Tout a commencé avec un bateau de deux cents kurdes échoués sur une plage. Personne ne le savait encore, mais cet événement allait bouleverser la vie d’un petit village italien. Dans « Un Paese di Calabria », Shu Aiello et Catherine Catella nous montrent un futur qui chaque jour se réinvente depuis 10 ans grâce à l’immigration. Un beau documentaire chargé d’espoir à voir dès ce mercredi 8 février dans les salles françaises…
Une mer d’huile au bleu si reconnaissable, des collines cramées par le soleil et parsemées d’oliviers ou de cactus, un berger occupé à faire paître ses moutons. On pourrait être en Grèce, en Turquie ou même quelque part en Corse ou en Sicile. Mais non, nous sommes dans Un Paese di Calabria ; c’est-à-dire, littéralement, dans un village de Calabre, en Italie. Au-delà de l’ancrage géographique affirmé par le titre, c’est dans un imaginaire collectif de la Méditerranée que le spectateur est emporté dès le début du film.
Du chant en dialecte qui accompagne ces premiers plans, jusqu’au visage de cette grand-mère déambulant dans les ruelles désertes d’une petite ville en pierre suspendue à la montagne, tout ici respire le terroir traditionnel italien. Et cette voix-off qui s’élève pour nous parler de l’immigration italienne des lendemains de la Seconde Guerre mondiale nous renvoie, elle aussi, à cette sensation d’être en présence d’un lieu confit de solitude, replié sur lui-même, voire abandonné.
Un coquillage fossilisé et accroché à un rocher donc, que ce paese di Calabria qui, à première vue, ressemble à tous ces endroits où le temps se fige un peu trop longtemps.
Pourtant, très vite cette impression est habilement déjouée. Rapidement, ce petit village sort de l’anonymat pour devenir Riace, un bled qui contrairement à ce que le titre voulait nous laisser entendre, ne ressemble à aucun autre en Calabre ! Et pour cause. Depuis qu’une embarcation précaire, remplie d’immigrés kurdes, est arrivée il y a maintenant dix ans sur leur plage, la ville a fait le courageux pari d’opter pour une politique d’accueil des migrants. De lieu renfermé, dévitalisé et passéiste, le paese se transforme ainsi en un lieu d’ouverture, extrêmement vif et engagé sur le futur.
L’intérêt du film repose aussi sur cet effet de surprise, il joue avec le cliché du « village de Calabre » pour mieux le retourner et dérouter son spectateur. Il réunit l’imaginaire collectif et traditionnel de la Méditerranée « carte postale » avec celui, beaucoup moins glamour mais terriblement d’actualité, qui hante aujourd’hui cette mer où des milliers d’hommes se jettent tous les jours pour fuir leur pays.
Un Paese di Calabria nous parle donc d’une expérience réussie, d’une cohabitation harmonieuse entre des habitants d’un petit village rural « made in Italy » et des hommes, des femmes et des enfants venus d’ailleurs qui ont « échoué » ici, sur ces côtes calabraises. Mais plus que de l’arrivée de ces personnes, c’est de départ dont il est question dans le film. De départ et de renaissance. Des migrants d’abord, qui à la fois débutent une nouvelle vie à Riace et renaissent, si l’on s’accorde sur le fait que l’horreur de la traversée et des étapes à affronter pour arriver jusqu’ici correspondent à une mort, si ce n’est physique, tout du moins symbolique. De Riace ensuite, qui a été sauvé de l’exode de sa population par cette arrivée et cet accueil pérenne des personnes migrantes, mis en place politiquement par le maire.
La force du film réside dans sa capacité à tresser l’histoire de l’émigration massive de l’Italie des années d’après-guerre avec cette histoire de l’immigration en train de s’écrire et qui nous concerne tous. Le récit de cette femme qui raconte en voix-off son départ de Riace pour Nice, soixante ans plus tôt, et son arrivée en France, permet de rendre particulièrement présent et vivant ce pan de l’histoire italienne dans l’oreille et dans le regard du spectateur.
Finement intercalée avec des scènes de vie actuelle de migrants fraîchement débarqués à Riace ou, au contraire, installés depuis quelques années, cette voix et les souvenirs qu’elle porte rétrospectivement sur cette épisode de sa vie éclaire, met en perspective de manière saisissante l’actualité de l’immigration. Ici et ailleurs, hier ou aujourd’hui, rien n’a changé. L’énergie vitale et l’instinct de survie qui conduisent des Hommes à quitter leur pays pour essayer de se tailler une vie plus douce ailleurs traversent les années, les siècles même, beaucoup plus sûrement que les embarcations empruntées pour traverser cette mer Méditerranée.
