Nouveau « portrait de prod’ » sur Le Blog documentaire ! Après AGAT Films, Hans Lucas ou encore Corner Prod, place ici à un producteur aux multiples casquettes, parti prenante de l’aventure Mediapart et réinventeur du lien social à la sauce entrepreneuriale, Pierre Cattan dirige Small Bang, structure qu’il a montée il y a un an. Retour sur une rencontre en forme d’échange vif et passionnant qui éclaire le CV du père de Cinemacity (avec Michel Reilhac, conseiller artistique), sorti il y a peu…
« Attention, tornade en action » constituerait un excellent panneau indicateur à l’entrée de l’open space où sévit Small Bang sis, comme d’autres confrères dans le quartier, au sein des locaux d’une ancienne et imposante usine (de chaussures, en l’occurrence). Derrière les couleurs acidulées du logo du studio transmédia luisent le crâne rasé et les idées en réseau de Pierre Cattan. Et s’il fallait bien s’arrêter à décrire le « chef », c’est toute la bande dont il aurait fallu tirer le portrait, ces six jeunes à peine trentenaires qui pianotent à qui mieux-mieux et qui, d’arrachepied, travaillent sur Cinemacity depuis mi-janvier. « Je crois au management horizontal » lâche Pierre, intenable, qui supervise en même temps qu’il met son manteau le petit bandeau de remerciements réalisé en quatrième vitesse par un graphiste (barbu, forcément) pour les 300 premiers « likeurs » de la page Cinemacity sur Facebook. Façon de marquer que l’événement, à l’heure du web mobile, se créé en temps réel. Action-réaction : derrière ces petites créations quotidiennes « qui ne sont pas uniquement de la communication », c’est la construction patiente et méthodique d’une audience qui se joue.
Mais avant d’évoquer Cinemacity, nous – c’est-à-dire la prometteuse Liso Cassano et moi-même – nous sommes laissés entraîner dans un restaurant vietnamien de Belleville, à Paris, tout près des bureaux de la jeune société. Belleville où Pierre a recrée l’utopie du bobo parisien, projets internationaux et ancrage local pour des collaborateurs qui habitent pour la plupart dans le coin. Agir local, penser global, cela vous dit quelque chose ? Normal, Pierre n’est pas né du dernier engagement politique. C’est d’ailleurs par un retour sur les jeunes années de ce producteur aujourd’hui siégeant à la commission Nouveaux médias du CNC que l’on découvre d’où émane sa fibre très sociale.
Flashback, donc, presque 15 ans en arrière quand, après une maîtrise de droit public, le jeune idéaliste qui ne « possède rien, ni fortune, ni héritage » part sur les routes d’Espagne, d’Italie et du Portugal avec le projet de créer un journal européen écrit par des rédactions locales, « pour des donner des outils à la démocratie en Europe« . Un réseau social avant l’heure en quelque sorte, pour lequel il apprend, souris autodidacte en main, Xpress ou Illustrator – de quoi concevoir un journal avec les « nouvelles technologies » de l’époque. Le numérique est déjà son dada ; il craque même pour l’iMac d’Apple à sa sortie et, au motif qu’il possède une poignée… s’en sert comme d’un portable ! Le projet ne verra jamais le jour mais qu’importe, la fibre entrepreneuriale et sociale s’affirme déjà.
Deux années d’expatriation à Rome suivent. Puis, le retour au bercail est à l’avenant : RMI et installation dans le quartier de la Goutte d’or, à Paris, où l’intrépide décline son idée des journaux participatifs, cette fois sur les murs du quartier, avec les enfants qui n’ont habituellement pas voix au chapitre. « Ce n’était pas difficile de s’apercevoir que ce qu’ils avaient à dire était fort, qu’ils comprenaient l’intérêt de prendre la parole« , glisse-t-il. Mais si Pierre Cattan croit aux vertus du lien social comme objectif journalistique, il faut bien vivre. Alors, c’est en assistant parlementaire qu’il se transforme pour payer le quotidien. Il y croise Tristan Mendès-France qu’il retrouvera plus tard pour une aventure webdocumentaire. C’est le temps des rencontres, l’impression « promo Voltaire » d’une réunion de jeunes aux poches peu garnies mais appelés, du fait de leur avant-gardisme, à tenir les premiers rôles plus tard. Quand Pierre Cattan lance TOC, un journal qui durera presque 4 ans et 30 numéros, le réseau s’étend : son partenaire dans la création du journal n’est autre qu’un dénommé Arnaud Champremier-Trigano, futur directeur de la communication du candidat à la présidentielle 2012 Jean-Luc Mélenchon. Il fait également la connaissance de Nicolas Voisin, futur fondateur d’OWNI. La période est formatrice et commence à ressembler à la formation d’un solide carnet d’adresses.
Mais l’homme est fonceur et se nourrit de nouvelles expériences. Il s’offre une incartade asiatique avec sa belle de l’époque (Zazon, qu’on peut aujourd’hui retrouver dans l’équipe du Vinvinteur, un programme de France 5 sur… les nouvelles technologies) pour tourner un film fauché dont elle est l’héroïne. Pierre y apprend de nouvelles compétences : le maniement de la caméra (même s’il oublie d’enlever le filtre pendant la majeure partie du tournage !) et la négociation. Pour 6.000 euros, le film, Are You Bouddha ? se transforme en épisodes courts achetés par France 4 en 2008.
Quelques mois plus tard, la mue s’opère : Pierre Cattan aborde le métier de producteur avec l’énergie des petits nouveaux ayant l’ambition de bousculer les prés-carrés existants. Le sillon se trace de plus en plus nettement : il rejoint Gaël Cordier chez 5ème Étage Production et produit notamment Happy World, une satire du régime birman réalisée par Gaël Cordier et… Tristan Mendès-France. Si le contenu peut facilement s’oublier, le projet vaut surtout pour sa dimension sociale de partage. A l’origine auto-produit, le projet est ensuite optimisé avec les équipes d’Upian (qui préfiguraient là un travail ensuite approfondi sur Alma) pour pouvoir être embarqué sur de multiples sites. Le film pouvait également être téléchargé pour organiser des projections. Et ce ne sont pas les contacts qui manquent dans le monde du militantisme. Pierre a battu le pavé avec ATTAC, côtoyé du poncho contestataire et du débat d’idées à Porto Alegre lors du forum mondial… expérience dont il a même tiré le scénario d’une bande dessinée intitulée Un autre monde est possible (avec François Olislaeger).
En 2012, le cap s’affirme encore un peu plus. Il quitte 5ème Étage Production pour fonder en 2012 Small Bang : « J’avais besoin d’être seul à bord pour monter les projets que je souhaitais », confie-t-il. Ses activités de bouillonnement social, elles, sont toujours aussi nombreuses : il co-organise l’aventure des Open Bidouille Camp avec Sabine Blanc, Ophélia Noor et Andrea Fradin, journalistes de feu-OWNI, coordonne le numéro d’Usbek et Rica (magazine dont il est lui-même à l’origine, en 2009) sur les hackers ou encore co-fonde, avec sa femme et un ami, Superbelleville, un espace de co-working… N’en jetez plus ! Côté production, la création de Small Bang lui est bénéfique. Il convainc enfin les équipes de Mediapart de proposer gratuitement une grande émission en direct. « Je les ai tannés et ils ont fini par dire oui ! C’est un excellent moyen d’attirer de nouveaux lecteurs ». Lui qui se dit aisément impressionné par Edwy Plenel n’a pas renoncé pour autant à son mode de fonctionnement : pour les émissions, il s’est mis lui-même à la réalisation multi-caméras. Touche-à-tout brillant qui semble absolument vouloir garder une image de débrouillardise, il croit au tournage rapide : les 10 « mini-docs » réalisés en marge de la fiction Alt-Minds, ont été produits dans le studio créé à l’intérieur des locaux de Small Bang. « Quand tu tournes vite, tu gardes les gens mobilisés ; ils ne s’épuisent pas à attendre. Et tu peux les payer mieux ».
Social dans tous les sens du terme, mais peu enclin à la mondanité. Il a beau siéger à la commission Nouveaux médias du CNC (« une expérience incroyable, qui me fait découvrir tout un univers »), il a beau être invité à Cannes pour présenter Cinemacity (« là-bas, dès que tu mets un costard-nœud pap’ et que tu rentres dans les soirées, tu changes littéralement de statut. Les femmes te regardent différemment, juste parce que tu sembles avoir du pouvoir ! »), il préfère regagner ses locaux où il prépare ses projets avec son équipe. Cinemacity, cet ambitieux programme de balade cinématographique où Paris devient terrain de jeu pour voir ou revoir des extraits de films tournés dans la capitale aiguise déjà plus d’un appétit, notamment chez les distributeurs de films qui voient là une belle opportunité pour vendre leur catalogue. Mais Pierre Cattan reste fidèle au creative common : « Je tiens à ce que Cinemacity reste développé dans la sphère publique, accessible à tous, et non privatisé », rappelle t-il. Les partenaires, il est vrai, sont à ce jour uniquement publics : le CNC, ARTE ou la mairie de Paris.
Pour ses projets personnels comme à Small Bang, le social apparaît partout aux côtés de l’envie d’entreprendre. Comme une envie de faire advenir une « civilisation du partage, où le collectif et l’individuel sont un peu repensés pour éviter les excès du collectivisme et ceux de l’individualisme, où la consommation devient moins frénétique et plus consciente »… Pierre Cattan résume sa croyance dans le management horizontal avec cet aveu : « mon modèle, c’est Pixar. Chaque matin, ils organisent une réunion tous ensemble, du DG au stagiaire, et chacun peut s’exprimer. Cela fait que tout le monde se sent impliqué sur les projets ». Certes, il n’a pas encore la carrière d’un Steve Jobs, malgré une capillarité similaire… Et en même temps, on préfèrerait lui voir garder le caractère artisanal de ses productions (dans le sens noble du terme) plutôt que de devenir une multinationale du transmedia…
Nicolas Bole
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