Le Blog documentaire a soutenu depuis le départ « L’autre Élection », audacieux projet de webdocumentaire signé Igal Kohen. Nous avons tenu à accompagner cette initiative avant même que sa campagne de crowdfunding ne fut achevée. Aujourd’hui, à quelques heures de la mise en ligne des premiers épisodes de la série documentaire, nous poursuivons notre carnet de route avec Igal Kohen. Avant-dernier épisode à déguster sans modération !… (Les épisodes 1 et 2 sont ici et là).
Le tournage a été exténuant avec, sur place en Papouasie-Nouvelle-Guinée, un objectif supplémentaire important : construire un dossier suffisamment précis et clair pour le CNC afin de maximiser nos chances d’obtenir une aide. Nous avions essuyé un premier refus pour l’aide à l’écriture, alors nous avons essayé de développer une proposition plus « impactante », comme on dit, pour décrocher l’aide à la production.
En six semaines, nous devions donc préciser nos idées. Initialement, nous n’avions que trois personnages mais, au fur et à mesure du tournage, nous nous sommes rendus compte que nous pouvions raconter six histoires, avec six personnages, qui constitueraient une narration globale. Tous appartiennent au même monde : ils sont rivaux ou alliés, mais ils sont engagés dans une même logique une même stratégie. Pendant six semaines, j’ai donc alterné les moments de repérage et de tournage avec les phases d’écriture pour échafauder cette sorte de « western moderne » en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Et finalement, nous n’étions pas trop de deux sur place (j’étais accompagné par Antoine, mon « co-cadreur ») !
La principale difficulté – suicidaire – a précisément consisté à construire ce dossier en même temps que nous tournions. Nous n’avions pas le droit à l’erreur, c’était épuisant, mais le tournage et la rédaction du dossier s’alimentaient l’un l’autre. Les conditions météo ne nous étaient pas non plus favorables, avec une chaleur de dingue qui s’ajoutait au décalage horaire, et à la nécessité de devoir sans cesse courir dans tous les sens.
Nous sommes arrivés en Papouasie Nouvelle Guinée pendant la semaine de nomination des candidats, ce qui donne l’occasion de grandes fêtes assez improvisées. Ils sont une quinzaine au total. Concrètement, il arrivait qu’une fête fasse irruption à l’extérieur pendant que j’étais en train d’écrire. Nous prenions alors les caméras pour saisir ces instants. Il fallait courir pendant 20 minutes sous un soleil de plomb, sans avoir mangé, pour obtenir quelques scènes secondaires. C’était très intense, et j’ai fait plusieurs chutes de tensions…
Le problème sur place, c’est que tout repose sur des rumeurs, des « on dit ». Rien n’est vraiment planifié, rien n’est annoncé dans les médias – qui n’existent pas d’ailleurs. Tout le tournage a donc consisté à faire confiance en ce que l’on nous racontait. Il fallait sans cesse croiser les sources, rien n’était définitivement certain. Nous avons finalement dû nous adapter au rythme local.
Ceci dit, j’ai rencontré deux de mes personnages grâce à ces contraintes. Par exemple, Pedianis, qui a vendu à une entreprise malaisienne une île de 20.000 habitants qui ne lui appartenait pas. Impossible de résister devant une telle histoire. Nous l’avons donc traqué, avec difficulté, pour le rencontrer. Il faut dire aussi que c’est la première campagne électorale de Papouasie-Nouvelle-Guinée avec des téléphones portables. Tout va donc beaucoup plus vite pour eux – mais pas pour nous.
S’est ensuite posée une autre difficulté : mes personnages n’ont pas l’habitude de la caméra. Ils vivent dans la nature, loin du progrès, et certaines personnes n’avaient jamais vu de caméra, ni même de Blancs ! Cela dit, tous étaient fiers que l’on s’intéresse à eux. Ils étaient plutôt heureux de se voir filmés, ils participaient, ils se livraient facilement. Il existe très peu de médias en Papouasie-Nouvelle-Guinée et, par conséquent, la population sur place ne comprenait pas notre souci de neutralité. Ils ne comprenaient pas que nous nous intéressions à six personnages si différents, et rivaux. C’en est même parfois devenu dangereux : untel nous intimait de rester chez lui en nous forçant à ne pas aller voir son concurrent. Or, nous sommes dans la jungle, il n’y a pas d’hôtel, et nous sommes totalement dépendants des équipes que nous suivons. Il n’y a donc aucun échappatoire…
Cependant, étant peu habitués aux médias comme je le disais, les Papous nous parlaient beaucoup plus facilement. Ils savaient que ce qu’ils diraient à ma caméra n’allait pas être vu par leurs électeurs. Ils pouvaient donc me confier des éléments intéressants, voire croustillants, qui ne pourraient pas leur porter préjudice.
Pour revenir au dossier du CNC, force est de constater que la technique n’a pas toujours joué en notre faveur. Le réseau cellulaire est très récent et très aléatoire en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Nous voulions agrémenter le dossier de photos, et j’ai dû passer des heures à l’extérieur, assis sur une planche de bois, le portable à bout de bras, pour essayer de télécharger des images. A Paris, mon associée Marine recevait ces éléments et une graphiste se chargeait de la mise en page. Ce dossier, fruit d’un échange incessant de mails entre Paris et Kavieng, a été finalement très compliqué à construire. Pour les dernières vérifications, j’étais dans un endroit où l’électricité était interrompue dès 14 heurs. J’avais trouvé l’un des seuls ordinateurs fonctionnels de la ville, mais je n’avais que 5 minutes pour tout télécharger avant la coupure. On a terminé cette étape en s’envoyant des SMS.
Finalement, les efforts ont payé, et nous avons obtenu le soutien du CNC tant espéré.
Sans cette aide, j’aurais dû travailler seul en France pour monter les six épisodes que Rue89 aurait pu diffuser, selon son bon vouloir. Avec cette aide, nous pouvions désormais travailler avec une monteuse, une graphiste, nous pouvions construire une plate-forme ad hoc sur le web et demander à Florent Maurin de nous aider à développer la partie « jeu » du projet, nous pouvions convoquer des blogueurs et des journalistes pour travailler sur notre petit guide de la transparence électorale… etc.
C’est alors le début d’un incroyable rush : il faut tout produire en deux mois.
A suivre…
Igal Kohen
Propos transcrits par Cédric Mal
Plus loin…
– L’Autre élection : carnet de route d’un webdoc #1