Suite et (presque?) fin de ce carnet de route. Le Blog documentaire accompagne depuis longtemps « L’Autre élection », un projet de webdocumentaire tenu à bout de bras par Igal Kohen et sa société de production PIW !. Même si nous ne nous interdisons pas d’y revenir l’année prochaine, c’est finalement déjà un peu nostalgiques que nous vous livrons ici le dernier épisode de ce voyage au long cours que nous avons suivi avec grand intérêt. Mais tout le plaisir est certainement… pour vous !
Retour en France, donc. J’ai travaillé avec Cécile Frey, monteuse du projet In Situ, parce que je voulais quelqu’un qui soit force de proposition. J’avais tout en tête assez précisément, alors nous nous sommes partagés le montage. Nous avons inventé un mécanisme selon lequel je terminais d’écrire pendant le week-end l’épisode qu’elle montait ensuite, pendant que je finalisais l’épisode qu’elle avait monté la semaine précédente.
Il y a donc une voix off, et ma hantise a été qu’elle transforme le projet en « pseudo-reportage ». J’espère que ce ne sera pas le cas, mais je m’expose tout de même à ce grief. On a essayé en tout cas de faire de cette voix off celle d’un narrateur, qui puisse nous raconter ce que je considère comme de courtes fables.
Pour la construction de l’interface du webdoc, nous sommes partis du principe que chaque épisode était dévolu à un personnage. Et chaque personnage présente ses propres particularités, qui peuvent visuellement s’exprimer très différemment. Autant d’éléments visuels qui font partie de l’interface définitive. Ce sont des éléments qui doivent caractériser les espaces dédiés aux différents épisodes. Nous nous servons donc du montage image pour construire l’identité graphique de l’interface.
Nous avons ensuite imaginé des espaces de « cartes postales » ; finalement des mini-jeux qui regroupent des bonus représentant l’univers du personnage.
Nous voulions nous cantonner à des épisodes de moins de dix minutes, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que mis bout à bout, cela représente 60 minutes de film à monter – ce qui n’est pas rien. Ensuite, parce qu’il est difficile de maintenir une qualité intéressante aussi longtemps sur Internet. Nous voulions aussi laisser la possibilité aux webspectateurs de pouvoir picorer un seul épisode de la série en faisant le pari que nous leur donnerions l’envie de revenir. Nous avions enfin envie que les épisodes vadrouillent sur la Toile, et qu’ils fassent leur vie sur les réseaux sociaux. J’ajoute que mon sujet se prête à ce genre de format. Si j’avais réalisé In Situ, bien évidemment que j’aurais choisi une autre option.
Il a aussi été question d’élargir notre propos à d’autres élections, à d’autres systèmes politiques, mais nous avons finalement abandonné cette idée. Elle relevait de l’ordre de la thèse. Vouloir être transversal par ce genre d’analyse comparative ne m’intéressait pas.
Mon premier film réalisé en Papouasie Nouvelle Guinée, en 2007, abordait la corruption. J’expliquais, par des interviews, sans voix off, comment ce système fonctionnait. Franchement, c’était chiant. Montrer des personnages, de vrais magouilleurs, je trouve cela plus intéressant, plus croustillant, mieux. Ça me permet d’interroger aussi les mécanismes de la fiction, et ça me plait de faire rentrer les webspectateurs par cette porte là. Cela étant, je ne me suis pas intérdit un peu d’enquête. Par exemple, je raconte comment un homme a vendu une île de 20.000 habitants, en croisant les témoignages. Je ne raconte que très peu sa vie, et j’entre dans une cause qui a aussi à voir avec la déforestation.
Le webdocumentaire est donc en ligne, et cela constitue pour moi un bel aboutissement. J’ai vraiment la sensation que nous revenons de loin. C’est un peu con de réfléchir comme ça, mais j’estime que L’Autre élection sera un succès si nous collectons, sur le dernier épisode, une fréquentation supérieure au dixième du premier.
Et si c’était à refaire, ou sur un prochain projet en tant qu’auteur-réalisateur, je préfèrerais faire de la coproduction exécutive et travailler avec un producteur délégué qui négocie, lui, avec les diffuseurs.
Avant de partir par exemple, Rue89, France Inter et Courrier International me suivaient ; Le Point est entré dans la danse à mon retour. Leur investissement financier est tout relatif,, mais je ne veux pas qu’ils estiment ma proposition comme un mini-diaporama sonore jetable. Nous avons toutefois exigé, que soit effectué un travail de communication autour de notre projet. Il ne faut pas se leurrer : il faut faire du marketing pour toucher le plus grand nombre ! C’est obligatoire. J’ai exigé par exemple que nos diffuseurs publient deux teasers que nous leur fournissons. Ils n’ont pas grand chose à faire, mais je voulaient qu’ils effectuent la promotion de L’Autre élection sur leurs réseaux sociaux par exemple. Je ne voulais pas qu’ils considèrent notre offre comme un simple élément dans leur flux RSS sous prétexte qu’ils ne nous donnent pas grand chose. Ils joueraient alors contre leur propre camp. L’Autre élection aura un impact sur leur propre audience, pas grand chose, mais quand-même. Ils doivent donc s’investir un minimum.
Évidemment, j’ai besoin de l’audience des grands médias, et cela pose, il est vrai, un problème structurel. Je mets à leur disposition un contenu qu’ils acquièrent pour pas grand chose. Mon seul bénéfice en tant que producteur, c’est de l’image ; mon seul bénéfice en tant qu’auteur, c’est que la web-série soit vue. A partir du moment où le projet existe, il doit être vu. Aussi, j’aurais pu m’aventurer dans cette histoire sans le CNC, une fois mais pas deux. Les nécéssités du marché sont plus fortes que la volonté de faire du documentaire sur Internet. On ne pourra pas produire ad vitam eternam des projets exigeants pour presque rien, ou sans au moins rentrer dans nos frais. C’est l’époque, que voulez-vous…
Pour mon prochain projet, si je suis auteur, je veux au moins un producteur délégué, si ce n’est un producteur tout court pour gérer les problèmes d’argent et les relations avec les diffuseurs. Si je suis producteur, je suis producteur, et je transforme le projet de l’auteur en « produit ». Nous avons d’ailleurs déjà des projets en pré-production chez PIW!.
Au final, à l’heure de refermer ce carnet de bord, je pense que nous avons été très bons dans le dossier – même si tout est perfectible. Je parviens maintenant à comprendre comment convaincre sur le papier, en une trentaine de pages. Mais j’en suis devenu capable en échouant, en me trompant, et en cherchant des modèles. J’ai par exemple compris qu’il fallait être totalement transparent. Il faut être explicite, clair, précis.
Je me suis inspiré d’autres propositions écrites et d’autres dossiers de documentaires TV « classiques ». Ceux-ci sont beaucoup moins travaillés, en général, que les dossiers de webdoc, mais ils permettent de voir comment bien construire une note d’intention ou une note de producteur. En revanche, je n’aurais pas dû bâtir ce dossier en même temps que le tournage. De la même manière, notre planning de production aurait pu être mieux organisé. En tout état de cause, je suis fier du résultat final. Même si on me le reproche, même si on trouve que c’est du reportage, même si on déplore mon ton, je suis quand même fier. J’ai quand-même réussi à mettre un gros morceau d’élection papouanne sur les sites de quatre grands médias français. C’est pas rien.
Igal Kohen
Propos transcrits par Cédric Mal
Plus loin…
– « L’Autre élection » : carnet de route d’un webdoc #1
– « L’Autre élection » : carnet de route d’un webdoc #2
– « L’Autre élection » : carnet de route d’un webdoc #3
– IN SITU : Entretien multimédia avec Antoine Viviani
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