : Pina Bausch y est donc présente, et bien vivante. Le documentaire suit l’aventure que la chorégraphe avait proposée à une quarantaine d’adolescents (14-18 ans), novices en expression corporelle. Il s’agit du même défi auquel elle avait jadis confronté des sexagénaires : réinterpréter un spectacle qu’elle avait donné 30 ans auparavant. Kontakthof, ou l’occasion pour ces jeunes garçons et filles d’éprouver leurs corps, leurs appréhensions, et leurs pudeurs. Au fil des répétitions, les inhibitions tombent, et le voile se lève sur des personnages en devenir.
Le film a également été tourné à Wuppertal. Il est signé d’une journaliste qui fréquentait assidument Pina Bausch depuis 1973. La chorégraphe n’apparaît que dans la dernière partie du film, mais elle n’en est pas moins présente tout au long de la représentation. Les jeunes amateurs parlent d’elle avec respect, admiration et fraîcheur. Quelque chose proche de la candeur. La douceur que la chorégraphe manifeste en retour à leur égard imprègne le film, et renforce le mythe. Son absence initiale tend le récit, tout comme l’attente de la représentation finale. La progression est également nourrie par ces jeunes novices qui se découvrent. Au fil du film, des personnages se révèlent, et s’affirment. Ce sont autant d’éclosions, de venues au monde, d’épiphanies même, qui rendent ce documentaire si émouvant. Émotions sans pathos. Et un autre regard sur l’art unique de la chorégraphe, immortalisée ici une dernière fois au cinéma.
Pour ceux qui n’ont pas la chance de disposer d’une salle de cinéma projetant ce film proche de chez eux, Universciné propose de louer le documentaire sur Internet. 4,99 euros pour 48 heures, et de nombreux bonus à retrouver sur le site.
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GasLand, de Josh Fox.
Tout autre chose avec ce documentaire américain… Tout part de la lettre reçue par son réalisateur par laquelle une compagnie gazière lui propose 100 000 dollars contre la location de ses terres familiales, en Pennsylvanie. L’entreprise entend en prospecter son sous-sol pour y puiser du gaz de schiste. Josh Fox, initialement metteur en scène de théâtre, commence à (se) poser des questions qui vont se muer en enquête sur ce business florissant qui mêle intérêts industriels et politiques. Halliburton, leader du secteur très proche de l’ancien vice-président américain Dick Cheney, a en effet développé une technique de forage (la fracturation hydraulique) dont les profits s’annoncent mirifiques.
Problème, en sillonnant les Etats-Unis, Josh Fox met au jour les dangers de l’entreprise : pollution des nappes phréatiques, eau impropre à la consommation, hausse de la mortalité des cheptels chez les animaux et développement subit de maladies pour les humains…
Film engagé, à charge, GasLand est certainement une oeuvre de salubrité publique, et sa mise en forme colle à son projet : con-vaincre. Josh Fox multiplie les effets le style et se met lui-même en scène dans la représentation. Michaël Moore n’est donc pas très loin… Le problème de ces choix artistiques devenus pompiers aux Etats-Unis, c’est la « déréalisation » qui peut en découler. Ce type de récit s’avère finalement presque trop bien ficelé pour être vrai. Difficile, en effet, d’adhérer les yeux fermés à l’immuable confrontation de David et Goliath ; le modeste réalisateur (soutenu et produit par la chaine indépendante HBO) cheminant dans un dédale d’obscures arcanes politico-financières hostiles. Nous ne sommes pas loin du clip, et cela risque de desservir l’ambition de départ.
Gasland, primé au festival Sundance et nommé aux Oscars 2011, a été diffusé sur Canal + avant sa sortie en salles. La croisade de Josh Fox a également fait l’objet d’un reportage du magazine Compléments d’enquête de France 2, toujours disponible sur Youtube.
