Le Blog documentaire se penche ici sur un film qui a déjà eu des répercussions politiques dans le pays où il a été tourné. « La dernière ambulance de Sofia », réalisé par Ilian Metev, a contraint les autorités bulgares à réagir pour tenter d’améliorer les conditions de travail des secouristes dépeintes dans ce documentaire. Le film, primé dans plusieurs festivals dont la Semaine de la critique à Cannes, est diffusé ce jeudi 24 octobre à 23h45 sur Arte, et sera ensuite disponible pendant 7 jours sur Arte+7.
Un homme court au milieu d’un site industriel. Un véhicule le suit. La caméra y est embarqué et filme derrière le pare-brise sale. Si ce n’est quelques bruits métalliques, le silence règne dans l’habitacle. La tension est palpable. La camionnette se gare, deux urgentistes en sortent et pénètrent dans un bâtiment décrépi. Ce long travelling d’ouverture suivi d’un plan fixe sur le visage inquiet du chauffeur en gros plan donne le ton du film qui va suivre. Une immersion dans le réel.
Mila, Krassi et Plamen forment une équipe de choc. Le jeune réalisateur Ilian Metev a suivi ces trois ambulanciers de Sofia pendant 2 ans, à bord de leur camion. Pas d’interview, pas de voix off. Rien n’est dit directement sur la Bulgarie et son système de santé à bout de souffle. Tout se lit dans les regards des trois urgentistes, dans leurs expressions qui changent au gré des interventions, des nuits de garde interminables… Épuisement agacement, colère, solidarité et résistance. Dès les premières minutes, on s’attache à eux. Non pas qu’ils soient de « bons samaritains » mués par la volonté de sauver leurs prochains, mais parce que leurs visages respirent l’humanité. On y décèle l’empathie, l’abattement et le courage. « Cogne contre le mauvais sort », dit Mila à ses coéquipiers. Elle tape légèrement le haut de sa tête sur les leurs. Un petit geste du quotidien, une superstition empreinte de malice… Ils jurent contre les chauffards sur la route, ils clopent, ils se charrient. Tout est bon pour tromper la lassitude et pour tenir malgré le quotidien usant… Et pour cause, il ne restait (au moment du tournage) que treize ambulances pour les deux millions d’habitants de la capitale bulgare. En sous-effectif et payés aux lance-pierre, leurs conditions de travail sont devenues intolérables. Les collègues partent à l’étranger. Eux sont sur le point de craquer. Et pourtant… Ils s’accrochent.
De la ville, on ne voit presque rien, à peine quelques plans derrière les vitres sales du camion. On devine sa violence au moment de l’intervention chez cette mère qui porte à bout de bras son fils toxicomane depuis l’âge de 13 ans. On devine sa misère lorsque la carlingue de l’ambulance est secouée par les innombrables nids de poules sur la route. La radio aussi, censée leur donner l’adresse de la prochaine mission, fonctionne mal. Sofia hors-champs donc, tout comme les victimes à qui nos ambulanciers portent secours. On aperçoit une jambe ou une épaule, on entend leurs gémissements, on découvre leurs lieux de vie qui les racontent. Mais jamais leurs visages. C’est un choix éthique du réalisateur qui a préféré se concentrer sur l’équipe médicale. Mais ce choix n’enlève rien à la puissance tragique du film. Au contraire, la suggestion l’emporte sur la démonstration. Des indices ça et là, des petits détails en arrière plan, des bribes de dialogues apparemment anodins : toute l’attention du spectateur est requise, et son imagination sollicitée.
Sélectionné à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes en 2012, le film décroche le prix « Révélation ». Son réalisateur, ancien violoniste fan de Bresson, signe un premier long-métrage âpre, authentique… Et prometteur !
Marie Baget
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