Le Blog documentaire a choisi de revenir en cette fin d’année sur un film qui a marqué 2011 et qui vient de remporter le prix Arte du documentaire de l’European Film Academy.
Pina, de Wim Wenders, où l’hommage du cinéaste à l’une de ses grandes amies, la chorégraphe Pina Bausch, disparue le 30 juin 2009. Une œuvre “à la beauté fulgurante, qui s’invente aux confins des splendeurs chorégraphiques conçues par Pina Bausch, de l’émotion suscitée par sa disparition, et de la manière de filmer ». Jean-Michel Frodon ajoute, sur son blog Projection Publique que ce documentaire « ouvre une nouvelle voie pour le cinéma de manière plus décisive qu’aucune autre réalisation 3D à ce jour ».
L’analyse de ce film est aussi l’occasion pour Le Blog documentaire de donner la parole à une cinespectatrice encore étudiante en Master de cinéma documentaire…
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« Il faut adorer danser pour persévérer. La danse ne donne rien en retour, ni manuscrit à garder, ni peinture à mettre au mur ou même à exposer dans des musées, ni poèmes à publier ou à vendre, rien sauf cet instant fugace, unique, où vous vous sentez vivre »
Merce Cunningham (Changes : notes on choreagraphy)
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Wim Wenders et Pina Bausch avaient eu pour projet de faire un film. Mais Pina ne parvint pas à trouver une forme filmique qui convienne à sa danse. Le projet n’a pas été réalisé. Après la mort de la chorégraphe, Wim Wenders décide de reprendre l’idée et réalise « Pina », avec la participation des danseurs de sa troupe. Sa décision est prise lorsqu’il voit Avatar et découvre la technique de la 3D. Sans aucun doute pour Wenders, c’est le moyen rêvé pour filmer le plus fidèlement possible la danse de Pina.
Au premier abord, le nombre des danseurs est déroutant. Il y en a trop ; ils se succèdent trop vite et parlent peu. On a du mal à déceler une continuité ; les chorégraphies se succèdent sans lien apparent entre elles. En fait, le documentaire de Wenders rassemble et monte divers témoignages de ceux que la chorégraphe a marqués. C’est un film hommage, qui cherche à évoquer l’art de Pina à travers ce qu’elle a laissé à ses danseurs : ses chorégraphies. Il y a trois grandes séquences de groupe, entrecoupées de duos ou de solos, eux-mêmes mis en lumière par quelques commentaires des danseurs.
Chaque personne est filmée de face, sans parler. En off, on entend sa voix qui évoque ce que Pina représente pour elle. Pourquoi choisir de ne pas les voir parler ? Il y a quelque chose d’intéressant dans ce procédé. On pourrait le définir comme une sorte d’effet Koulechov, mais entre l’image et le son. En effet, suivant ce que l’on entend se dire, on est amené à interpréter le visage immobile du témoin autrement. Si le témoin évoque un souvenir triste ou s’il évoque un souvenir heureux, on ne verra pas son visage de la même manière. Mais l’essentiel de ce choix réside surtout dans le fait que les témoins sont des danseurs. L’intérêt du film ne se situe pas au niveau de la biographie ou de l’histoire. En fait, chaque témoignage est associé à une danse, ou plutôt, chaque danse est filmée comme un témoignage de ce qu’était l’art de Pina Bausch. Le danseur parle et s’exprime avec son corps et son visage, non avec sa voix.
Le film pose alors la question de la mise en images filmiques de la danse. Comment rendre compte du travail d’une chorégraphe ?
Bande annonce
La danse, c’est du mouvement qui s’inscrit dans le temps et dans l’espace. Chaque pas a une durée qui lui est propre, et qui est propre au corps de chaque danseur. Comment filmer cela ? Et surtout, comment le monter ? Wim Wenders accorde une grande importance au temps dans ses films. Il privilégie le plan séquence, ou des plans longs dans lesquels il laisse évoluer l’action et les personnages. Une manière de faire qui se prête parfaitement au film de danse puisqu’aucune coupure n’arrête le mouvement du danseur. Mais comment filmer de cette façon sans que cela ne devienne qu’une simple captation de spectacle ?
Chaque chorégraphie est mise en scène pour être filmée. Outre les scènes de groupe, les danses sont réalisées dans un décor naturel censé enrichir la chorégraphie. Les choix de cadre et de mouvement de caméra sont induits par ce qu’évoque la danse. Qu’en est-il du choix de la 3D ?
