Dernier article que Le Blog documentaire consacre à l’édition 2012 des Etats généraux du film documentaire de Lussas. Et cette fois-ci, nous ne vous parlons pas de films, mais d’organisation. Alice Branche est allée à la rencontre des bénévoles qui participent au bon déroulement de la manifestation. Et plus précisément, des préposés à la conduite des invités dans les dédales du festival. Vous allez découvrir qu’il s’en passe des choses entre la gare de Montélimar et le village de Lussas !…

Vous les avez forcément croisés si vous êtes venus à Lussas. Emplis d’ardeur, courant d’une salle à une autre tout au long de la journée. Le matin, le regard hagard, les yeux cernés de fatigue après une nuit de plus dans la folie du Blue bar. Les bé-né-vo-les. Ils sont 120 ! 120 passionnés de documentaires, aspirants réalisateurs, chefs opérateurs, producteurs… ou juste passionnés. Ils portent à bout de bras le festival, remplissant divers rôles : accueil, navette Montélimar-Lussas-hôtels, régie, prêt de casques pour les traductions simultanées, service au bar, mais aussi débats enflammés sur les films, débriefings interminables sur les événements (cinématographiques ou non) de la veille, fiesta jusqu’au bout de la nuit…

Festivalière depuis cinq ans, je suis allée à leur rencontre. Pour leur demander de définir « l’esprit » de Lussas, de mettre des mots sur leur amour pour ce festival. Pour leur demander aussi de raconter LA rencontre marquante qu’ils y avaient faite. Je suis repartie avec une question en tête : pour quelle raison exactement n’ai-je jamais été bénévole à Lussas ?!

La parole est à eux…

© Mary Tarantola
Les bénévoles © Mary Tarantola

« Ici… » 


Aurore :

Ici, il n’y a plus d’étiquette. Ici, ça devient facile. Ça paraît normal de rencontrer les réalisateurs. Quand on est bénévole à l’accueil salle, on reste avec le réalisateur pendant que son film est projeté. On assiste donc à ses émotions pendant la projection.

Le village n’est pas très étendu. En fait, ici, on est tous assis à la même table… On ne pense pas aux étiquettes. Tu discutes avec quelqu’un et tu te rends compte que c’est le réalisateur du film de la veille que tu as adoré.

Cyril Lussas
Cyril

Cyril :

Ici, on rencontre des gens toute la journée sur l’écran. Des films du monde entier sont projetés. Une impulsion est donnée par cet échange. Les réalisateurs sont là pour présenter celles et ceux qu’ils ont filmés. Les filmés ne sont pas juste des sujets de films, mais aussi des personnes. Ces rencontres sur écran ont un retentissement sur notre attitude. On est poussé à aller vers l’autre. On va gratuitement vers l’autre, pleinement. Ici, j’ai rencontré des personnes que je reverrai.

J’étais un peu stressé en arrivant, je ne connaissais personne. En fait, il ne faut pas plus d’une journée pour qu’on comprenne ce que contient l’endroit. Étudiant en Master de cinéma (recherche), je ne connaissais pas très bien le documentaire, mais je pense que l’envie de faire du documentaire va se pointer après Lussas. Elle s’est déjà pointée en fait.

Cécile :

On est en plein milieu de l’Ardèche, dans un tout petit village avec deux rues perpendiculaires, qui le temps d’une semaine se transforme en une gigantesque salle de projection. L’ambiance est décontractée. Il y a quelque chose de simple. On peut parler à tout le monde. Le camping est gratuit. Des douches sont à disposition. A ma connaissance, il n’existe aucun autre festival de ce type, où l’argent est si peu présent.

Ici, la plupart des films ne sont pas formatés. Ici, tu rencontres une partie de cette avant-garde française, réalisateurs et producteurs qui cherchent à faire du cinéma d’auteur et à porter un regard personnel, animé.

Cécile
Cécile

Cyril :

J’ai l’impression que le fait que le festival ne soit pas compétitif change tous les discours que peuvent avoir les gens. Tous les films sont sur un pied d’égalité. C’est moins virulent et, du coup, on va plus loin. Tu viens te nourrir des films, sans avoir besoin de « recracher ». Tout le monde a envie de savoir ce que l’autre a pensé des documentaires qu’il a vus. Il y a une énergie folle qui fait que des grands timides ne sont plus timides.

Cécile :

Ici, il n’y a pas de meilleurs, il n’y a pas de moins bons. Il y a des films. Il n’y a pas de pensée unique. Dans cet endroit, on est là pour valoriser la différence. La plupart des gens ne se connaissent pas, mais se rencontrent pour partager. C’est un moment où les prétentions tombent.