Sachez aussi qu’une suite est prévue. GasLand 2 devrait aborder le problème sous un angle international, avec notamment un tournage en France. Le ministère de l’Ecologie a en effet accordé en mars 2010 des permis de prospection pour le gaz de schiste dans l’Aveyron, l’Ardèche, la Drôme, l’Hérault et la Lozère.
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Plastic Planet, de Werner Boote.
Voici un nouveau film qui s’attaque à une industrie polluante, celle du plastique – dont nous sommes fortement dépendants. Il n’y a qu’à regarder autour de nous : ces matières sont partout, et elles sont très souvent toxiques – les analyses de sang du réalisateur semblent là pour en attester. Chaque année, près de 300 tonnes de plastique sont produites dans le monde, et 45% ne sont pas recyclées. Plusieurs centaines de tonnes de déchets de ce type seraient même déversés chaque jour dans les océans.
Le constat est bien sûr alarmant, et les dangers sanitaires avérés. Le film a permis de revoir la législation sur les tétines de biberon et le Bisphénol A en Autriche. Suite à sa diffusion, certains pays du Golfe envisagent d’interdire les sacs plastiques. L’oeuvre, nécessaire, fait son office. Mais là encore, c’est le combat de David contre Goliath, généralement peu novateur en cinéma. Les spectateurs se rallieront sans problème à la noble cause du réalisateur. Aucun mal pour rejoindre les rangs de l’indignation et, peut-être même, pour la mettre en pratique au quotidien. Ce même spectateur, en revanche, ne sera pas bluffé par l’audace formelle d’un récit qui a tout sauf l’aspect d’une révolution.
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Le 13 avril
D’un film à l’autre, de Claude Lelouch.
Séquence nostalgie, maintenant, avec cette histoire de Claude Lelouch, réalisée par lui-même. D’un film à l’autre revient sur un demi-siècle de cinéma en égrenant les films (de fiction) produits par Les Films 13, la société créée par le cinéaste pour produire son premier long métrage en 1973 (Le Propre de l’homme). C’est donc une anthologie qui nous est proposée ici ; un film-somme qui ramasse en deux heures les meilleurs succès du cinéaste comme ses échecs les plus retentissants. D’Un homme et une femme à Roman de gare en passant par L’Aventure, c’est l’aventure ou Itinéraire d’un enfant gâté, Claude Lelouch, 73 ans, se retourne sur sa longue carrière avec une honnêteté certaine, en assumant ses déboires et en revendiquant ses succès. A la fois adulé et critiqué, le cinéaste se confie avec lucidité, abordant sans fard sa vie privée comme sa vie professionnelle (les deux étant intimement liées).
Ce documentaire de montage est un peu plus qu’un bonus DVD. On pourra y lire les correspondances, les continuités et les ruptures dans l’oeuvre d’un réalisateur devant la caméra duquel, tout de même, a défilé la majorité des acteurs qui ont porté le cinéma pendant ces 50 dernières années.
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L’Autobiographie de Nicuale Ceausescu, de Andrei Ujica.
Ce film est un monument. D’Histore, de politique, et de cinéma. Une œuvre inclassable aussi. Quelque chose de l’ordre de la « non fiction autobiographique », qui vient parachever la trilogie que le cinéaste roumain Andrei Ujica a consacré au communisme – et à sa déliquescence en ex-URSS.
En 1992, Vidéogrammes d’une Révolution (co-réalisé avec Harun Farocki) revenait sur la chute du régime de Ceausescu en décembre 1989. La mise en perspective de l’événement, temporelle et formelle, le fasait entendre d’une manière nettement plus profonde que les actualités qui en recevaient les images en direct.
En 1995, Out of the present utilisait également des images d’archives pour montrer l’implosion de l’URSS depuis l’espace. Là encore, le renversement du point de vue était saisissant. Le cosmonaute Sergeï Kirkalev était resté bloqué pendant 10 mois dans la station spatiale Mir, surplombant ainsi les bouleversements radicaux qui se produisaient sur Terre et qui l’empêchaient d’y revenir.
Aujourd’hui, Andrei Ujica poursuit sa déconstruction de l’histoire récente de la Roumanie en se concentrant spécialement sur le couple Ceausescu. Le travail est titanesque : selon les estimations du réalisateur, le dictateur fut filmé un heure par jour pendant 25 ans. Il a extirpé 180 minutes de ces dizaines de milliers d’heures d’archives (privées et publiques) pour tisser cet essai qui, dans sa critique des images, travaille à la fois l’atuto-mise en scène d’un personnage public et la fin d’une idéologie.
Le cinéaste s’approche d’un homme qu’il dit avoir appris à connaître au fur et à mesure du montage. Ceausescu était, pour sa génération, « un écran sur lequel nous avons projeté toute notre haine contre tout le totalitarisme qu’il représentait ». L’écran prend ici un peu d’épaisseur. L’Autobiographie de Niculae Ceausescu est fresque hors norme qu’aucune œuvre de fiction n’aurait pu construire avec un tel pouvoir de fascination.
La révolution roumaine a été filmée en direct. Les images d’autres bouleversements politiques, à peine achevés ou encore en cours, nous parviennent aujourd’hui sur Internet avec encore davantage de rapidité. Les cinéastes du XXIème siècle ont du pain sur la planche, et ici une remarquable inspiration.
Andrei Ujica explique : « En fin de compte, le dictateur n’est qu’un artiste qui a la possibilité de mettre totalement son égoïsme en pratique. Ce n’est qu’une question de niveau esthétique, qu’il s’appelle Baudelaire ou Bolintineanu, Louis XVI ou Nicolae Ceausescu ». Son interview est à retrouver sur le site de RFI.
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Le 27 avril
Le Premier Rasta, de Hélène Lee.
Retour aux sources également ici, mais en Jamaïque, pour revenir aux balbutiements du mouvement et de la philosophie Rastafari. Le Premier Rasta retrace le destin de Leonard Percival Lowell (1898-1981), un marin qui, après avoir fait le tour du monde et approché de nombreuses idéologies contestataires voire révolutionnaires, fonde la première communauté Rasta en Jamaïque. Le « Pinnacle », à la fois rassemblement social, culturel et politique, fut aussi la première entreprise industrielle de production de marijuana. A sa dissolution dans les années 50, elle regroupait près de 4 500 personnes. Surtout, elle irriguera l’ensemble du mouvement reggae – sa déclinaison musicale, en quelques sortes. Hélène Lee, spécialiste du sujet qui a signé un livre éponyme peu avant le film, revient sur l’histoire d’un homme oublié de l’Histoire. Un révolté épris de liberté qui fustigeait, déjà en son temps, l’impérialisme colonial. Ardent défenseur des déshérités, il est finalement l’un des précurseurs de l’altermondialisme. Ses enfants s’appellent Marcus Garvey ou Bob Marley. Ses petits-enfants, , désormais abreuvés de dancehall ou de ragga, n’ont rien perdu de la fougue de leurs ancêtres. Et ils ont essaimé de par le monde… Un film à voir.
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Le coin des festivals…
Il suffit de cliquer sur le lien de chaque manifestation pour en connaître la programmation.
– Le Festival Visions du Réel de Nyon se tient du 7 au 13 avril 2011 en Suisse.
– Le 8ème Festival du cinéma de Brive propose quelques documentaires dans sa programmation, du 6 au 11 avril.
– Le 13ème Festival du cinéma indépendant de Buenos Aires, le BAFICI, se déroule du 6 au 17 avril dans la capitale argentine.
– Le Festival du film de femmes de Dortmund présente une compétition de documentaires du 12 au 17 avril, en Allemagne.
– Le 6ème Festival des Cinémas africains de Bruxelles se tient du 21 au 25 avril en Belgique.
– Le festival de documentaires latino-américains DOCUPOLIS se déroule du 21 au 28 avril à Santiago du Chili.
– Le festival international de documentaires de Toronto HOTDOCS débute le 28 avril pour s’achever le 8 mai au Canada.
Bons films !…