Le Blog Documentaire propose ici son premier portrait de producteurs avec une figure bien connue parmi les Twitteurs (ainsi baptisés par @bernardpivot1) et autres amis de Facebook : Wilfrid Estève qui, avec Virginie Terrasse, a cofondé le studio Hans Lucas.
P.O.M. ?
Précieux Ouvroir Multiple de projets…
Quand on s’apprête à écrire un portrait sur deux producteurs de POM qui ne viennent pas de l’agriculture, tous les jeux de mots possibles, inimaginables et potentiellement inavouables vous passent par la tête. Mais évoquer le parcours de Wilfrid Estève et de Virginie Terrasse oblige à la retenue et pousse à la création. Car s’il fallait ne retenir qu’un mot de l’énergie qui se dégage de l’interview qu’ils m’accordent, ce serait bien celui-là : création.
Celle de la POM (allez, on arrête le suspense : la « Petite Oeuvre Multimédia ») remonte au projet Territoires de fictions, initié en 2005 par les deux photojournalistes et qui a rapidement compté plus de 100 défricheurs (photographes, designers sonores, graphistes, réalisateurs…) oeuvrant en collectif. Un acronyme juteux en forme de liberté de ton à l’heure où les représentations stéréotypées de la société française squattaient les médias traditionnels. La POM, ce petit programme d’une à quatre minutes qui « anime l’image fixe, lui apporte une troisième dimension et permet une approche directe, sensitive et ludique du sujet et constitue une passerelle entre information et création » (cf. Freelens) : avenir de la photo ?
Plutôt « une continuité dans la façon d’aborder la photographie » souligne Virginie Terrasse qui, dans un même élan, rappelle à l’attention de tous ceux qui assimileraient POM et diaporama photo : « Dans le diaporama photo, on trouve souvent de la musique, et rarement un travail de création sonore, comme nous l’imaginons pour la POM ». A tel point qu’Hans Lucas, le studio qu’ils ont créé avec un troisième comparse, Lorenzo Virgili, a déposé le nom « POM » comme une marque pour éviter que tout bidouilleur vidéo qui réalise un diaporama avec des LOL-cats et une chanson de Marylin Manson puisse se prévaloir de l’acronyme. « En réalité, on ne l’a pas véritablement déposé… C’est simplement qu’il est important de savoir de quoi on parle précisément, entre une POM, un diaporama ou un webdocumentaire, qui sont tous des outils différents et ont chacun leurs spécificités », précise Wilfrid Estève. Insistons : faudrait-il dès lors, à rebours de ce qu’on entend partout dans la profession (le webdoc : un mot valise), préciser aussi ce qu’est un webdoc et ce qui n’en est pas ? « Oui, si cela permet de comparer des œuvres qui sont comparables. Et cela ne veut pas dire que ce qui n’est pas un webdoc n’est pas bien. Regardez Blabla par exemple ! » (on vous recommande effectivement de vous amuser avec ce programme de l’ONF, tout à fait enthousiasmant).
Ces questions de dénomination peuvent paraître purement théoriques mais elles agitent pourtant le petit monde des nouveaux médias, au sens très large : un monde dans lequel le webdocumentaire, comme la POM, fait désormais rêver nombre de jeunes apprentis journalistes. Le secteur de la formation professionnelle a, comme de juste, suivi le mouvement. Wilfrid Estève fait dans ce panorama un peu figure de « parrain », avec sa quinzaine d’années d’expérience dans la presse traditionnelle avant de devenir un utilisateur actif des ressources du Web. A deux pas du café où nous papotons, l’EMI-CFD accueille chaque année une vingtaine de jeunes, qui viennent s’acoquiner avec ces nouveaux usages. Wilfrid Estève est leur professeur et leur insuffle un seul mot d’ordre : soyez créatifs ! Non seulement sur le fond mais aussi sur la forme, la façon de manager leur projet : il insiste dès le départ pour qu’ils déploient leurs sujets pour plusieurs plateformes, avec un maximum de partenaires possibles.
