Quoi de neuf du côté du pôle web d’Arte ? Le Blog documentaire s’est rendu dans les locaux isséns de la chaîne franco-allemande pour le savoir. Quelle stratégie, quelle ligne éditoriale ? Quid du jeu vidéo ou de l’animation ? Que penser de l’archivage ou des projections de webdocs en salles ? Alors qu’Arte peaufine de nouvelles productions d’envergure attendues dans les prochains mois (« Fort McMoney », « Type:Rider », « Mémoire vive »), tour d’horizon des questions actuelles avec Marianne Lévy-Leblond, responsable des productions web et des projets transmédias, et Gilles Freissinier, successeur de David Carzon à la direction de l’unité web.
Le Blog documentaire – Gilles, votre arrivée au sein du pôle web d’Arte, c’est aussi un peu de l’esprit Canal + qui souffle désormais dans les couloirs ?
Gilles FRESSINIER – Il y soufflait déjà ! Il n’y a qu’à observer les productions soutenues par ces deux chaînes pour constater qu’elles auraient très bien pu voir le jour indistinctement chez l’une ou chez l’autre.
D’un point de vue éditorial, ce que réalise Arte sur le web est à la pointe de la création, à la fois dans les outils utilisés, dans les formats, mais aussi dans les sujets. Il y a des thèmes qui sont propres au web qui se retrouvent aussi bien sur le site de Canal+ que sur celui d’Arte.
Mais rassurez-vous : je suis loin d’être perdu dans cette nouvelle maison ! Je suis dans le même état d’esprit.
L’héritage, en tout cas, est conséquent, après Joël Ronez et David Carzon…
G.F. – Ce que je constate, c’est que de très nombreux projets fourmillent ici à Arte. C’est en cela très intéressant. Je pense pouvoir apporter une réflexion supplémentaire sur la manière de les construire d’un point de vue éditorial. Comment pouvons-nous par exemple mieux communiquer, notamment grâce aux outils que j’ai pu expérimenter ailleurs ? Je crois que nous pouvons encore approfondir les manières d’interagir avec les projets sur les réseaux sociaux. Comment mieux discuter, comment engager les publics d’une manière plus forte ? Ce sont des questions que nous devons travailler.
J’ai aussi été séduit par l’aspect éditorial très fort des projets en cours chez Arte. J’ajoute qu’on a la liberté ici de tester des choses, et de pousser toujours un peu plus loin les logiques mises en place. Comment continuer à innover ? Comment aborder des sujets intéressants avec tous les outils proposés par le web ? Comment, aussi, découvrir de nouveaux auteurs ? Le chantier est vaste, et enthousiasmant : il s’agit finalement de créer des formes qui aient du fond.
Et au bout de cette volonté d’innover se trouvent parfois de bons filons, comme les fresques interactives… 127 rue de la garenne, Lens vous voyez le tableau, Marseille le Mistral urbain…Est-ce un hasard, finalement, ou est-ce une réelle volonté de votre part que de reproduire un modèle qui fonctionne ?
Marianne LEVY-LEBLOND – Il y a deux éléments de réponse. Le premier, c’est l’animation, qui est une tendance lourde. C’est un bilan que nous avons effectué en janvier 2013 au Forum blanc. En réfléchissant à la manière de présenter une synthèse des projets que nous avions en cours, nous avons nous-mêmes fait un constat que nous n’avions pas prémédité de manière aussi délibérée ; à savoir : la proportion vraiment importante du registre graphique ou de l’animation dans les projets, et cela à des endroits vraiment différents. Il y a effectivement les fresques, mais aussi des séries de programmes courts comme J’ai rêvé du président ou les productions réalisées avec la Blogothèque. Il y a aussi la revue de BD en ligne du professeur Cyclope. Il y a enfin Type:Rider. C’est un ensemble de projets de natures très différentes.
Le deuxième élément consiste à dire qu’il nous a semblé effectivement utile d’explorer un format, et en l’occurrence celui de la fresque. Il n’est quand même pas inintéressant de réfléchir à reproduire un dispositif qui fonctionne bien… et on ne va pas réinventer l’eau tiède à chaque projet ! Nous sommes vraiment dans une logique de prototype, mais le cadre de la fresque est très stimulant. On ne va pas le reproduire pendant 10 ans, mais il permet de faire émerger des lignes esthétiques très différentes. Le schéma global est identique, mais les auteurs et les dessinateurs changent. Marseille le Mistral urbain ne ressemble pas au Lens vous voyez le tableau ou à 127 rue de la garenne. Tant que le format est stimulant et qu’on n’a pas l’impression de s’y sentir prisonnier, on aurait tort d’arrêter de le travailler et de le ré-habiter à chaque nouvelle expérience.