Ici, si tu as envie de dire quelque chose, tu es écouté, tu as une place, que tu sois cinéphile ou néophyte. La programmation propose autant des films de réalisateurs confirmés que des premiers films, sans faire de distinction. Tout le monde est mis au même niveau.

Et une salle est mise à disposition pour tout un chacun qui veut montrer son film. C’est un espace de rencontre génial, de partage de créations. Des gens montrent des films qui ne sont pas finis, pour avoir des retours. D’autres montrent leurs films qui n’ont pas été sélectionnés. Ils n’ont pas été sélectionnés, mais ils ont quand même un espace.

Cyril :

Ici, on voit tellement de choses qui se font qu’on se dit qu’il y aura toujours à proposer. Lussas désinhibe. Beaucoup ont puisé leur envie de pratique en venant au festival.

Victor
Victor

Victor :

Un Canadien est arrivé effrayé à Lussas. Après l’avion, le train, la navette, il s’est dit qu’il ne pourrait jamais repartir de cet endroit ! Les réalisateurs étrangers sont toujours très étonnés de se retrouver dans un festival dans un village perdu. L’ambiance leur plait.

Nicole :

Lussas est un lieu singulier, situé à plus d’une demi-heure de la gare. Le lieu peut sembler perdu aux arrivants. Et justement, on fait en sorte qu’ils ne se sentent pas perdus. Nous ne sommes pas de simples chauffeurs. On assure le premier accueil.

Ici, le cinéma est ce qui nous anime tous. J’adore quand je ramène à la gare plusieurs invités et qu’un dialogue se noue entre eux autour des films qu’ils ont vus dans la journée et que, fatalement, je n’ai pas vus. J’adore entendre la passion, les débats, les recommandations. Je me fais des films sur des films que je n’aurai pas le temps de voir dans la semaine – mais que je verrais peut-être plus tard. J’adore qu’on me donne envie d’aller voir un film.

Je fais partie de l’association depuis sa création ou presque. Quand je suis arrivée en Ardèche, l’une des premières personnes que j’ai rencontrées, c’est Jean-Marie Barbe. Avant le début des États généraux du film documentaire en 1989, on a organisé à Lussas, dès 1979, le festival Cinéma des pays et régions. Je ne suis pas lassée, je suis fière de ce qu’on fait ici. Même si maintenant je travaille ailleurs, je participe toujours au festival. C’est ma famille. C’est mon histoire.

 

La belle équipe.
L’équipe navette.

« Ici… on fait des rencontres tous les deux pas »


Nicole… et Pierre Bouteiller

Mon statut est différent de celui des autres chauffeurs, qui sont plus jeunes et pour la plupart encore étudiants en cinéma. En tant que présidente de l’association Ardèche Images, j’assure davantage une fonction de communication et de représentation. Je prends en charge les voyages de nos partenaires. Cette année, j’ai par exemple été chercher le président du CNC, Eric Garandeau. On passe quarante minutes dans la voiture, ce qui laisse du temps pour parler. C’est un espace de dialogue privilégié, où le temps est comme suspendu.

Une rencontre m’a particulièrement marquée, celle avec Pierre Bouteiller. La première fois que je suis allée le chercher à la gare, je me suis retrouvée dans la voiture avec quelqu’un que je n’avais jamais rencontré, mais dont la voix m’était totalement familière. J’avais l’impression que la radio était allumée, alors qu’elle était éteinte. C’était un moment absolument magique. J’écoutais ses émissions sur France Inter et France Culture. C’était très étrange de l’avoir à côté de moi, de converser tranquillement avec lui et d’avoir l’impression que la radio était allumée.

Aurore… et Claire Atherton… et la famille du Petit Moulin

Ici, on fait des rencontres tous les deux pas. On peut se dire « à plus tard » en ayant l’assurance qu’on se recroisera de toute façon. Être bénévole, c’est faire des milliards de rencontres sans cesse. C’est difficile d’en faire ressortir une ou deux qui soient extraordinaires et qui effacent les autres. Mais je peux quand même citer deux rencontres fortes.

L’une avec Claire Atherton, la monteuse des films de Chantal Akerman. Elle a le génie du montage, mais aussi de l’humain. Je l’ai rencontrée dans le cadre du Master. Elle est arrivée pour encadrer nos travaux de réalisation. Elle avait l’air de ne pas y toucher, et mine de rien, elle nous a tous transformés, par ses conseils et surtout par sa manière d’être. Elle m’a inspirée pour tout, de façon globale.

