Nouveau coup de coeur du Blog documentaire : après Are Vah !, nous soutenons un autre projet (prometteur) en train de se faire… L’Autre élection vous racontera très bientôt le scrutin électoral national en Papouasie Nouvelle Guinée. Nécessaire distance pour salutaire mise en perspective… Suivez ici les différentes étapes de ce projet avec Igal Kohen, le producteur et le réalisateur de cette initiative multi-forme…
Papouasie, démocratie et production web
Depuis plus d’un an, je porte le projet webdocumentaire L’Autre Élection, dont je suis l’auteur et pour plusieurs raisons aussi le producteur. Après de longs mois de maturation et d’apprentissage, nous voici enfin dans le grand bain, prêts à partir tourner à l’autre bout du monde. De l’écriture aux contacts diffuseurs, en passant par la campagne de crowdfunding, voici les étapes traversées jusqu’ici, et quelques utiles leçons apprises au passage.
1. À la source de l’idée
En 2007, je profite d’un séjour de quelques mois en Australie, pour me rendre dans un pays voisin, que je ne connais en rien, si ce n’est que des hordes d’anthropologues en ont foulé le sol, avides de diversité linguistique, de rites et de coutumes : la Papouasie Nouvelle Guinée.
J’ai l’ambition d’y trouver une histoire à raconter et le timing et la nature du pays m’interpellent. L’élection présidentielle française et l’élection générale papouane ont lieu au même moment, peu ou prou ; la Papouasie est surtout un pays de villages, de jungles et d’îles en voie de développement et c’est une des démocraties les plus corrompues de la planète. Y élire les mauvais candidats revient en effet à regarder l’argent disparaitre et à condamner une province à la régression, au moins pendant cinq ans. On tente donc d’y voter avec sagesse, pour qu’enfin les bénéfices issus des nombreuses ressources naturelles du pays servent à construire des hôpitaux, des écoles et des routes, et non des baraques luxueuses de politiciens corrompus. C’est dire si les enjeux démocratiques sont plus évidents que les nôtres.
Je suis plusieurs candidats dont certains d’entre eux sont des criminels assumés, qui lancent à leurs électeurs des promesses aberrantes et leur distribuent de l’argent ou toutes sortes de babioles pour gagner des voix. On prie même Dieu avant chaque meeting que le candidat qui s’apprête à parler se révèle honnête s’il est élu. J’interviewe des dizaines de villageois dans la jungle et les îles où m’emmènent les équipes de campagne, lesquelles me font part de leur manque de foi en ces ambitieux qui réclament leur assentiment. Alors qu’on vote en France à cet exact moment, je découvre une version de la démocratie où la morale n’est pas maquillée, où les spins doctors n’opèrent pas mais où la manipulation est plus que visible et les enjeux plus qu’importants.
Tout amateur que je suis, j’ai peu de moyens, peu de matériel et je ne peux rester que trois semaines, une fraction de la campagne. A mon retour, je dois très vite gagner ma vie, et j’ai peu de temps pour le montage. Ces personnages que j’ai rencontrés, tous plus croustillants les uns que les autres, je ne raconte que très partiellement leur histoire dans Votim Mama, un premier film intéressant, mais produit seul d’un bout à l’autre et donc un peu amateur.
Nous sommes début 2011 quand je décide de réitérer l’expérience pour les élections générales papouanes de 2012, avec l’intention de travailler mieux l’histoire et le dispositif, et de voir un peu plus ambitieux. Et parce que par chez nous, la démocratie n’existe plus sans internet désormais, je veux que cette élection papouane dont personne ne parle existe sur le web pour contraster avec l’actualité de nos élections occidentales.
2. L’écriture
Entre temps, je me suis associé pour créer Piw!, une structure de production qui nous permet de gagner notre vie et d’initier des projets audiovisuels et documentaires pour le web. Je suis loin de rouler sur l’or, et partir tourner à l’autre bout du monde coûte évidement un bras et deux yeux. Je me lance donc dans la rédaction d’un premier dossier destiné à nous obtenir une aide à l’écriture et au développement nouveaux médias au CNC. L’idée : une web-série racontant une élection exotique dans une démocratie titubante, destinée à être diffusée entre les élections françaises et américaines, pour faire contraste.