L’animation est clairement une tendance lourde. Le jeu vidéo en est une autre. Comment voyez-vous cet aspect de la création web ? Est-ce, selon vous, une manière de valoriser ou de minorer la matière documentaire ?
M. L-L. – C’est très variable. Dans nos projets, force est de constater que Type:Rider n’a pas grand-chose à voir avec Fort McMoney. Le premier repose sur la création d’un univers esthétiquement très fort et un dispositif de jeu très simple. C’est plutôt un chemin pour aller faire vivre aux publics une expérience très accessible d’un point de vue de l’usage, et très riche d’un point de vue formel. Si la proposition nous était arrivée sous une autre forme, nous nous y serions d’ailleurs aussi intéressés car nous nous sommes attachés ici à cette idée de jeu comme dispositif. Ce n’était pas faire du jeu pour du jeu. Nous étions d’ailleurs très perplexes, jusqu’à présent, sur les propositions de serious games que nous recevions.
Quant à Fort McMoney, il s’agit d’un vrai défi : proposer, à l’intérieur d’un dispositif de jeu, quelque chose dont la visée est clairement documentaire. L’enjeu est ici de rendre compte d’une réalité avec un point de vue fort. La manière dont on propose aux publics de l’aborder passe par un dispositif de jeu qui devrait théoriquement stimuler une forme de questionnement politique et social. C’est un jeu, mais c’est aussi un documentaire politique.
Nous ne recherchons donc pas le jeu pour le jeu de manière systématique. Cela dit, les jeux vidéo font partie des usages que l’on retrouve sur le web. A nous aussi de nous en emparer pour créer des contenus originaux, et forts.
Il y a un an, David Carzon parlait de 5 à 6 projets webnatifs produits par an, 1 à 2 projets crossmédias et 4 à 5 projets hybrides. Est-ce toujours le cas ?
M. L-L. – Nous en sommes plutôt à 2 projets hybrides. C’est vraiment le plus lourd à faire fonctionner. Nous en avons d’ailleurs un pour la rentrée, qui nous plait beaucoup – c’est de la fiction [Intime conviction, NDLR]. Un terrain que nous n’avons pas encore très bien exploré sur les productions web. Le dispositif et la matière filmée sont très intéressants. C’est un projet hybride à bien des égards, articulé entre l’antenne et le web, mais c’est aussi, dans le tournage réalisé pour le web, quelque chose de fabriqué dans les conditions réelles d’un procès en assises, avec des comédiens professionnels qui tiennent le même rôle qu’à la télévision, un jury recruté sur le web, et des magistrats professionnels. Le résultat est prometteur.
Est-ce que les critères de sélection des projets sur lesquels vous vous engagez ont changé depuis un an ? David Carzon nous disait en 2012 qu’il recherchait des projets délinéarisés, participatifs, très ancrés dans le réel et dans notre époque, avec un point de vue d’auteur très fort…
M. L-L. – Oui, mais on pourrait ajouter ou retrancher certaines de ces caractéristiques. Elles ne sont d’ailleurs pas toutes présentes en même temps, ou avec la même importance. Est-ce que Alma, par exemple, est un projet délinéarisé ? C’est très interactif, et très linéaire. In Situ était aussi très linéaire. A l’inverse, Une contre-histoire des Internets est très délinéarisé. Nous appliquons finalement une série de critères, en poussant les curseurs plus ou moins loin selon les projets.
G.F. – L’ancrage dans le Réel, et notamment dans le réel du virtuel, dans le réel du web, c’est très important. Comment utilise t-on Internet aujourd’hui ? Que va-t-on y chercher ? Les réseaux sociaux, aussi, sont déterminants dans cette réflexion. C’est une manière pour nous de communiquer sur nos contenus, mais c’est aussi une façon de faire participer les internautes, et de cocréer les usages via les réseaux sociaux.
L’innovation est aussi un critère important. Quant à la délinéarisation, c’est devenu un élément classique de conception pour les créateurs. Plus personne ne se cantonne aujourd’hui à de la vidéo linéaire.
