C’est un projet dont nous vous avions déjà parlé il y a un peu plus de deux ans…D’abord décliné en une monumentale exposition à Saint-Nazaire (sous le titre « Seamen’s Club »), l’aventure de Marc Picavez s’est ensuite muée en documentaire TV avant de se poursuivre en « webdoc », produit par Once Upon. D’abord diffusé sur ARTE, le film « Sea is my country » (« La mer est mon royaume » en Français) est disponible sur KuB, le webmédia breton de la culture. Soit 56 minutes à bord d’un porte-conteneurs pour une plongée fascinante dans la vie des petites mains du commerce mondial.
C’est un univers fascinant, démesuré, filmé avec grâce et ingéniosité. Vous voilà embarqué à bord d’un cargo, l’African Forest, dans un monde parallèle qui représente tout de même 80% du transport de marchandises sur la planète. Vos compagnons de voyage sont russes, philippins ou ukrainiens ; jeunes marins d’aujourd’hui, ouvriers globalisés confrontés à la solitude et à l’isolement.
Entre l’Europe et l’Afrique, de La Rochelle à Libreville et de Douala à Anvers, il vous sera donné à voir l’immensité de l’océan, à sentir la promiscuité de la vie à bord et à éprouver les tourments intimes de ces matelots bringuebalés aux quatre coins du monde au gré des missions qu’ils acceptent, généralement pour un peu moins d’un an loin de leurs proches.
Une fois le rituel du passage de l’Équateur franchi, la mer – leur royaume – sera le seul point de fuite de l’aventure. Quelques dauphins pour agrémenter le quotidien sur les flots, des gestes répétitifs pour amener le bateau à bon port, des séances de karaoké pour agrémenter le périple… Dans cet espace-temps suspendu, Marc Picavez parvient à peindre un tableau impressionniste sans pour autant oublier de tirer les quelques fils narratifs qui se présentent à lui : le gros temps à affronter, les migrants à débusquer, les marchandises à débarquer, etc. Une dramaturgie subtile, des images soignées et très graphiques, pour une mise en récit qui fait la part belle aux marins.
Des personnages parviennent en effet à se détacher, visages juvéniles sur lesquels se lisent à la fois l’espoir et le désarroi. « On a l’argent, mais pas le bonheur », entend-on. Les pixels des conversations numériques qui se reflètent dans leurs yeux disent le poids de la solitude. Le salut passe par l’escale, avec la promesse d’une connexion internet… Dès lors, chacun se renferme sur son téléphone portable ou sur un ordinateur. Maigre consolation pour maintenir un lien avec la terre ferme, et cultiver ses racines laissées à des milliers de kilomètres de là.
L’exposition Seamen’s Club (vidéo ici) l’affirmait clairement : le slogan des écoles de recrutement aux Philippines (« Sea the world for free ») s’efface très vite devant les conditions de vie et de travail de ces marins (« I sacrified myself for my family »). Dans son film, Marc Picavez dépeint finement cet écartèlement impossible dans lequel il entrevoit « l’une des formes les plus abouties du libéralisme ». Au détour d’une conversation sur le pont du cargo, un jeune marin fait résonner cette sentence : « La personne la plus heureuse au monde, c’est le marin qui rentre chez lui ». Bouteille à la mer ou bouée de sauvetage, l’horizon est encore loin…
Fiche technique :
Durée: 56′ – Image: Rémi Mazet – Montage: Catherine Rascon – Montage son: Jérémie Halbert –
Mixage son: Stéphane Larrat – Musique: Antoine Bellanger – Production: Estelle Robin You
Avec le soutien du CNC, de la Région Pays de la Loire, de la Procirep – Angoa, du CG 44.
Un projet développé à l’atelier documentaire de la Fémis.
Vu dans le format cinéma d’1h22.
Un film en immersion sur un cargo avec des personnages attachants.
Peut-être édulcoré ? Peu de tensions, pas de dispute ni de bagarre…