Depuis Paris, j’ai un certain mal à récolter des informations : peu de médias en Papouasie, peu de sources sur le net, une actualité sur place accaparée par une grave crise constitutionnelle, des personnages injoignables. Bref, je renonce à rédiger un scénario très complet. C’est à ça que sert l’aide à l’écriture, me dis-je un peu naïvement, et je reste confiant en mon idée : des personnages forts et une image “déshabillée” de la démocratie. J’envoie donc le dossier. Réponse du CNC : L’idée est bonne mais le dossier n’est pas assez développé. Et nous voilà sans le sou, un brin démoralisés.
Nous partons avec mon associée Marine nous former à Lussas, la Mecque du documentaire, où le projet a été retenu pour une session “développement de dossier” avec des producteurs et des diffuseurs. On nous chante les louanges du projet, on nous donne des conseils et des contacts à joindre chez les chaînes, on nous encourage surtout à ne pas baisser les bras ; trois jours plus qu’utiles qui redonnent du coeur à l’ouvrage.
A ce stade – nous sommes à l’automne 2011 – le temps commence à se faire rare. Si j’ambitionne une diffusion web avant toute autre, nous pensons à nous associer avec un producteur télé pour pré-vendre une version 52 minutes du projet à une chaine, histoire d’avoir les moyens de partir au plus vite. Nous voyons Olivier Mille, patron du Fipa et d’Artline Films, production parisienne bien ancrée chez les diffuseurs, avec qui nous avions déjà un peu travaillé. Le projet les intéresse, mais ils ont d’autres chats à fouetter, et ils mettront un mois à aller voir une seule responsable, chez une seule chaîne, Arte, qui, sur la base d’un dossier incomplet et de quelques images datées, retoquera évidemment le programme.
Nous n’avons plus le temps. Si on veut améliorer le dossier, il nous faut partir au plus vite. Chez Piw!, nous avons eu une bonne année 2011. Les bénéfices dégagés nous permettent de payer le repérage. Nous initierons donc nous-même la production. Je forme un binôme avec un ami réalisateur, nous contactons tant bien que mal nos interlocuteurs sur place, complétons le matériel manquant, nous faisons vacciner et assurer, et partons pour deux semaines de tournage.
3. Un premier tournage
Ce premier tournage, toute une aventure en soi, nous permet d’insuffler un peu de réel dans les idées, de mettre en place un début de dispositif (la campagne est loin d’avoir commencée), de dérouler une narration. Plutôt que de vous décrire tout ça, je vous propose de visionner les huit minutes de l’épisode pilote que je vous autorise surtout à critiquer en commentaire, si le coeur vous en dit.
4. Quelques enseignements jusqu’ici
Il faut bien avoir en tête que pour les nouveaux médias, le CNC vise à subventionner des projets d’envergure professionnelle. Même pour une aide à l’écriture et au développement, il faut proposer un projet dont le dispositif et ses composants sont clairs et au mieux innovants. Il faut si possible avoir déjà produit du contenu et savoir répondre à la majorité des questions que pourrait soulever tel projet. Les dossiers envoyés au CNC sont nombreux et il faudra redoubler d’efforts pour pouvoir convaincre les membres de la commission, surtout pour les jeunes auteurs et les jeunes productions. Ou alors faudra-t-il avoir LA bonne idée et une manière déjà précise de la déployer en ligne. Tout est relatif mais vraiment, n’envoyez pas trop tôt un dossier qui pourrait paraître approximatif, surtout en tant que producteur (un peu plus d’indulgence pour les auteurs sans production, il parait). Et tachez de mettre la main sur des dossiers ayant obtenu des sous pour vous faire une idée du niveau d’exigence.
D’autre part, les producteurs historiques de documentaire pour la télé peuvent être de bons partenaires pour des volets de projets formatés télé, mais seulement si vous avez du temps devant vous ! Il y a souvent de l’inertie chez les diffuseurs qui reçoivent tous les projets de France et de Navarre et qui mettent donc du temps à se décider. Niveau nouveaux médias, si le producteur ne connait pas les spécificités du web et s’il n’a pas déjà une politique de production à ce sujet, il ne saura pas plus que l’auteur qui contacter et en quoi un dossier nouveaux médias n’a RIEN à voir avec un dossier de documentaire télé classique, même si les “nouvelles” écritures sont aujourd’hui officiellement de mise à la télé.
Stay tuned : à venir, la réécriture du dossier, et la campagne de crowdfunding !
Igal Kohen
Plus loin…
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