M. L-L. – Une autre manière de le dire, et on n’y pensait pas il y a trois ans, c’est l’idée du temps réel, que cela passe ou non par les réseaux sociaux. Nous sommes très attachés à ce temps réel de l’expérience, que ce soit dans une version un peu minimale avec Prison Valley, où on affichait par exemple le nombre d’internautes présents sur le site, jusqu’à des choses beaucoup plus sophistiquées.
Vous êtes donc très attentifs aux projets qui ont déjà pensé leur diffusion, ou en tout cas leur manière d’aller rencontrer les publics…
G.F. – Absolument. Tout créateur doit se poser cette question : où et comment aller chercher les internautes ? Plus que la TV, le web est immense. Connaître les usages, les lieux de rencontre, c’est un aspect important pour faire connaître nos productions.
C’est pas un peu compliqué parfois de travailler chez Arte ? Vous êtes l’un des diffuseurs de webdocumentaires les plus demandés – et il n’y en a pas beaucoup… Du coup, les sollicitations pleuvent, non ?
M. L-L. – De nombreux projets que nous recevons sont aussi sur les bureaux de France Télévisions, et d’autres chaînes. Nous recevons même des projets accompagnés en développement par France Télévisions, qui n’ont pas été enclenchés en production, et qui nous arrivent !
G.F. – Il y a clairement très peu de diffuseurs ambitieux pour les webdocs. En gros, il y a Arte et France Télévisions. Un peu Canal +, mais surtout en termes de déclinaisons web de programmes TV.
Nous sommes donc évidemment très demandés pour les webdocs, mais ce n’est pas le cas pour d’autres projets comme les formats courts. Nous ne sommes pas cités comme référence dans ce domaine, et pourtant nous sommes très actifs avec des propositions comme Tout est vrai (ou presque) par exemple. Ces projets sont pourtant à l’image des webdocs : webnatifs, parfois participatifs, et parfois interactifs. Nous allons d’ailleurs développer ce type de contenus sur le site et à l’antenne, c’est l’objet de l’appel à projets que nous avons lancé dernièrement.
L’une des forces du site d’Arte, c’est la qualité de l’ensemble de ses propositions, mais bien d’autres aspects restent à défricher, comme les jeux vidéo bien sûr. C’est une forme d’accès à des médias complémentaires avec le documentaire.
M. L-L. – J’ai l’impression que l’équipe web d’Arte et tous les interlocuteurs avec lequels nous travaillons (producteurs, auteurs…) ont le sentiment d’être très privilégiés de pouvoir participer à des projets de ce type. C’est un moment où on invente des formes nouvelles et des dispositifs inédits. Je n’ai aucune idée sur la manière dont on considérera ces productions dans 10 ans. Est-ce que certains schémas vont se stabiliser, se prolonger, s’industrialiser ? Nul ne le sait, et c’est très bien ainsi.
Un peu de provoc… Est-ce qu’il est possible de produire en France un webdoc d’envergure sans Upian ?
M. L-L. – Bien sûr ! Nous travaillons avec de nombreux autres producteurs. Parmi nos projets en chantier, nos interlocuteurs s’appellent Antoine Viviani, Darjeeling et Nova Prod (pour un projet autour de Philip K. Dick), Benjamin Nuel et Lardux Films (pour Hôtel). Cela étant, les équipes d’Upian sont très douées. Alma, par exemple, a notamment séduit parce que ce programme était très simple d’utilisation, avec une forme d’interaction très particulière, mais c’est très complexe d’un point de vue technique.
Alma a été un succès remarquable, notamment du point de vue de l’audience… Est-ce que vous recevez maintenant beaucoup des projets copiés-collés sur le webdoc de Miquel Dewever-Plana et Isabelle Fougère ?
M. L-L. – On reçoit une proportion non négligeable de projets qui sont pensés explicitement « sur le modèle de Prison Valley ou d’Alma ». Evidemment, ces projets n’ont rien à voir avec les référents qu’ils citent.
Allez-vous renouveler l’accord qui vous lie à l’ONF pour deux projets ? Pensez-vous également à d’autres partenariats et/ou coproductions à l’international ?
M. L-L. – Nous allons effectivement renouveler l’accord-cadre avec l’ONF, dans des termes sans doute assez similaires, sur des objets qu’il est trop tôt pour aborder. Cela consiste à produire deux projets en deux ans avec un apport garanti de chaque partenaire de 100.000 euros. Nous renouvelons cet accord car nos envies se croisent beaucoup.
