Nouveau coup de coeur du Blog documentaire : après Are Vah !, nous soutenons un autre projet (prometteur) en train de se faire… L’Autre élection vous racontera très bientôt le scrutin électoral national en Papouasie Nouvelle Guinée. Nécessaire distance pour salutaire mise en perspective… Suivez ici les différentes étapes de ce projet avec Igal Kohen, producteur et réalisateur de cette initiative multi-formes… Après un 1er épisode ici, voici la deuxième partie de ses aventures…
Papouasie, démocratie et production web
Depuis plus d’un an, je porte le projet webdocumentaire L’Autre Élection, dont je suis l’auteur et pour plusieurs raisons aussi le producteur. Après de longs mois de maturation et d’apprentissage, nous voici enfin dans le grand bain, prêts à partir tourner à l’autre bout du monde. De l’écriture aux contacts diffuseurs, en passant par la campagne de crowdfunding, voici les étapes traversées jusqu’ici, et quelques utiles leçons apprises au passage.
Fin janvier, nous sommes rentrés de Papouasie les disques durs bourrés de rushes. Nous avons monté un teaser et un épisode pilote. Il nous faut maintenant sculpter davantage l’idée, trouver la forme qui la portera le mieux et rendra notre dossier convaincant. Envoyé au CNC et aux diffuseurs, on espère qu’il nous obtiendra les fonds nécessaires à la production complète du projet. Voici en long et en large comment j’ai concocté ma tambouille.
5. Affiner l’idée
Si je pars filmer la démocratie à l’autre bout du monde, c’est évidemment pour parler de l’idée que nous nous faisons de notre pouvoir démocratique à nous – citoyens des pays des droits. Je me pose la question d’intégrer des images d’archives et d’actualités des campagnes électorales de 2012 dans le monde, France et États-Unis en priorité, pour relever le contraste avec la campagne papouane. L’idée paraît séduisante, en ce qu’elle relèverait quelques attributs universels de la démocratie. Mais c’est une vaste question qu’on ne peut aborder à la légère, et ce n’est pas exactement mon propos. Nul besoin de théoriser sur la démocratie dans un énième film à thèse, il suffit de raconter cette autre élection telle que je la vis. Les ressemblances et les différences émergeront d’elles-mêmes dans l’interprétation qu’en feront les spectateurs. La citation de Doisneau (en logline de ce site) est à propos : « Suggérer, c’est créer, décrire, c’est détruire ». Chacun des personnages que je choisis de filmer joue un rôle porteur dans ce contexte épicé de corruption généralisée. C’est donc de morale dont il s’agit, et c’est donc une fable que je vais raconter.
6. Quelle narration ?
Mais comment raconter cette élection pour le web ? La question de la linéarité de la narration est prégnante pour ceux qui réfléchissent au genre webdocumentaire. L’éclatement du récit en pastilles à picorer – la délinéarisation – est souvent une réponse au manque d’attention sur le web ; seulement le principe n’est valable que s’il est plus que justifié par le sujet. Actuellement, de nombreux projets reviennent à des histoires plus ou moins linéaires (Welcome to Pinepoint, Insitu) quelque soient les médiums déployés. En utilisant différentes techniques – chapitrage, mise en mémoire de l’avancée dans le programme, design immersif – ils rendent l’expérience d’une narration longue agréable à vivre sur le web.
De mon côté, j’ai tendance à me lasser d’un principe courant de délinéarisation qui vise à lister différents personnages ou différents exemples d’un thème choisi sous forme de mini séquences indépendantes, au détriment d’une progression générale du récit contrôlée par l’auteur. C’est l’apogée du sujet journalistique, qu’on illustre par autant d’exemples que possible, et c’est la mise en sourdine de l’auteur, qui n’a que de petits espaces indépendants pour s’exprimer. Mais à l’inverse, l’idée de rester digeste d’une manière ou d’une autre me parait relativement primordiale sur le web. De plus, le partage sur les réseaux sociaux a fait ses preuves dans la construction d’une audience web, et j’ai envie que les contenus puissent voyager, se répandre individuellement et exister hors de leur plateforme d’origine, sans qu’une construction trop interdépendante n’entrave leur compréhension. Je vais donc essayer de combiner les avantages des deux options.
De manière subjective, j’affirme qu’une élection est un feuilleton. C’est une succession d’événements, de rebondissements, de climax, vécus par des personnages-candidats dont on suit l’accession potentielle au pouvoir. Ce feuilleton, ce sont lesdits candidats, et leurs électeurs qui (se) le racontent. L’idée d’une série reste donc plus que pertinente. Je vais m’efforcer de construire les épisodes en chapitres légèrement feuilletonnants. On pourra les partager et les visionner indépendamment les uns des autres, mais les visionner dans l’ordre donnera ce sentiment de progression de la campagne. Chacun d’eux permettra de s’attacher aux personnages et donnera envie de découvrir le reste. Les histoires de mes candidats en course pour le pouvoir, et celles des néo-irlandais en lutte pour améliorer leurs conditions de vie formeront ainsi le récit composite de cette autre élection.
