C’est une vieille connaissance qui revient sur Le Blog documentaire, qui y était déjà venue il y a quelques années pour décrire son « itinéraire d’un jeune documentariste »… Pierre-Nicolas Durand signe aujourd’hui un nouveau film, « Officiers du droit d’asile », diffusé à partir de ce samedi 30 septembre sur Public Sénat. Une plongée inédite à l’OFPRA, au plus près des agents et des demandeurs d’une protection de l’Etat français. Entretien avec le réalisateur.
Le Blog documentaire : Il existe finalement très peu de films sur l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides)… C’est si difficile d’y pénétrer en tant que documentariste ?
Pierre-Nicolas Durand : En tant que réalisateur de documentaires, je suis toujours à la recherche de sujets et j’explore beaucoup de pistes dont certaines deviennent des films. Dans cette démarche, les rencontres issues de concours de circonstances deviennent des opportunités. Le film Officiers du droit d’asile est né de ma rencontre avec Pascal Brice, le directeur général de l’OFPRA. Je n’avais pas prévu de réaliser un film sur le service public du droit d’asile avant ma conversation avec lui. Il m’a raconté son métier et celui des 300 officiers de protection de l’Office, qui doivent convoquer les demandeurs d’asile en entretien et décider de leur donner une protection, comme le statut de réfugié, ou de la leur refuser. J’avais vu des films sur le parcours des réfugiés et sur des associations qui s’occupent de ces personnes vulnérables. Je lui ai d’ailleurs parlé du film Les Arrivants, de Claudine Bories et Patrice Chagnard, qui se déroule au centre CAFDA (Coordination de l’Accueil des Familles Demandeuses d’Asile). Mais je n’avais jamais rien vu sur le système du droit d’asile du côté des agents de l’Etat pour qui c’est un travail quotidien. Je crois que Pascal Brice a bien compris ce jour-là que je n’étais pas journaliste, que je passais beaucoup de temps à côtoyer les gens et à comprendre leurs préoccupations avant d’apporter une caméra. Il m’a fait confiance et m’a ouvert les portes de l’OFPRA, d’abord pour une semaine d’observation en juillet 2015. Avec l’approbation du directeur général, il était facile d’avoir accès à toute l’administration. Mais je crois que l’accueil chaleureux qui m’a été réservé par tous les services tient à autre chose : l’OFPRA est un service public assez méconnu et qui a longtemps eu mauvaise presse.
On imagine qu’on ne vient pas directement braquer sa caméra sur les agents et sur les demandeurs d’asile… Comment avez-vous procédé dans votre travail d’approche ?
Il y a donc eu cette première phase d’observation, puis l’écriture du projet durant l’été 2015. C’est alors que la crise dite des « migrants » a éclaté. Avec le producteur Régis Ayache (Ekla Production), nous nous sommes dit que ce film n’en était que plus pertinent. Mais les diffuseurs en ont décidé autrement et ont tous, chacun leur tour, refusé notre proposition. Je n’exagère pas en disant que ça a été une période très difficile à vivre. Même si on sait très bien quand on fait mon métier que nos propositions ont toutes les chances de ne pas aboutir, à cause notamment du nombre très élevé de projets envoyés aux diffuseurs, le fait d’être le seul habilité à faire une immersion à l’OFPRA en cette période historique et que personne n’en veuille a été une grande déception. Et Public Sénat a réagi. Elle a été la seule chaîne à trouver qu’il était intéressant de se pencher sur le service public du droit d’asile en 2016.