G.F. – Nous aimerions même aller au-delà et approfondir cet accord. Il s’agirait d’intensifier et diversifier les relations entre deux partenaires qui s’entendent bien et qui travaillent bien ensemble.
M. L-L. – Pour le reste, nous sommes très attentifs à ce que produisent les uns et les autres. On observe les propositions de SBS, par exemple – et on regrette un peu que John MacFarlane ait quitté le département interactif. Nous ne ferons pas forcément d’accords-cadres avec cette chaîne australienne, mais il est envisageable de bâtir des collaborations sur la base des liens qui existent déjà entre Arte et SBS pour la programmation antenne. Même chose avec Radio Canada, d’ailleurs. Cela étant, la coproduction internationale strictement sur le web, ce n’est pas évident.
Oui, mais c’est peut-être là que l’avenir se jouera aussi. Adieu Camarades était bien une coproduction internationale ?
M. L-L. – Oui, c’était une très grosse coproduction TV, avec 15 partenaires, et le projet web s’est glissé dans ce cadre. Cette coproduction a autorisé une codiffusion, mais tous les partenaires ne se sont pas investis de la même manière sur Internet. Ils n’ont pas tous participé à l’aspect éditorial des choses, ni même tous contribué à la même hauteur dans le programme interactif. L’enjeu, ici, reposait sur la codiffusion, en 15 langues. [Marianne Lévy-Leblond n’était pas encore arrivée au pôle web d’Arte à cette époque, NDLR]
Qu’en est-il des anciens projets d’Arte ? Par exemple, le webdocumentaire sorti lors de la Coupe du Monde de football en 2010, Arte S.C…
M. L-L. – Cet objet a été coproduit avec AGAT Films, et nous avons acquis des droits de diffusion pour une durée assez standard de 3 ans. L’échéance arrive et la question du prolongement de ces droits de diffusion se pose. AGAT Films va donc devoir décider de maintenir ce programme en ligne, ou pas – ce qui posera la question de son hébergement. Nous sommes l’actuel diffuseur du webdoc, mais nous ne sommes pas maîtres de sa visibilité une fois les droits de diffusion d’Arte arrivés à terme.
Cela étant, il s’agit d’une vraie question que nous rencontrons de plus en plus souvent. La problématique consiste à savoir si nous sommes capables et s’il est pertinent de continuer à porter ces objets et de les mettre en avant. Il ne s’agit pas de les héberger pour qu’ils ne soient vus de personne. Pour Arte S.C., nous sommes clairs avec le producteur (Arnaud Colinart) : la réalisation de ce webdoc a été une belle expérience pour tout le monde, mais la fréquentation du site aujourd’hui ne justifie pas pour nous de continuer à le porter, d’autant plus que notre capacité de mise en avant reste limitée. Nous préférons nous concentrer sur d’autres choses, et on espère que le producteur saura trouver le moyen de maintenir ce webdoc en ligne.
Tout cela pose une question un peu plus lourde : les créations sur le web sont-elles vouées à être éphémères (et n’est-ce pas finalement mieux ainsi) ? Ou peuvent-elles durer et résister au temps ?
G.F. – Elles peuvent durer, mais cela dépend un peu aussi des accords passés entre les ayant-droits et le diffuseur.
M. L-L. – Je pense que la question se pose distinctement pour chaque objet. Il est certain que nous devons commencer à réfléchir sur l’archivage, et cette problématique est très intéressante. Nous avons notamment rencontré une équipe de l’INA Sup pour commencer à y travailler. Nous en discutons aussi avec nos camarades de l’ONF qui, eux, ont une mission de conservation de leurs films produits depuis 70 ans, et maintenant de leurs créations web. Mais aujourd’hui, personne n’a le début d’une réponse technique sur le sujet. Nous commençons à y réfléchir, mais nous sommes coproducteurs et diffuseur, et non producteur délégué, et ce n’est donc pas notre mission que d’archiver les objets.
2013 a vu l’émergence de « Storycode Paris », une série très utile de conférences mensuelles sur des projets de documentaires interactifs ou transmédias. Dans une version du « manifeste » de la manifestation, on peut lire que « la relation entre le créateur et le couple producteur/diffuseur reste inégale, immature, où l’un est dominé par la puissance de l’autre ». C’est un sentiment partagé par certains acteurs. Qu’en pensez-vous ?