Cette voix-off qui se raconte et se souvient, sans être impersonnelle, n’a pourtant pas d’identité précise. Elle est une mémoire collective, une conscience qui vient souligner le paradoxe, l’ironie d’une situation : Riace, comme beaucoup de paese en Calabre et ailleurs, était sur le point d’agoniser de son émigration et se met à présent à revivre grâce à l’immigration. Les maisons abandonnées, laissées au bon gré des intempéries sont maintenant retapées, reconstruites pour servir de logements aux nouveaux arrivants. Les cafés, la place du marché, l’église sont ainsi repeuplés, occupés par des têtes aux cheveux grisonnants aussi bien que par des enfants, par des Italiens autant que par des Turcs, des Égyptiens, des Érythréens…
Sans être idyllique ou naïf, Un Paese di Calabria offre un regard privilégié sur ce défi que s’est lancé Riace : accueillir des migrants, s’ouvrir à leurs cultures et à leurs religions, sans pour autant renoncer ou oublier celles qui fondent l’identité même du village. Le film raconte aussi ce savant melting-pot, cette tambouille compliquée qu’il faut réinventer chaque jour. Car si ce paese ne ressemble à aucun autre par son engagement, il a néanmoins aussi les traits d’un paese 100% italien. Forte présence de l’église avec les baptêmes, les messes ou les festivités autour des Saints Côme et Damien venus de Syrie, terrasses improvisées ou petits commerces où l’on vient discuter politique et vie quotidienne autour d’un café. Tous ces éléments sont bien présents dans le film, mais ils sont toujours significatifs d’un partage de valeurs.
D’ailleurs, à Riace, la religion semble rendue à sa finalité première, à savoir être fédératrice. D’une part, parce qu’elle marque un temps de fête où les Italiens comme les migrants se retrouvent, s’amusent et célèbrent ensemble des événements qui a priori ne relèvent pas forcément de leur culture ou de leur religion d’origine. D’autre part, parce que l’église catholique n’hésite pas à laisser au sein même de ses messes, un temps pour les prières destinées à d’autres dieux que celui qu’elle honore.
Le film navigue entre deux grands enjeux : respect des traditions et porosité à d’autres cultures. Il tend à montrer que l’un et l’autre ne sont pas exclusifs, et qu’au contraire, ils peuvent coexister sereinement.
Un Paese di Calabria marche sur un fil sans jamais tomber dans l’écueil d’offrir une vision idéalisée et parfaite de cette communauté. Le film ne cesse de souligner aussi la fragilité de cette harmonie qui tient grâce aux habitants de Riace, mais surtout grâce à la détermination et à l’engagement du maire du village, Domenico Lucano. Les menaces planant sur cet équilibre sont amplement évoquées. Qu’il s’agisse de la mafia calabraise, qui voit d’un très mauvais œil cet accueil des migrants à d’autres fins que celle d’en faire une main d’œuvre facilement exploitable et qui ne recule donc devant aucune intimidation pour faire plier le maire, ou tout simplement des habitants qui préféraient un village un peu moins vivant peut-être mais aussi un peu moins ouvert, le spectateur garde toujours en tête la vulnérabilité du modèle mis en place à Riace. Vulnérabilité qui le rend d’autant plus unique et précieux.
Le film se clôture sur le renouvellement du mandat de Domenico, élu pour la troisième fois consécutive. Explosions de joie et liesse impriment ces dernières images d’autant plus fortes que rien ne garantissait cette réélection de manière certaine. Et même si rien n’est acquis, Un paese di Calabria est un film qui fait du bien tant il est réconfortant de savoir que ce village existe et rend possible une telle politique d’immigration. A la manière de cette lumineuse enseignante d’italien qui forme les nouveaux arrivants parce qu’elle sait que l’accueil qui leur sera réservé hors de Riace ne sera pas aussi bienveillant, le spectateur est lui aussi surpris, touché de penser que quelque part en Italie, perdu sur la côte calabraise, un nid douillet s’est donné pour mission d’accompagner cette nouvelle vague migratoire.
Fanny Belvisi
Dates à retenir…
A Paris, le mercredi 8 février / Espace Saint-Michel
A Toulouse, le jeudi 9 février à 20h15 / Cinéma Utopia Tournefeuille
A Montpellier, le lundi 13 février à 20h00 / Cinéma Utopia
A Saint Egrève, le mardi 21 février à 17h30/ La Vence Scène
A Avignon, le mercredi 22 février à 20h30 / Cinéma Utopia
A Orléans, le dimanche 26 février à 18h / Cinéma Les Carmes
A Blois, le lundi 27 février à 20h30 / Cinéma Les Lobis
A Etel, le mardi 28 février à 20h30 / Cinéma La Rivière
A Questembert, le mardi 28 février à 20h15 / Cinéma Iris
A Quiberon, le mercredi 1er mars à à 20h30 / Cinéma Le Paradis
A Callac, le mercredi 1er mars à 20h30 / Cinéma D’Argoat
A Guingamp, le jeudi 2 mars 20h30 / Cinéma Les Baladins
A Douarnenez, le jeudi 2 mars à 20h45 / Cinéma Le Club
A Audierne, le vendredi 3 mars à 20h45 / Cinéma Le Goyen
A Loudéac, le vendredi 3 mars à 20h30 / Cinéma Quai des Images
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