Nouvelle digression radiophonique sur Le Blog documentaireDans le sillage de notre entretien avec Silvain Gire (ARTE Radio) ou de cette étude sur les enjeux radiophoniques des portraits interactifs, voici une initiative originale : une expérience de « radio live », qui prolonge les documentaires d’Aurélie Charon et Caroline Gillet sur France Inter Underground Democracy et Welcome Nouveau Monde.
Compte-rendu de la première soirée, avant la seconde qui se tient ce mercredi soir à la Maison des Métallos (Paris).

© Aurélie Charon
© Aurélie Charon

France Inter s’invite à la Maison des métallos pour prolonger l’émission radio Underground Democracy. D’emblée, on reconnait la voix suave d’Aurélie Charon qui nous fait voyager dans L’Atelier Intérieur et l’enthousiasme espiègle de Caroline Gillet, qui anime notamment le Tea Time Club. Rentré dans la salle, c’est avec un peu d’effort que l’on s’extirpe de ses représentations auditives pour constater qu’en effet, ce ne sont pas seulement des ondes qui nous parlent mais de vraies personnes, en chair et en os.

Sur la scène de l’amphithéâtre, les éléments clés du studio de radio sont reconstitués : une table d’invités et des micros, le bureau du dessinateur un peu en retrait, des musiciens qui accompagnent la soirée en musique. Un panneau au néon rouge devant la table annonce « RADIO Live » et une pendule digitale fait scintiller les secondes en rouge. La dessinatrice Amélie Bonnin, installée devant son Mac, fait rejaillir sur le mur du fond dessins, photos, montages et petites phrases écrites au feutre qui s’inscrivent sur l’écran projeté au gré des récits. Les deux musiciens Swann et Stephen Munsen fabriquent en direct la bande son de ces images et paroles, comme on l’entend d’habitude sur le poste. Seulement, cette fois-ci, on voit tout, comme dans une balade tridimensionnelle, in real life.

undeground-democracyQuatre invités – Amir de Gaza, Inès de Sarajevo, Amer et Sara de Syrie – siègent à la table, accompagnés d’une traductrice très sollicitée tout au long de la soirée. Les deux animatrices, tantôt assises, tantôt debout, nous font assister à l’ambiance feutrée et décontractée que l’on imagine en studio. Des micro mobiles circulent, les questions sont simples, accessibles, comme dans une discussion informelle entre des personnes qui se rencontrent pour la première fois. On aborde la vie quotidienne, les envies et le parcours de chacun. La mise en scène est dynamique. Autour de la discussion, des extraits des documentaires sonores, des photos de famille pour illustrer les récits et des invités qui investissent l’espace dans de petites situations imaginées pour l’occasion.

Quand il était adolescent à Gaza, Amir recevait des textos de l’armée israélienne lui intimant l’ordre de quitter sa maison dans un délai de quinze minutes. A l’écran, on voit apparaître les mots en arabe qu’Amir écrit sur le pad de la dessinatrice. C’est Inès qui dessine ensuite sur le sol le plan de sa maison à Mostar, en Bosnie Herzégovine. Les photos de ses parents, couple mixte bosnien-croate et musulman-chrétien, s’affichent tandis qu’elle raconte ses rêves d’ado dans sa chambre aux murs épinglés de posters de rock stars. Pendant ce temps-là, des gâteaux de Damas ramenés par le couple syrien sont distribués gracieusement au public qui se passe de mains en mains la boîte en carton. La gravité des témoignages est bien-sûr palpable mais sans lourdeur, contre-balancée par l’écoute chaleureuse et la convivialité du rendez-vous.

L’expérience est émouvante et enrichissante. Elle redonne aux conflits géopolitiques une dimension humaine en convoquant histoires personnelles et intimes, pour montrer ce que les schismes culturels et les guerres produisent sur les êtres, dans leurs vies et leurs chairs.

© Joël Simon
© Joël Simon

« Ce n’est pas une histoire drôle, mais bon… ». Inès s’en excuse d’avance mais raconte qu’à l’âge de 9 ans, elle est blessée par une explosion de bombe qui lui laisse à jamais des morceaux de métal à l’intérieur du corps. En ajoutant avec humour qu’elle est obligée à chaque fois de se déshabiller pour passer sous les portiques des aéroports, devant les agents incrédules. Amer et Sara ont vécu en Syrie des situations difficiles qu’ils racontent avec dignité. Les téléphones sur écoute, les agressions imprévisibles. Amer, lui a été emprisonné, torturé. Installés en France, ils pensaient pouvoir s’échapper au Liban mais craignaient d’être arrêtés à l’aéroport par des hommes du Hezbollah, allié d’Assad.

On écoute avec fascination ces histoires de vie où l’amour, l’amitié, l’émerveillement sont toujours, et peut-être même encore plus vifs dans ces contextes hors-norme, lorsque les acquis d’une vie décente sont fragilisés. Pas de pathos, pas de démonstration larmoyante, mais tout le contraire. L’envie de donner la parole à une jeunesse endurcie par des conditions de vie oppressantes, mais toujours encline à l’auto-dérision. Le public rit et communie. Lorsque Amir raconte sa stupéfaction devant les filles qui lui font la bise à son arrivée en France. Ou lorsque Inès explique que son père, fervent communiste, a placé le portrait de Tito à la place du sien sur le mur au dessus du lit.

Une carte projetée à l’écran situe les invités en pointant d’un rond coloré leur pays. La parole circule d’un invité à l’autre, mais à la fin c’est Inès qu’on invite à discuter avec les trois autres comme pour bâtir des ponts dans ce partage d’expériences. Comment vit-on l’après-guerre, comme en Bosnie-Herzégovine ? Son constat est lucide : le pays laissé ne sera jamais celui retrouvé, mais il reste de l’espoir, tout est encore à construire. Le thème de la soirée fait directement allusion à l’absurdité criante des divisions communautaires qui font rage au Liban, en Syrie, en Palestine, en Bosnie et en Croatie. Mais durant une soirée, c’est vers une composition universelle que l’on s’efforce de tendre, avec en toile de fond des valeurs pacifistes et mondialistes.

© Joël Simon
© Joël Simon

« Tu peux venir dans la maison d’Ines », dit Aurélie Charon à Amir pour l’inviter à se tenir sur le dessin de la maison d’enfance de l’invitée bosnienne-croate et réciter un de ces poèmes sur le ciel bleu de Gaza. Mosaïque internationaliste qui caractériserait une jeunesse destinée à se rencontrer et à être connectée d’un bout à l’autre de la planète.

Le mot d’ordre est sans surprise « Ecoutez la jeunesse », écrit sur un dessin d’Amélie Bonnin. Parce qu’on comprend bien que l’appel à la démocratie tient surtout de ce constat : on ne peut ignorer une nouvelle génération ambitieuse et endurante, éprise de liberté et de solidarité. La conscience du monde se construit dans un réseau d’échanges et d’interconnexions. Amélie Bonnin nous le montre implicitement en nous faisant partager à travers Youtube la musique arabe de la chanteuse libanaise Fairouz, une video de Banksy en Palestine, ou en allant chercher des images du camp de Yarmouk sur Google Earth.

Comme si cela coulait de source, la soirée se termine avec un karaoké collectif sur Smells like teen spirit de Kurt Cobain, le public étant invité lui aussi à chanter. A défaut d’hurlements grunges et éraillés pour cette cérémonie finale, il y aura eu des moments de grâce, d’espoir et de poésie.

Rym Bouhedda

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