M. L-L. – Arte revendique un rapport un peu plus nuancé avec ses partenaires. Nous ne nous inscrivons pas tant que cela dans le registre de la commande, nous recherchons un statut de partenaire, et non de commanditaire. Mais il faut de l’argent pour financer les projets, et Arte présente une source de financement, ce qui induit effectivement un certain type de rapports.
On peut tourner ce genre d’affirmation dans tous les sens mais, venant de la télévision, j’ai été frappée de trouver sur le web des sociétés comme La Blogothèque qui produisent et financent des contenus de façon agile. Ils font des propositions très créatives en s’inscrivant dans un rapport qui ne ressemble pas aux relations traditionnelles entre producteur et chaîne de télévision.
Je ne suis donc pas certaine que ce soit la manière la plus juste et la plus stimulante de considérer les choses. Cela étant, je ne connais pas ce qui se joue dans d’autres chaînes de télévision.
G.F. – Le rapport de force est clairement plus favorable aux auteurs à Arte que dans les chaînes privées. La différence est même incommensurable. Ici, nous parlons de « partenariat » ; dans le privé, on utilise les termes « prestataires » ou « clients ». Nous privilégions ici la création et les auteurs. Il ne s’agit pas pour autant de laisser libre cours à la création sans limite. Le diffuseur a des obligations légales et éditoriales à faire respecter. Il y a donc un rapport de force certain : nous n’acceptons pas tous les projets. Nous sommes face à de nombreuses propositions faites à un média qui en refuse beaucoup et en accepte quelques-unes. Notre travail consiste à faire le lien entre de nombreuses productions et un public conséquent en trouvant les lieux de rencontre idéaux. Partant de là, je comprends que les auteurs peuvent parfois se sentir fébriles par rapport à un média qui décide si, oui ou non, il croit en leurs projets. Cela étant, je crois que ce rapport est plus équilibré sur le web, notamment parce que le coût de diffusion est le moins élevé par rapport aux autres supports. Imprimer un livre ou louer une salle de cinéma, c’est plus compliqué que mettre du contenu sur un site web où tout le monde peut s’instituer comme média. Les acteurs traditionnels voient d’ailleurs très bien que le rapport de force n’est pas nécessairement à leur avantage dans les créations web. Arte, chaîne de création, se place délibérément dans une optique de partenariat.
M. L-L. – Cela dit, il n’y a pas de naïveté à avoir. Il est clair que nous sommes dans un rapport de forces puisque chacun défend ses intérêts ou sa vision. Mais j’ai plutôt l’impression que les professionnels savent que nous sommes avec eux.
Le constat est un peu le même que dans le monde du documentaire classique où certains auteurs se sentent malmenés par les chaînes de télévision, quand ce n’est pas ignorés.
M. L-L. – Il existe cependant un paradoxe sur Internet que nous avons beaucoup rencontré. On nous a reproché de ne pas mettre par exemple 20 heures de contenus en ligne partant du fait que le média est potentiellement illimité. Nous devons donc mener un patient travail de pédagogie. Les producteurs traditionnels comprennent les contraintes d’une grille de télévision, mais certains ont encore du mal à admettre que le web n’autorise pas tout, notamment du point de vue de la lisibilité et de la visibilité des projets. Il n’y a aucun sens à mettre en ligne des choses qui ne seraient pas vues.
Est-ce que l’apport moyen d’Arte sur les webproductions a augmenté depuis 2012 ? David Carzon nous expliquait que ces sommes avaient été revues à la hausse l’an passé car vous vous étiez rendu compte que les producteurs étaient un peu à l’étroit…
M. L-L. – Cela a effectivement été le cas en 2011/2012. Depuis, nous sommes toujours en légère augmentation d’une année sur l’autre. La question qui se pose aujourd’hui concerne surtout la fiction. L’ordre de grandeur pour les projets documentaires ne va pas trop bouger. Nous tenons cependant à ne pas être condamnés à une logique de case fixe qui induirait tel montant pour n’importe quel webdoc. Nous cherchons à varier la taille des projets et nos apports en réfléchissant au cas par cas. La fiction, que ce soit pour le web ou ailleurs, reste chère.