7. Élargir le sujet
Petit à petit, le dispositif prend forme. Si je ne mettrai pas d’images de nos campagnes occidentales au sein des épisodes, j’ai quand même envie d’élargir mon sujet et d’aborder plus transversalement le thème de la démocratie. L’idée d’un newsgame où chacun jouerait un candidat en campagne dans quelques-uns des pays où ont lieu des élections en 2012, nous l’avons eue avec le talentueux Florent – The Pixel Hunt – Maurin, à l’origine des Primaires à Gauche. Ainsi nous pourrions mettre en scène, de manière originale, ce qui de par le monde entache l’image fantasmée de la démocratie à travers les exemples du financement des campagnes aux Etats-Unis, ou du bourrage des urnes en Russie. Mais voilà : comme me l’a appris le sieur Maurin, la conception d’un jeu est un processus incrémental chronophage qui nécessiterait qu’on y passe un peu plus de temps et d’argent que nous en avons. À ce stade, sa production est donc conditionnée à l’obtention d’une aide.
Je ne sais donc pas si le programme plaira sous cette forme aux membres de la commission du CNC, mais au moment où j’écris ces lignes, deux médias de renom dont la ligne éditoriale est compatible avec le projet viennent de donner leur accord de diffusion. C’est une excellente nouvelle : ces partenariats vont nous permettre de faire le lien qui manquait entre mon histoire et nos démocraties. Nous allons mettre en place un blog/média où seront valorisés des contenus relatifs à la démocratie dans le monde, déjà produits par ces diffuseurs partenaires. Cette production annexe sera de plus accessible par des liens intercalés entre les épisodes de la série, sur une plateforme qui les agrégera, en plus d’informations contextuelles.
8. La campagne de crowdfunding
Nous voilà donc début avril avec un projet quasi construit. Le problème est que nous courrons sans cesse derrière le temps. La campagne papouane s’ouvre le 18 mai et il nous faut donc trouver à nouveau des fonds pour financer ce lointain tournage avant qu’il ne soit trop tard. Nous hésitons avant de lancer une campagne de crowdfunding. Est-ce que cela nous portera préjudice auprès des diffuseurs en donnant une image trop DIY [Do It Yourself, NDLR] du projet ? Avons-nous le temps de nous en occuper correctement ? Allons nous réussir à collecter suffisamment pour partir ? Sans le sou, nous n’hésitons pas longtemps, let’s fund, et qui vivra verra.
50 jours plus tard, la collecte est à présent terminée et réussie et je peux vous le dire : le crowdfunding, c’est chouette. C’est une petite aventure en soi. C’est aussi pas mal de stress, mais le projet en sort souvent meilleur. Si vous êtes curieux, j’ai expliqué pourquoi c’était si chouette ici.
Pour réussir une collecte, m’est avis que le plus difficile est d’avoir un projet qui fonctionne à peu près, apte à convaincre de sa pertinence quiconque en lit le pitch ou en visionne le teaser. Le reste n’est qu’un peu de temps et d’énergie. Je ne vais pas (plus) m’étendre tant la matière grise sur les méthodes de réussite d’une collecte – les trois cercles, le mailing etc. – est déjà fournie.
8. Pour conclure
Après un an de pré-production, nous voilà enfin prêts. Ces différentes étapes m’ont permis d’en apprendre tant sur l’écriture que sur la production web, et sur la gestion de projet. Mais si tout n’a pas tout le temps joué en notre faveur, j’ai aussi appris à me montrer plus humble dans mes ambitions. J’ai toujours eu dans l’idée que la baisse des coûts de production et de diffusion permettait de réduire la taille des équipes et d’abaisser les barrières à l’entrée. C’est cependant la dernière fois que je cumule tant de casquettes au sein d’un seul projet. Je suis satisfait de l’équipe que j’ai réussi à réunir mais j’ai certainement été dépassé par l’ambition que j’ai mis dans L’Autre Élection : on ne peut être auteur, réalisateur, producteur, monteur d’un projet documentaire d’envergure sans, au choix, y passer des années, s’épuiser, ou en dégrader la qualité. Moi j’espère ne m’être qu’épuisé…
Quoi qu’il en soit, je pars pour 6 semaines de tournage, nous avons des diffuseurs prêts à nous soutenir, une petite communauté qui soutien l’initiative et je suis donc plutôt soulagé. Je voulais parler d’une élection lointaine que tout le monde ignore et montrer ce qu’elle a à nous dire de la démocratie. Je ne suis plus si loin du but.
Rendez-vous à l’automne pour le résultat.
Igal Kohen
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