A l’instar de Territoires de fictions, fourmillant projet de 2 ans proposant au final plus de 600 photos et plus de 60 POM et décliné en expositions un peu partout en Europe, les projets ne doivent plus être pensés pour une case en particulier. « Une façon très XXe siècle de produire », pour Estève, qui n’a pas, il est vrai, le profil de celui qui attend sagement qu’un dossier passe en commission sans « réseauter » à tout va pour faire vivre son projet. Pour preuve, le projet qu’il mène actuellement avec les étudiants de l’EMI, 21 voix pour 2012, est présent sur la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank (et vient d’y réussir sa collecte pour 5.000 euros), mais a déjà développé des partenariats avec OWNI, Youphil et Silicon Maniacs. La plateforme interactive « 60 secondes pour un quiquennat » vient de sortir… Et ce n’est qu’un début : il ne se passe pas une semaine sans qu’une info sur le projet ne sorte sur le profil Facebook de Wilfrid Estève. Et quand on imagine que les 21 co-porteurs du projet font de même sur leur page personnelle, on imagine tout de suite l’ampleur que peut prendre cette (nouvelle) forme de communication et comment celle-ci peut intéresser de nouveaux partenaires.
Difficile, dès lors, de ne pas voir dans ce type de projets une manière radicalement nouvelle de penser la production. Hans Lucas fait figure, dans le cas présent, d’OVNI, à mi-chemin entre le collectif de photographes, l’agence photo et la boîte de prod’. On trouve un peu de tout dans cet ouvroir de projets potentiels, dont le nom est un clin d’œil au pseudo du Jean-Luc Godard, critique de cinéma. Le mot « création » prend tout son sens quand les deux producteurs parlent de la façon dont le studio fonctionne. « On fait les projets qu’on a envie de réaliser », affirme Virginie. « Nous sommes en situation d’indépendants qui gérons et vivons de nos propres projets. Aussi, quand on se met à réaliser quelque chose avec Hans Lucas, c’est avec une grande liberté, on ne s’oblige à rien ». Wilfrid : « On me pose souvent la question du financement et du modèle économique. C’est clair que pour l’instant, il n’existe pas ; il faut aller chercher l’argent partout, et en fonction de chaque projet, créer des partenariats qui aient du sens ».
Wilfrid Estève parle, à titre d’exemple, de La nuit oubliée, la plateforme documentaire réalisée par Olivier Lambert et Thomas Salva sur les événements du 17 octobre 1961. « Quand ils sont venus nous voir à Hans Lucas, ils n’avaient presque pas commencé à tourner, et n’avaient que très peu d’argent… et les 50 ans de l’événement, c’était deux mois après ! Il fallait tout faire en très peu de temps ». Au final, le projet se fera avec 28.000 euros, trouvés ça et là (sur Dailymotion, au CNC, avec Lemonde.fr, diffuseur de l’œuvre), un budget très modeste. Mais surtout, l’ADN du projet s’est transformé quand l’œuvre a intégré l’apport de la bande dessinée : « Comment aurions-nous fait si nous avions déposé un projet avant de savoir que nous utiliserions la BD ? », interroge Wilfrid. La création, là encore, s’allie avec l’adaptation : la production n’est pas un long fleuve tranquille, elle se fait presque en temps réel, en fonction des opportunités et des contacts que cette grande boîte à idées qu’est Hans Lucas et ses membres peut apporter au projet. Et au final, l’œuvre a remporté le Grand Prix du jury 2012 du WebTV, festival international de télévision sur internet de La Rochelle.
Ce qui est sûr, c’est que le web est omniprésent dans la philosophie de Wilfrid Estève et Virginie Terrasse. « Être présent sur le web, faire du montage, prendre du son et des photos : tout cela est naturel pour les jeunes étudiants que je forme, », dit Virginie Terrasse qui s’occupe aussi au CFPJ des journalistes plus aguerris qui, eux, vivent parfois la convergence numérique comme une remise en question de leur façon de travailler. Wilfrid Estève ne la contredit pas : il faut dire que son profil Facebook, qui affiche plusieurs milliers de contacts, est truffé d’infos et de liens ; une sorte de revue de web permanente sur le photojournalisme qui fait de lui, selon ses propres termes, un « geek ». Virginie s’étonne du qualificatif et le raille gentiment. « On est souvent pas d’accord », conclut Wilfrid dans un sourire. C’est bizarre, mais pour ce qui est de l’essentiel et non de l’anecdotique, on a du mal à les croire…
Nicolas Bole
Plus loin…
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La POM est un « concept » ?
Personnellement depuis que j’ai appris cela, je pense que la pédanterie et la fumisterie prennent du niveau.
Comme si un format median était une forme d’invention nominative. Moi j’ai inventer la GOM et aussi la MOM.
D’ailleurs citez moi donc le nom de/des inventeurs des infographies.
N’importe quoi…
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