Wenders affirme ce choix comme le seul qui se soit présenté à lui lorsqu’il cherchait un moyen de rendre en images une chorégraphie de Pina Bausch. Grâce à cette technique, certains passages nous donnent littéralement l’impression d’être dans une salle de spectacle et de voir une scène, en profondeur, sur laquelle les danseurs se déploient (d’ailleurs, nous voyons parfois les fauteuils au premier plan). Wenders accentue les effets de profondeur avec des plans pris de biais, offrant au cadre une perspective et une profondeur de champ. Ses images sont souvent composées de trois plans ; les danseurs se situent au deuxième, ce qui les englobe dans un espace plus profond, propice à l’effet de trois dimensions. Parfois, le danseur, dont la taille est immense, semble se détacher du fond et surgir devant nous.
Mais, autre effet étrange dû à une technique encore balbutiante, la 3D a parfois tendance à miniaturiser les personnages, comme s’ils étaient dans une maison de poupée. Wenders en a sûrement conscience et sait en jouer, notamment lors de la scène où deux témoins discutent devant une maquette de scène, dans laquelle ont été incrustés les danseurs, réduits à la taille de poupées. C’est ainsi en jouant sur l’effet miniaturisant que Wenders arrive à détourner le problème de la captation de spectacle.
Le film montre également quelques archives, au début, à la fin, et au milieu. La manière en soi de les représenter participe de « l’effet théâtre » qui parcourt le film, puisque ces images sont toujours projetées de manière indirecte sur un écran de cinéma. Quel intérêt ont ces archives ? Elles montrent Pina, lors de ses répétitions, ou bien en train de danser sur scène. Elles fonctionnent comme un lien entre le passé et ce qu’il en reste, les traces, celles que les danseurs sont en train de laisser grâce au film de Wenders, mais aussi celles que Pina a laissées en chacun des danseurs. C’est assez parlant dans la chorégraphie du Café Mueller, où une danseuse joue le rôle de Pina. Par le montage et un changement d’axe de caméra, le film lie une archive montrant Pina avec la scène présente dansée par la remplaçante. Comme si la transmission avait été opérée, et que l’âme de Pina vivait toujours à travers ses danseurs.
C’est en cela que le film fonctionne comme un hommage. Il représente une communauté unie par une seule âme, celle de Pina. Cela se décèle notamment dans le montage, qui alterne les danses avec les témoignages, qui passe des danses de groupe à des solos ou des duos. Le groupe est filmé comme un ensemble duquel se détachent certains personnages, ceux qui s’expriment, qui témoignent. On passe du collectif à l’individu, chaque personnage parlant de son expérience et de son rapport personnel avec Pina. C’est en cela que l’on peut parler de pluralité des points de vue.
Comme tout art qui se veut universel, la danse a la capacité de résonner en chacun d’entre nous. Le grand nombre de chorégraphies présentes dans le film donne l’opportunité à chaque spectateur de se retrouver dans l’une d’entre elles. Et, finalement, ce que nous disent tous ces témoins, et ce que nous dit le film, c’est que l’art de Pina est comme cela : il peint les passions humaines et il nous parle de ce que chacun de nous connaît (l’amour, la peur, la souffrance, la joie, la lutte, la vacuité, le besoin, etc.).
Claire Ballini
Les précisions du Blog documentaire
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1. Claire Ballini est étudiante en Master DEMC Le Documentaire : écritures des mondes contemporains (université Paris VII – Denis Diderot). Elle a égalament suivi une formation en histoire de l’art à l’École du Louvre (Paris).
2. Voyez aussi cet entretien avec Wim Wenders à propos de Pina :
3. Pina Bausch a réalisé un seul film au cours de sa vie : La Plainte de l’impératrice, sorti en juin 2011 chez L’Arche éditeur.
4. Notez également cet autre documentaire sur l’art de Pina Bausch, tourné en 2008 et sorti en salles en 2010 : Les rêves dansants de Pina Bausch, de Anne Linsel et Rainer Hoffmann.
6. Fiche technique « Pina » :
Réalisation : Wim Wenders.
Chorégraphe : Pina Bausch.
Image : Hélène Louvart, Jörg Widmer.
Son : André Rigaut.
Montage : Toni Froschhammer.
Production : Neue Road Movies/Gian Piero Ringel, 2011.
Distribution : Les Films du Losange.
103 minutes, 3D, couleurs.
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