A partir de ce moment, j’ai pu retourner à l’Office et préciser les choses en termes de dispositif et de personnages. Pascal Brice et moi avons donc conclu un marché dont nous avions parlé dès notre première rencontre: interdiction de montrer le visage des demandeurs d’asile et de diffuser des informations trop précises qui permettraient de les identifier, interdiction de filmer le visage des interprètes et même de divulguer l’identité exacte des officiers de protection. En échange, il m’a donné carte blanche. Je lui ai dit que je ne ferai pas un film pour l’OFPRA mais sur l’OFPRA, que mon but n’était pas de faire un outil de communication et il a très bien compris. Pour autant, mon but n’était pas non plus de faire un film qui déplaise à tout prix aux agents de l’OFPRA…
J’ai trouvé mes personnages de deux façons différentes. Il y a eu un appel interne à l’Office qui proposait aux officiers de protection de me rencontrer pour que je leur explique mon projet. Certaines de ces personnes ont été filmées, et d’autres non, sans doute car je n’ai pas réussi à les séduire. Certaines de ces personnes m’ont fait rencontrer d’autres officiers de protection. Et puis il y a eu toutes ces rencontres imprévues dans les couloirs, autour d’un café ou pendant le déjeuner. Au final, j’ai filmé une douzaine de personnes et j’ai tendance à penser qu’elles m’ont choisi autant que je les ai choisies. Tout cela est une histoire d’affinité et de ressenti pas vraiment rationnelle. Après, il y a quelque chose de rationnel qui guide le choix, c’est la vision que les officiers de protection ont de leur métier, leur implication voire leur passion, et leur attitude face aux demandeurs d’asile. Et autre chose aussi : je voulais une pluralité de pays et de problématiques chez les demandeurs. Or, les officiers de protection sont répartis en divisions géographiques, et j’ai fait en sorte d’avoir une sorte de panel.
Le tournage a débuté en septembre 2016. J’ai passé tellement de temps avec tous ces gens qu’ils étaient assez à l’aise une fois que je me suis mis à les filmer.
C’est un lieu sensible, politique, polémique… Quelles étaient vos intentions au départ ?
Je voulais vraiment faire ressentir le quotidien car il s’agit d’une routine assez improbable. Tout au long de la journée à l’OFPRA, on entend parler de mariage forcé, d’excision, de camp de réfugiés, de torture, de mauvais traitements… et tout ça dans les bureaux d’entretien avec les demandeurs, mais aussi aux détours d’un couloir ou autour de la machine à café car les officiers de protection ont besoin d’échanger entre collègues. Ces récits de souffrance parfois hallucinants d’horreur sont la matière première de l’Office et permettent de comprendre le poids du métier sur les épaules de ceux qui l’exercent. Et même temps, la vie au travail pour les officiers de protection ne m’a jamais parue triste. Dès le début j’ai été frappé par la bonne ambiance entre les collègues, et aussi par la présence de l’humour. Il a toujours été clair pour moi que ce film devait être drôle et triste, souffler sans cesse le chaud et le froid.
Après, en ce qui concerne la politique de l’asile en France, il y a évidemment beaucoup de choses à dire et je ne pense pas qu’on puisse jamais trouver une administration ou une politique parfaite en la matière. Mais je suis resté au niveau des agents du service public qui font ce métier atypique. Et ce que j’ai vu, ce sont des gens majoritairement bienveillants qui passent une meilleure journée quand ils attribuent un statut de réfugié que quand ils le refusent. Mais ils sont là pour faire respecter la loi. Au-delà de tout ce que peut ressentir l’officier de protection et de toute sa capacité d’empathie, il est là pour vérifier si la demande d’asile de la personne en face de lui remplit les critères, ou non.
Après le tournage – et avant le montage, y avait-il une grande différence entre les images ou les séquences dont vous rêviez et celles que vous avez pu enregistrer ?
J’ai fait un film qui correspond totalement à ce que j’ai ressenti pendant ma présence à l’OFPRA, qui s’est étalée de juillet 2015 à février 2017. Avant le tournage j’ai rêvé d’une scène à laquelle j’ai parfois assisté durant mes repérages : tout comme des chirurgiens qui ont besoin de lâcher la pression à la sortie du bloc opératoire et qui font des blagues de mauvais goût, les officiers de protection, entre eux, vont parfois loin dans leur humour pour mieux prendre du recul et ne pas être trop atteints par leur métier. Mais je n’ai jamais réussi à le capter. C’est peut-être mieux ainsi car ça aurait été difficilement utilisable. Et l’humour est tout de même très présent dans le film, d’une autre manière…
Quels fils avez-vous voulu tirer au montage ? On imagine qu’il y avait de nombreuses options différentes qui s’offraient à vous, et qui auraient pu donner un tout autre film…
Un des enjeux du montage, ça a été de trouver un équilibre entre légèreté et gravité. Mettre assez d’humour et de tendresse pour avoir un regard juste sur le métier d’officier de protection, tout en montrant qu’il y a parfois des moments tendus, où les entretiens ressemblent un peu à des interrogatoires. Car beaucoup d’histoires racontées par les demandeurs d’asile sont fausses, ou en partie fausses, et l’officier de protection doit souligner les contradictions et les incohérences.