Une autre rencontre que je place au même niveau, c’est celle avec la famille qui tient Le Petit Moulin [l’un des deux bars de Lussas, NDLR]. Pendant le Master, Le Petit Moulin, c’était mon repère, chaque soir.

Victor… et Marcel Hanoun

L’an dernier, j’ai rencontré Marcel Hanoun [Marcel Hanoun est décédé le 22 septembre 2012, NDLR]. Il avait eu un grave problème de santé peu de temps avant le festival. Il était extrêmement fatigué, mais tenait absolument à venir pour présenter ses films. J’étais son chauffeur attitré : je le conduisais d’une salle à l’autre dans les rues de Lussas. J’ai donc eu le temps de parler longuement avec lui, de son cinéma, de ses projets. Il m’a expliqué comment il souhaitait continuer à filmer jusqu’à sa mort, même de manière de plus en plus marginale. Je n’avais vu aucun de ses films à l’époque. On est restés en contact. On a continué à s’envoyer des mails de temps en temps.

Marcel Hanoun
Marcel Hanoun

Cécile… et Ben Russell

Je n’ai pas rencontré une personne en particulier. J’ai plutôt le sentiment d’avoir rencontré la famille de l’audiovisuel documentaire français. Et d’avoir découvert des réalisateurs, des univers. Des gens avec qui échanger des regards, avec qui construire.

Mais si je ne devais citer qu’un nom, je donnerais celui de Ben Russel. J’ai été frappée par le fait qu’il ne se définisse ni comme anthropologue ni comme réalisateur de documentaires, mais comme artiste. Let each one go where he may est une expérience temporelle, physique, sensorielle, qui va au-delà des expériences classiques que j’avais pu faire en regardant des films. Ce film de 2 heures 15 est composé de 12 plans-séquences, sans aucun dialogue. On ressent la dilatation du temps. A un moment donné, on rentre dans un état modifié de conscience. Le film devient hypnotique. Je m’intéresse justement beaucoup à ces états modifiés de conscience, à la fois dans mes projets cinématographiques et dans ma pratique du shiatsu. Rencontrer un artiste qui axe son travail sur ces états est passionnant.

Tous les films de Ben Russell se passent au Surinam. Avant, les peuples dits « primitifs » étaient étudiés par l’homme blanc comme s’ils étaient en quelque sorte extérieurs à l’humanité. Aujourd’hui, nous allons à leur rencontre tels des enfants égarés, leur demandant de nous réapprendre le sens de la vie, de nous replacer dans le chemin du sens.

Edwige… et Chris Pellerin

J’ai eu la chance de conduire Chris Pellerin, réalisatrice de Fort Intérieur. Ce documentaire magnifique fait justement partie du corpus sur lequel je rédige en ce moment un mémoire. Ma recherche porte sur les mises en scène du témoignage masqué. Pendant le trajet de la gare de Montélimar à Lussas, j’ai eu quarante minutes pour discuter avec Chris Pellerin. Ensuite, j’ai pu fixer un rendez-vous avec elle pour pouvoir réaliser une vraie interview. C’était un moment précieux !

Cyril… et Jérôme Lemaire

Après la projection de Le thé ou l’électricité de Jérôme Le Maire, je me posais beaucoup de questions, des choses m’avaient dérangé dans le film et me titillaient. En fin de soirée, au bar, j’ai croisé Jérôme Lemaire. Je lui ai demandé si on pouvait se revoir à un autre moment, pour pouvoir discuter de façon plus posée. Gaëlle Berrehouc, l’attachée de presse du festival, nous a aidés à fixer un rendez-vous. Et on a déjeuné ensemble. J’ai pu lui poser toutes mes questions. C’était super important pour moi, car je voulais lui parler de problèmes d’éthique, des conséquences que peut avoir l’action d’un réalisateur. On a eu un débat passionnant sur l’éthique en documentaire. Ici, la plupart des réalisateurs accueillent à bras ouverts la discussion sur leurs films. Ils attendent de vraies critiques, par de vrais passionnés.

Yann-Olivier… et la régie

Je n’ai pas fait de rencontre particulière avec un auteur ou un réalisateur. Ce festival a été pour moi avant tout une expérience humaine, plus qu’une expérience « documentaire ».  Ce sont plutôt les rencontres entre bénévoles qui sont enrichissantes. On a tous des parcours très différents.

Ce festival a aussi été l’occasion pour moi de découvrir un nouvel univers, celui de la régie. J’ai proposé mes services à la direction du festival, en disant que j’étais prêt à intégrer une équipe, quelle qu’elle soit. J’ai été affecté à la régie. Ce travail me plait, parce qu’il me change complètement de mon quotidien. Ça me vide la tête. J’ai appris plein de mots ! Et j’ai changé de rythme, je me suis levé tôt le matin ! Je n’ai pu voir que trois films, mais ça me va très bien. Je reviendrai sans doute une prochaine année.

A la régie, nous sommes 10 bénévoles. Notre travail se divise en trois phases : le temps de montage, le temps de l’exploitation et le temps du démontage. On est donc là pendant trois semaines, une semaine avant et une semaine après le festival. Ce qui est incroyable, c’est d’assister à la transformation de ce petit village en quelques jours.

Romain… et les bénévoles

Je me souviens d’une rencontre qui ne s’est pas faite, avec Avi Mograbi. Il devait venir il y a quelques années, et il a annulé. Je ne sais pas pourquoi. Mais les rencontres qui comptent le plus pour moi ici, ce sont les rencontres avec les bénévoles. Chaque année, un microcosme se crée entre nous. Et au fur et à mesure, je sympathise aussi avec des festivaliers qui reviennent d’année en année.

Neder… et la femme de sa vie ?

Je suis sûr que la femme de ma vie est ici ! La femme de ma vie est forcément une festivalière de Lussas. Je ne sais pas si je la rencontrerai ici ou ailleurs, mais je sais que le jour où je tomberai amoureux d’une fille et que ce sera évident, elle me dira que, bien sûr, elle est allée à Lussas ! On aura vécu Lussas tous les deux, séparément ou non…

Alice Branche

Les bénévoles travaillent tard...
Les bénévoles travaillent tard…

Générique 


Présidente d’Ardèche Images, Nicole Zeizig fait partie de l’association depuis sa création ou presque. Productrice depuis 10 ans, elle continue à œuvrer pour le festival, où elle est responsable du planning et de l’équipe des chauffeurs, dite « équipe navette ».

Parmi les membres de cette équipe, Victor Zébo et Edwige Moreau-Bouchu. Diplômé de l’Ecole Louis Lumière depuis deux ans, Victor est chef opérateur en documentaire et en fiction, surtout pour des projets d’artistes plasticiens. Il est bénévole au sein de l’équipe navette depuis trois ans.
Passionnée de documentaires, Edwige vient de terminer le Master de Paris 7 « Le Documentaire, Ecriture des mondes contemporains ». Venue l’an dernier comme spectatrice, elle a voulu cette fois-ci participer au festival de l’intérieur.



Ancienne étudiante du Master de Lussas, Aurore Ferrasse avait réalisé son film de fin d’études sur la rue principale de Lussas, pour questionner le rapport des habitants au village. Amoureuse du village, elle est bénévole pendant le festival depuis plusieurs années déjà. Elle était cette année responsable de l’accueil du public en salle. Quand elle parle de Lussas, cette jeune réalisatrice a les yeux qui brillent…



L’accueil du public à la billetterie est, lui, assuré par deux « piliers » du bénévolat lussassien, présents pour la quatrième année consécutive. Neder Hadj Hassen, récemment diplômé de l’École Louis Lumière, aspirant chef-opérateur et réalisateur, et Romain Devoise, aspirant producteur. Deux inséparables qui se sont rencontrés à la fac de Nanterre, en Arts du spectacle.



Côté régie, nous trouvons Yann-Olivier Bricombert, journaliste à Ouest France en Normandie, qui découvre le festival par l’envers du décor.



Enfin, nous ne pouvions pas ne pas parler aux barmen.
Cécile Gamard réalise actuellement son premier 52’ sur un peintre nord-américain, Lin Felton (aka Quik), qui fait partie de l’avant-garde du graffiti new-yorkais. Venue de Paris à Lussas à vélo, elle est certainement la bénévole qui a vu le plus de films.
Étudiant en Master recherche Cinéma à Lyon, Cyril Vanhelstraeten a découvert Lussas cet été, sur les conseils d’une amie de fac. Il s’est immédiatement senti chez lui à Lussas… et repart avec l’envie de faire des films.

Un grand merci à Gaëlle Berrehouc, l’attachée de presse du festival (et ex-bénévole !) pour son aide précieuse, ainsi qu’aux bénévoles…

Plus loin

Notre dossier Lussas

2 Comments

  1. c’est dommage de ne pas avoir eu une interview et des photos de Manu … mais c’est déjà pas mal d’avoir rencontré l’équipe des navettes invités

  2. Pingback: Retour sur Lussas 2013 : « Le peuple à l’écran ? » – séminaire | Le blog documentaire

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