Est-ce à dire qu’elle va tout de même se développer ? Comment gérez-vous d’ailleurs la cohérence de votre offre globale sur le web, entre grosses productions et objets plus modestes ?
G.F. – Globalement, nos productions web présenteront toujours une thématique proche des préoccupations de l’antenne. Nous sommes une chaîne généraliste culturelle, donc ce que nous imaginons sur Internet sera traité, d’une manière ou d’une autre, à l’antenne. Ce qui nous intéresse dans notre service, c’est d’enrichir l’offre de l’antenne mais aussi d’être dans l’innovation sur les formats, les personnalités, les producteurs, les genres, etc. A chaque projet, ce ne sont d’ailleurs pas souvent les mêmes interlocuteurs, les mêmes façons de produire, les mêmes acteurs, les mêmes dispositifs, etc.
M. L-L. – Les objets liés à l’antenne sont au cœur de la mission du pôle web au quotidien, mais nous avons, et nous aurons toujours des objectifs d’expérimentation ambitieux, avec des projets qui n’ont pas d’équivalents à l’antenne. Ces objets webnatifs sont des chantiers d’exploration de nature très spécifique, et qui ont du sens. Nous nous inscrivons ici clairement dans les missions d’Arte. Cela permet de faire émerger de nouveaux acteurs, et de nouvelles expériences, à Arte et chez les producteurs. Tout cela est ensuite mis au service d’autres projets et les nourrit.
J’ajoute que l’arrivée de Judith Louis à la direction de l’unité de programmes Fiction [pour remplacer François Sauvagnargues, NDLR] renforce les liens entre l’antenne et le web. Elle est convaincue que le web est un vivier de renouvellement des écritures. Le dialogue entre le pôle web et l’unité fiction s’est renforcé, et de nouveaux projets émergent.
Est-ce que vous, est-ce que les auteurs et les producteurs commencent à penser à la diffusion de leurs projets webnatifs au cinéma ?
M. L-L. – Cela pose au moins deux questions différentes. Si un objet audiovisuel linéaire émane d’un projet initialement webnatif, nous nous poserons d’abord la question de sa diffusion à la télévision (nous sommes d’abord une chaîne de télévision). Nous réfléchirons éventuellement au cinéma ensuite. Une alternative serait de penser au webcinéma. Dans ce cas particulier, je ne pense pas qu’on se dirigera vers des schémas de distribution traditionnels. Cela dit, la distribution cinéma évolue rapidement. Ce serait intéressant de proposer simultanément un objet en salles et sur le web. Mais le problème de la projection en salle, c’est qu’elle est locale. Nous sommes une chaîne franco-allemande, et nous devons nous adresser aux deux pays. Or, la distribution en salles est rarement symétrique.
G.F. – Il faudrait aussi utiliser la spécificité du cinéma, et ça deviendrait alors très intéressant. Qu’est-ce que cela signifie de regarder ensemble quelque chose dans le noir à plusieurs ? L’idée n’est pas de relinéariser un objet web, mais de jouer avec les spécificités du cinéma.
M. L-L. – Il y a aussi une autre manière d’y penser. Certaines de nos webproductions proposent aussi des expériences physiques. Citons par exemple Code Barre ou Type :Rider. Peut-être que la projection en salles peut être pensée en ces termes, plutôt qu’en fonction d’une distribution classique. Nous sommes alors davantage dans le registre de la performance, ou de l’installation.
Propos recueillis par Cédric Mal
Voir aussi…
– David Carzon – La production web chez ARTE #1
– David Carzon – La production web chez ARTE #2
– David Carzon – La production web chez ARTE #3
-> Notre dossier « Doc | Webdoc : Paroles de diffuseurs »
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Sur l’archivage du web, l’INA et la BNF s’en chargent, respectivement depuis 2009 et 2006. C’est un défi à la fois technique et de société. Il y a des choses à inventer et je pense que créer des échanges entre producteurs de contenus et web-archivistes ne peut que contribuer à la constitution d’une mémoire collective de qualité à transmettre aux générations futures, pour un jour pouvoir retracer l’évolution de l’objet vivant qu’est le « webdocumentaire ».
J’ai co-fondé une association qui s’intéresse au sujet et qui serait ravie d’aider. Que ce soit dans l’organisation de rencontres, l’animation de réflexion communes, ou bien pour fournir des pistes… Vous pouvez nous trouver et nous contacter sur http://www.webarchivists.org
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