Même si le demandeur d’asile n’est jamais le même, il y a à l’OFPRA des tendances et des situations qui se répètent : le demandeur qui récite un récit appris par cœur, qui raconte une histoire incohérente, qui se dit persécuté en raison de son homosexualité, qui raconte son incarcération dans les geôles d’une dictature, etc. J’avais envie que les situations récurrentes auxquelles j’ai pu assister soient toutes représentées.
Un des grands fils que le monteur Virgile Guihard a également tiré, c’est évidemment la formation des nouveaux officiers de protection. C’était d’autant plus important que le film n’utilise aucun commentaire et que l’accueil à l’OFPRA des nouvelles recrues et leur formation est un formidable moyen pour faire comprendre ce métier.
Enfin, je dirais qu’un des grands enjeux de ce montage a été d’ordre purement formel et rythmique. Comment faire un film haletant quand on a comme décor un téléphone, un ordinateur, un bureau, des dossiers verts et une machine à café ? Nous avons essayé d’aller le plus vite possible pour embarquer le spectateur tout en ménageant des moments de respiration pour qu’il puisse souffler et digérer les nombreuses informations données par des dialogues très denses.
Réaliser un documentaire avec Public Sénat induit généralement des moyens assez limités… Quel a été l’apport de la chaîne, sur le plan financier, technique et humain ?
L’apport de Public Sénat s’élève à 15.000 € et le producteur doit trouver le reste, en l’occurrence ici avec la Procirep et le CNC. Ce film s’est donc fait avec peu de moyens, mais il ne nécessitait aucun billet d’avion et aucune nuit d’hôtel, contrairement à mes films précédents, puisque l’OFPRA est situé en France et à Fontenay-sous-Bois. Il se trouve que je filme moi-même, ce qui permet de ne pas avoir de chef opérateur à rémunérer en plus. Seul l’ingénieur du son Pascal Bricard m’accompagnait les jours de tournage. Mais il est clair que la variable d’ajustement sur ce type de film, c’est le temps de travail du réalisateur.
Une fois le film terminé dans la version qui vous convenait, y a-t-il eu des « ajustements » à faire, à la demande de l’OFPRA ou de la chaîne ?
Tout à fait, et je pense que c’est intéressant. Il était prévu que l’OFPRA voie le film en premier. Pascal Brice ne m’a presque rien fait changer, vraiment deux légers détails qui concernaient la confidentialité des demandeurs présents dans le film. Ses modifications étaient donc guidées par l’exigence de sécurité pour les demandeurs d’asile.
Avec Public Sénat, il y a eu davantage de discussions qui m’ont permis de prendre vraiment du recul. Le diffuseur ne m’a jamais fait de remarques sur l’absence de commentaire et de musique, ce qui est quand même assez rare pour être souligné. Nous avons en revanche changé l’ordre de certaines scènes pour que des informations soient présentes plus tôt dans le film. Comme la séquence d’accueil des nouveaux officiers de protection qui arrivait nettement plus tard dans la première version. Et puis nous avons aussi mis plus d’éléments qui permettent au spectateur de connaître un peu mieux les personnages. L’officier de protection qui raconte qu’il était professeur avant d’arriver à l’OFPRA par exemple. Je pense que retourner en salle de montage nous a permis de faire un film plus didactique et plus efficace. En voyant le documentaire sur grand écran lors de l’avant-première du 21 septembre 2017 devant trois cent personnes dont les deux tiers étaient des agents de l’OFPRA, en entendant l’alternance des rires et des silences pesants, je me suis dit : « Nous avons eu bien fait de faire ces changements ».
Propos recueillis par Cédric Mal
Officiers du droit d’asile sur l’antenne de Public Sénat :
le 30 septembre à 23h30 ;
le 1er octobre à 10h ;
le 7 octobre à 22h30 ;
le 8 octobre à 9h ;
le 8 octobre à 19h ;
le 15 octobre à 18h ;
le 21 octobre à 14h.
Bjr je viens de voir votre documentaire. J ai eu un rejet à l OFPRA et à la cnda .ma demande d asile à été débouté. ( socialiste féministe militaire de première heure ) j ai été une incomprise et passer à la trappe du système. J en porte encore les stigmates. Et cela à vie.. motif du rejet ( quota exiger)..