Branle-bas de combat dans les rédactions ! Le reportage en « réalité virtuelle » débarque, du récit en 3D à la vidéo en 360° en passant par d’autres expérimentations pionnières, et très souvent audacieuses. Conçues (ou non) pour un visionnage au masque VR, les médias y voient là un nouveau moyen de toucher la « génération Smartphone »… mais pas seulement. Le Blog documentaire vous offre ici une evue de détails en forme de nouveau prélude à notre futur livre qui vous emmènera, cet été, « au-delà du webdoc »…
Vous arpentez un lieu dévasté, un coin d’Ukraine que de tout jeunes réfugiés viennent de retrouver. Vous tournez la tête, à gauche, à droite, en bas, et vous constatez que leur école n’est plus qu’un amoncellement de gravats. Cette scène est l’une des séquences de The Displaced, un reportage en réalité virtuelle consacré à trois enfants réfugiés (un Ukrainiens, un Soudanais et une Syrienne), le premier que le New York Times a produit pour son application de réalité virtuelle (VR).
Des films comme The Displaced, le NYT a manifestement l’intention d’en produire à une échelle industrielle. En témoigne le lancement en grande pompe de NYT VR, accompagné de l’envoi d’un million de Google Cardboard à ses abonnés, en novembre 2015. Qu’on se le dise : à l’avenir, le journalisme passera par la VR. Le message a été reçu 5 sur 5 par les rédactions du Globe, du Guardian à Al Jazeera, en passant par quelques médias hexagonaux comme Le Monde, France 24 ou Le Parisien. Toutes retournent la question dans tous les sens : que faire avec la VR ?
Peut-être commencer par préciser de quoi l’on parle. Car, à ce stade, la VR recouvre tout autant des simulations réalisées en images de synthèse 3D que des vidéos tournées à 360 degrés, destinées à être visionnées au masque VR ou postées sur le web. Ou encore des créations mixtes, qui incorporent de la prise de vue réelle dans des univers 3D.
Lorsque la journaliste américaine Nonny de la Peña appelait de ses vœux un « journalisme immersif », qui permettrait aux spectateurs d’avoir une « expérience à la première personne des évènements ou des situations décrites dans les actualités », elle songeait plutôt à la reconstitution en 3D de situations réelles. C’est ainsi que Hunger in L.A. vous emmenait dans la queue d’une banque alimentaire de Los Angeles, où vous assistiez, impuissant, au malaise d’un homme. Ou que Project Syria vous immergeait dans le quotidien d’une ville syrienne soudainement frappée par un bombardement.
C’est cette piste que Le Guardian a choisie. Le quotidien britannique inaugure lui aussi une application en ce mois d’avril 2016, sur laquelle pourra être visionnée une première création en VR, 6×9, an immersive expérience of solitary confinement. Présenté au festival de Sundance (USA) au mois de février dernier, ce récit interactif en 3D invite le spectateur à expérimenter la vie (ou ce qu’il en reste) dans les cellules d’isolement carcéral aux États-Unis. L’œuvre mobilise effets sonores et visuels pour évoquer les dégâts psychologiques (hallucinations, paniques, paranoïa, etc.) causés par cette réclusion.
« Nous sommes un département multidisciplinaire dont la raison d’être est d’expérimenter de nouvelles formes de storytelling, rappelle Christian Bennett qui dirige le département audiovisuel du Guardian. La VR est un format très coûteux à mettre en œuvre si on veut bien faire les choses et si on souhaite créer des œuvres véritablement interactives. 6×9 a coûté 100.000 livres [environ 126.000 euros, NDLR], une somme que nous ne pourrions pas financer seuls. Mesuré en euros par vue, le coût risque d’être exubérant ! Heureusement, en ce moment, le financement marche bien pour ce type de projet ». Avec 6×9, le Guardian mise clairement sur une production VR haut de gamme. Sans avoir pour l’instant de visibilité sur un modèle économique, ni sur la suite des évènements. « Personne ne sait ce qui va se passer avec la VR, ni si elle va connaître la même évolution (décevante) que le cinéam en 3D. J’entrevois cependant un avenir possible. »
De son côté, après cinq mois d’existence, le NYT VR propose déjà une quinzaine de sujets, essentiellement des reportages vidéo réalisés en 360°. Aux côtés de The Displaced, figurent Vigils in Paris, filmé au lendemain des attentats du 13 novembre, ou The Contenders, immersion dans la campagne des primaires américaines, ou encore le récent 10 shots accross the border, qui plante le spectateur au pied du mur séparant les États-Unis et le Mexique. Si le NYT VR privilégie la prise de vue réelle, il partage l’exigence du Guardian en matière de qualité. Tant qu’à proposer des reportages en VR, autant y mettre le prix. Que le NYT finance grâce au sponsoring de marques et en ouvrant sa plateforme à des contenus publicitaires en VR.
