« Sans frapper » est un film fort, et puissant. A partir du récit d’Ada, victime de viols, la réalisatrice Alexe Poukine compose un documentaire avec le concours de femmes et d’hommes qui interprètent cette histoire en y mêlant petit à petit les leurs. Nous revenons avec la cinéaste sur le processus de création de son film qui a reçu plusieurs prix et qui est disponible sur le site d’ARTE jusqu’au 19 novembre. Ce nouvel épisode de notre podcast « L’Atelier du Réel » est réalisé par Clara Beaudoux.
« Je pensais que je savais très bien ce qu’était un viol, que j’avais réfléchi au sujet, et je me suis aperçue en écoutant Ada, que je ne savais pas du tout ce que c’était. J’ai eu tellement honte de moi-même que son histoire m’a un peu poursuivie, et j’en ai parlé autour de moi. A ma grande surprise, beaucoup de mes amies m’ont dit qu’une histoire similaire leur était arrivée. J’ai été très frappée de ne pas le savoir alors que ce sont des proches. Et puis quand j’en ai parlé à des amis, des gens normaux, pas du tout psychopathes, ils m’ont dit : ‘si ça c’est un viol, moi aussi je suis un violeur’. C’est ce qui m’a donné envie de faire le film. »
« J’avais très peur, en demandant à Ada de témoigner face caméra, qu’elle se reprenne la violence qu’elle avait déjà vécue multipliée par cent par les spectateurs. (…) En commençant à travailler sur le film, je me suis aperçue à quel point il était difficile de s’identifier à des victimes de viols. (…) Je me suis dit très rapidement qu’il fallait que je trouve un dispositif qui mette une distance pour que le spectateur puisse entendre cette histoire. J’avais aussi envie de faire un film autour de l’empathie, et je crois très fort au pouvoir performatif du jeu, de la performance d’acteur. Je me suis donc dit qu’en demandant à des gens d’interpréter le rôle d’Ada, en apprenant ses mots et ses enchaînements de phrases, ils seraient obligés de se mettre dans sa peau. Et j’ai l’impression que c’est ce qu’il s’est passé. »
« Je ne sais pas si je peux dire que les choses ont été plus fortes que prévu, mais la réalité est toujours mieux que la fiction. Mes films sont toujours très écrits, on est un peu obligé de le faire pour les produire, et ils ressemblent assez fort aux dossiers. Sauf que dans les films les gens sont extraordinaires, ils vivent des choses qu’on ne peut pas inventer. C’est pour cela que je continue de faire du documentaire et que je ne fais pas de fiction. Je ne pensais pas que les gens s’identifieraient aussi facilement à l’histoire d’Ada, et je trouve que c’est ce qui est touchant dans le film. »
« Je pense qu’il y a beaucoup de films, et c’est hyper prétentieux ce que je vais dire… Si je n’en fais pas beaucoup, c’est que je me mets énormément de pression et que j’essaie de faire quelque chose qui me dépasse un peu. Je me dit que si vous ne faites pas un film pour changer ce que les gens pensent, ou pour qu’ils vivent une expérience qui va peut-être décaler d’un millimètre au moins leur vision du monde, cela ne sert à rien de faire des films… »