Un an et demi après le jeu documentaire Fort McMoney, David Dufresne retourne dans la ville où l’exploitation des sables bitumineux ressemble à une version moderne de la ruée vers l’or. Avec un personnage truculent en vedette de son documentaire dit « linéaire » : le trappeur Jim Rogers. Le film sera projeté ce lundi 27 avril à Paris, puis diffusé sur ARTE le 12 mai prochain. Quant au jeu, il sera enrichi d’une nouvelle partie complète avec retour des débats le 4 mai. Entretien neigeux avec le néo-montréalais, réalisé pour le magazine d’ARTE et reproduit ici.
Le Blog documentaire : Pourquoi sentiez-vous le besoin de faire un film, après le jeu documentaire Fort McMoney ?
David Dufresne : J’avais envie de dire au revoir à certains habitants de la ville, dont Jim Rogers. Quand on travaille sur un documentaire, on a toujours la sensation désagréable d’emprunter l’image de ses personnages, de leur voler leur histoire, et de les quitter sans façon. Avec ce documentaire, je voulais les saluer. L’idée n’était pas d’affirmer de nouveau mon point de vue sur les sables bitumineux et Fort McMurray, comme je l’ai fait dans le jeu documentaire. Le documentaire prend le contre-pied de Fort McMoney. Je voulais raconter la ville de manière plus intime. En ce sens, le film est beaucoup plus personnel que le jeu documentaire. Et les deux points de vue se renforcent l’un l’autre, avec deux écritures très différentes.
Pourquoi avoir mis l’accent sur Jim Rogers dans votre film ? Parce que c’est un perdant magnifique ?
Oui, mais pas seulement. Il a surtout la lucidité des fous. Et la réalité récente lui donne raison. Avec la baisse du prix du pétrole, la ville va peut-être devenir une ville fantôme ! D’un point de vue cinématographique, c’est un personnage extraordinaire qui occupe l’écran par sa présence et son rire. Et puis, Jim est un peu mon double. Il est la personne à Fort McMurray avec laquelle j’ai passé le plus de temps. Les autres personnages sont tristes alors que Jim est gai. C’est également un égaré dans sa propre ville. Car le trappeur, l’homme de l’Alberta, c’est lui ! C’est le seul personnage qui soit né là-bas. Il est garant de quelque chose, sans pour autant être conservateur.
Qu’est-ce qui a changé à Fort McMurray ? La baisse du prix du baril de pétrole a-t-elle modifié l’équilibre de la ville ?
Oui, complètement. Le boom de la ville a eu lieu parce que le prix du baril était incroyablement haut. Ainsi, même le pétrole de Fort McMurray, très cher à extraire, était rentable. Avec la chute des cours, le coût de production devient presque plus élevé que le prix de vente. Conséquence : là où il y avait 2% de logements vides, il y en a maintenant 20% ! Le camping que l’on voit dans Fort McMoney s’est également vidé. Le marché est en train de faire ce que Jim annonce dans le film et ce que tous les joueurs du jeu documentaire disent en transformant Fort McMoney en ville-fantôme par leurs votes, mois après mois. Des camps de travailleurs ont fermé.… On est vraiment dans le principe du Far West, avec une ruée vers l’or, des fortunes rapides et un possible abandon de la ville.
Comment les personnages du jeu documentaire ont-ils réagi quand ils se sont vus dans Fort McMoney ?
Les personnages du jeu ont finalement accepté plus rapidement que le grand public l’idée de l’interactivité. Bien sûr, les gens de Fort McMurray ont été critiques à l’égard de l’idée de jeu. On me disait : « ma vie, ce n’est pas un jeu ». Mais je pense qu’en 1910, on devait dire pareil aux cinéastes : « ma vie, ce n’est pas un film, pourquoi voulez-vous me filmer ? ». Malgré cela, aucun personnage n’est venu se plaindre du fait d’être devenu un élément d’une œuvre interactive. En reconnaissant que nous avons travaillé dans le respect de ce qu’ils sont, ils reconnaissent aussi l’idée du jeu et de l’interactif. C’est très curieux et très réconfortant à la fois, à l’heure où beaucoup de gens trouvent encore l’interactivité comme quelque chose de « gadget ». En tout état de cause, le jeu n’avait pas vocation à changer la ville, mais à créer des émotions et de la réflexion parmi les joueurs.
Quelle place occupent les images de Fort McMoney dans ce documentaire ?
Avec les équipes d’ARTE, on souhaitait vraiment faire un « vrai » film, c’est-à-dire avec un nouveau tournage, et pas uniquement avec les rushes du jeu documentaire. D’abord parce que tourner avec Philippe Brault, c’est s’assurer d’avoir des images extraordinaires. Ensuite parce qu’il s’agissait de proposer un nouveau regard qui a été l’objet de longues discussions. Ceux qui apprécient le film l’apprécient pour cette raison : ce n’est pas du « réchauffé ». Je n’avais posé qu’une seule contrainte : filmer l’hiver, pour pouvoir faire un raccord avec les images tournées pour Fort Mc Money.
Propos recueillis par Nicolas Bole
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Fort McMoney : votez Jim Rogers ! sera diffusé sur Arte le mardi 12 mai à 22h55.
Brut, la ruée vers l’or noir, un livre, co-écrit par David Dufresne, Nancy Huston, Naomi Klein, Melina Laboucan-Massimo et Rudy Wiebe et édité par Lux Éditeur dans la collection « Lettres libres », sort également en librairie le 16 avril.
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Générique
Auteur-Réalisateur : David Dufresne
Image : Philippe Brault
Son : David Dufresne
Montage : Alain Loiselle
Musique originale : Ramachandra Borcar
Production / Diffusion : TOXA, ONF en association avec ARTE France
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