Côté français, les choses s’accélèrent. Avec le lancement en décembre dernier de son application dédiée, ARTE 360, la chaîne franco-allemande fait figure de pionnier. Aux côtés de la fiction I Philip, une majorité de sujets « magazine » (le mont Blanc, l’Opéra de la Scala, le château de Fontainebleau…) , mais aussi Wassala, un « reportage à 360° sur la vie dans un camp de réfugiés ». Au début de l’aventure, un constat : « Je fais de la production web depuis 15 ans et c’était la première fois que je voyais des réactions positives de toutes les générations devant un projet interactif : un enfant de 5 ans réagissait de la même manière qu’une grand-mère de 90 ans, observe Kay Meseberg, le patron d’ARTE 360. Les vidéos en 360° sont beaucoup plus intuitives. Vous appuyez sur un bouton et ça marche ! Nos programmes en réalité virtuelle ne s’adressent pas seulement à la génération smartphone, mais à un large public ».
Cette « génération Smartphone », c’est pourtant bien elle que visent de nombreux médias, en tablant sur la VR. Un tweet émis au lendemain du lancement de NYT VR illustrait cet enjeu : « Mon fils de 13 ans n’a jamais passé autant de temps sur le NYT qu’avec votre sujet #NYTVR de ce matin. Bravo. »
My 13-year-old has never spent more time on NYT than with your #NYTVR story this morning, @nytimes. Well done. https://t.co/n2SUxxfpgO
— Raju Narisetti (@raju) 7 novembre 2015
La VR est un média particulièrement adapté aux Smartphones. On télécharge une app’ (gratuite le plus souvent), on installe un Smartphone pas trop vieux dans un Cardboard (autour de 15 euros) et on peut déjà éprouver un indéniable « sentiment de présence » dans des lieux distants de milliers de kilomètres. Et sans aller jusqu’à un visionnage au casque, encore très minoritaire (selon un chiffre officieux, seul 1% des contenus en 360° postés sur Youtube serait visionné avec un masque VR), les vidéos en 360° peuvent être explorées en déplaçant son smartphone autour de soi. Et on peut aussi les partager facilement sur les réseaux sociaux.
« Aujourd’hui, 70% de la consommation des médias passe par les réseaux sociaux », rappelle Lydia Berroyer. La responsable des Nouveaux médias à France Médias Monde (France 24 et RFI) annonce la couleur : « Ce qui m’intéresse dans la VR, ce n’est pas la technologie en tant que telle. Les jeunes sont habitués aux nouvelles technologies, au storytelling sur Snapchat, etc. Si j’arrive à les sensibiliser à l’actualité internationale, à leur faire comprendre comment vivent les gens, si je peux le faire avec des technologies innovantes, qui appartiennent à leur univers, alors je prends. »
De fait, ces temps-ci, un contenu en 360° posté au bon moment peut rapporter gros en termes de présence sur le Web. Pour engager Le Parisien sur ce nouveau format, Stanislas de Livonnière, responsable « Data et innovation » au sein du quotidien, a parié sur un reportage en Syrie. Produit par SMART News en collaboration avec Okio report, et diffusé par le Parisien, Syrie, la bataille pour le Nord a glané 451.000 vues sur Youtube pour sa version anglaise, près de 600.000 en comptant la version française.
Sous l’impulsion de Stanislas de Livonnière, Le Parisien a plongé résolument dans l’aventure de l’actu à 360°. « Si on veut faire du news, il faut être rapide, ce qui implique d’internaliser la fabrication grâce à des caméras tout intégré ». Le quotidien a noué un partenariat avec Gyroptic, start-up française qui vient de sortir une petite caméra dotée de trois capteurs et exportant directement un clip à 360° prêt à être posté. Un clip qui pâtit néanmoins d’une définition insuffisante pour une expérience satisfaisante au casque. De fait, pas question pour Le Parisien de lancer une app’ dédiée. Le pari est simple : réaliser en interne des vidéos « immersives » pour les poster sur la chaîne Youtube du quotidien. A charge pour les internautes de décider s’ils visionneront les sujets sur l’écran de leur Smartphone ou dans un masque VR. Après un sujet sur la Philharmonie de Paris et un autre sur le Prix d’Amérique, Le Parisien entend proposer une nouvelle réalisation par semaine.
Aux antipodes du positionnement qualitatif du NYT et du Guardian, cette approche « low cost » laisse circonspects certains acteurs pour qui la VR suppose une réalisation exigeante et une postproduction soignée. C’est pourtant une orientation privilégiée par d’autres médias, axés sur l’actualité la plus brûlante. « Notre public nous attend sur la couverture de l’actualité internationale. Paradoxalement, une réalisation léchée peut nuire à la crédibilité d’un reportage, notamment lorsque celui-ci porte sur des faits de guerre », observe Lydia Berroyer. FMM en est encore au stade de la réflexion sur la VR, mais Lydia Berroyer imagine déjà les journalistes de France 24 partir en reportage avec un smartphone 4K et une caméra à 360° du type Gyroptic, pour une couverture transmédia de l’actualité.
Autant dire que la VR est l’un des grands sujets de 2016 dans les salles de rédaction. Avec une motivation à l’esprit : préserver ses chances dans la rude économie de l’attention. L’effet « Waouh » de ce nouveau format, particulièrement bien adapté aux Smartphones, y contribue indéniablement. Reste à savoir en quoi la VR apportera une manière singulière de raconter l’actualité.
Affaires à suivre, donc…
Bonjour,
Je suis le directeur de l’agence de presse SMART News. Le reportage « Syrie, la Bataille pour le Nord » a été produit par SMART News (en collaboration avec Okio Report). Regardez la chaîne Youtube sur laquelle la vidéo a été postée!
Corrigé, merci.