Nouveau partenariat pour Le Blog documentairequi s’associe, à l’occasion du FIPA 2013, avec le Master pro DEMC de l’université Paris VII – Denis Diderot. Les étudiants de cette formation ont été chargés d’écrire des analyses critiques de films vus pendant le festival, et nous vous proposons ici les meilleurs textes. Premier exemple avec Jeanne Teyssier qui s’attaque au « road movie hip-hop » Lookin 4 Galt.

lookin4Galt– Hi, where is Galt ?

– Where is God ???

– GALT !

– I’ve no idea…

Comme beaucoup d’entre nous, le pompiste new-yorkais, interrogé par deux Frenchies à travers la vitre d’une Chrysler, ne sait pas quoi répondre. Galt, c’est Galt MacDermot, le compositeur génial du musical de la contre-culture HAIR, adapté au cinéma par Milos Forman. Les deux Français, ce sont Mathieu Rochet et Nico Venancio, qui ne font qu’un seul homme sous le nom de Gasface. Ils sillonnent la jungle new-yorkaise à la recherche du génie oublié, enfin pas par tous…

Un petit groupe, cénacle de collectionneurs fétichistes et, accessoirement, grands producteurs hip-hop tels que Buckwild, Prince Paul ou Pete Rock, et des rappeurs comme El Da Sensei, vénèrent ce blanc canadien comme un précurseur du funk d’avant « Sex Machine » ; un musicien hybride qui puisait aussi bien dans le jazz que dans la folk et le funk. Tous l’ont, comme on dit dans le jargon, « samplé », disséqué, pour en faire la matière de leurs beats. Sur l’asphalte du Bronx, sur les sièges en cuir de voitures traversant la nuit, Gasface va à leur rencontre, les fait parler de Galt, mais bien plus : de rap, de son histoire ou de son inspiration.

Car Lookin4Galt, en particulier le film de 52’, noyau d’un webdocumentaire, est une sorte de road-movie dont le Graal est bien plus un prétexte pour dire un état des choses, ici la raison d’être de la musique rap, et de la musique en général qui puise sa force de création dans l’héritage des anciens. Gasface a su montrer ici que le hip-hop et la musique de Galt battent au rythme de la ville de New York. Un passant interrogé à la volée dit sa lassitude ; au détour d’un escalier, une voyante dit la bonne aventure, dans une atmosphère à la Mullholand Drive. Dans les interstices du montage, les plans des rives de l’Hudson, les trottoirs et les néons du Bronx et de Times Square sur des notes jazz, funk et rap, ont un air de déjà vu, et pourtant ils recréent un fantasme dont on ne se lasse pas. Ce film n’est pas seulement un road-movie hip-hop parce qu’il parle de hip-hop, mais surtout parce qu’il en a l’esthétique.

lookin4galt_3-640x354Gasface fait du montage. Entre les interviews, un beat de musique. La bande son est une composition en soi : mélange des mélodies de Galt avec le rap florissant des années 90, mais aussi surtout avec les flots de paroles des interviewés. Avec en mains un matériel de guérilleros de l’asphalte (deux 5D et une GoPro), les plans bougés ont du hip hop le langage frontal, et les grands angles, le baroque. Et puis, Gasface ne se prend pas au sérieux, allant jusqu’à interviewer un obscur écrivain de polars qui, à leur question sur la manière de retrouver Galt, leur répond que « peut-être un truc dramatique va arriver, il va vous agresser, peut-être qu’il a piégé sa maison, des haches vont tomber du plafond… ».

Comme chez Tarantino, la dérision associée à une sérieuse soif de connaissance sur le hip-hop et à un fantasme lui aussi très sérieux est jubilatoire. Il y a des moments de grâce, comme cette interview du grand batteur funk Bernard « Pretty »Purdie qui donne sa caution morale à la pseudo-quête documentaire sur Galt, ou encore ce montage-remix de la célèbre chanson « I ain’t got no/I got life » composée par Galt pour Hair, et interprétée par Nina Simone. A la fin du film, Galt nous ouvre la porte de sa maison de Staten Island. C’est tout ce que l’on verra de lui, et une jolie manière de désamorcer la fin du voyage.

La forme web de Lookin4Galt est extrêmement simple, ce qui fait sa réussite. L’essentiel se concentre sur le film de 52 minutes. Depuis janvier, tous les vendredis sur Dailymotion – coproducteur du webdocumentaire avec Full Rhizome, producteur de musique basé à Marseille – Gasface a posté des spin-offs, interviews des acteurs de la funk et du hip hop, plus installées mais non moins travaillées, et « mixées ». Les épisodes, les anecdotes – Pete Rock qui médite dans le dédale d’un disquaire – cristallisent les ruptures et les permanences du hip-hop, et laissent entrevoir les lames de fond de la création. On y retrouve des personnages déjà rencontrés dans le film de 52’, comme Buckwild, ce qui donne l’impression, au fur et à mesure, d’une nébuleuse qui invite à la promenade dans l’univers hip-hop.

D’ailleurs, le film de 52’ lui même est une déambulation, (on n’avance pas, en vrai, dans un road movie !), comme le Route One USA de Kramer qui, en d’autres temps, qui sait, aurait pu voyager sur le web. Proche, aussi, de lInterview Project de Lynch ou des « films-chapitres » de Lech Kowalski sur CameraWar.tv, qui se présentent au final comme des séries documentaires. Dans le genre, Gasface avait déjà fait ses armes avec le webdocumentaire New York Minute sur Arte.tv – et ils sont les premiers à avoir obtenu l’aide au développement du CNC pour les nouveaux médias sans le soutien d’un producteur.

Gasface n’a pas l’ambition, souvent ratée ailleurs, de faire participer l’internaute au niveau du récit, mais il suscite l’envie ultime d’aller fureter sur internet. Dans la poussière des vinyles, Pete Rock indique la marche à suivre : « Vous connaissez un type qui connaît un type, donc si vous connaissez quelqu’un qui connaît quelqu’un d’autre, qui pourrait connaître quelqu’un, vous avez des chances d’y arriver » (Chairman Mao, la voix du sage).

Jeanne Teyssier

Plus loin

– Vues du FIPA 2013 : Seules dans les montagnes du Yunnan (Wang Bing)

– Vues du FIPA 2013 : Point de fuite (J. Szucs & S. A. Smith)

No Comments

  1. Pingback: Vues du FIPA 2013 : Lookin4Galt (par Gasface) | Fact. Disruptive Transmedia Network | Scoop.it

  2. Pingback: Vues du FIPA 2013 : Lookin4Galt (par Gasface) | Web et Documentaire | Scoop.it

  3. Pingback: Vues du FIPA 2013 : Seules dans les montagnes du Yunnan (par Wang Bing) « Le blog documentaire

  4. Pingback: Vues du FIPA 2013 : Point de fuite (J. Szucs & S. A. Smith) | Le blog documentaire

  5. Pingback: Vues du FIPA 2014 : Rencontre avec Bruno Monsaigeon | Le blog documentaire

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *