Troisième et dernier épisode de notre immersion au festival Visions du Réel, à Nyon. Après un premier zoom sur les jeunes réalisateurs, et un deuxième éclairage sur quelques-uns des professionnels plus aguerris réunis en Suisse, place ici aux films qui se sont distingués au palmarès de la 47ème édition de la manifestation. Revue de détails et entretien vidéo signés Benjamin Chevallier.

Visions_du_Reel_2016_Affiche

Jour 3 – Vendredi 22 avril, et plus…

Je prends connaissance des résultats de la cérémonie de clôture depuis la gare de Genève. Et je m’aperçois que je suis passé à côté de la plupart des films lauréats, tant ces deux jours à Nyon ont été chargés en rencontres et en échanges. Trouver le temps de se rendre en salle de projection pendant un festival n’est finalement pas chose si facile…

Heureusement, cela n’a pas échappé aux organisateurs, qui ont mis en place une plateforme en ligne (la fameuse « media library ») sur laquelle l’ensemble de la sélection officielle, ainsi que 200 documentaires triés sur le volet, restent accessibles une fois les festivités terminées. Et donc grâce à elle, j’ai pu me plonger, à Paris, dans les différentes œuvres reparties primées des rives du Lac Léman.

J’ai logiquement commencé par Another Year de Shengze Zhu, qui s’est vu décerner le Sesterce d’Or du meilleur long-métrage à l’unanimité par le jury. Une récompense amplement justifiée pour la jeune réalisatrice chinoise installée à Chicago.

Avec « la rigueur d’un Wang Bing » (pour reprendre les mots d’Abbas Fahdel), elle fait se succéder 13 plans-séquences qui nous montrent une famille de travailleurs migrants attablée, en train de dîner. Pour eux, comme pour toutes les chevilles ouvrières du développement économique chinois, la vie est dure… mais plutôt que d’aborder frontalement cette réalité par la problématique du « combat », la cinéaste en passe plus subtilement par celle des « relations » : relation des corps à l’espace, des corps entre eux, des sexes, des générations. Comment vivre à six dans une pièce/appartement qui sert de cuisine, de chambre à coucher et de salon ? Comment, dans ce cadre exigu, se recomposent les liens entre mari et femme ? Entre enfants et parents ? Entre parents et beaux-parents ?

Autant d’enjeux auxquels le spectateur se voit offrir le temps de penser, laissé agréablement libre de son jugement par la durée des plans et la structure elliptique du montage. On espère de tout cœur que cette oeuvre incontournable trouvera distributeur…

Tout comme Still Breathing soit dit en passant, réalisé par Anca Hirte, qui a reçu la mention spéciale du prix Interreligieux, mais qui aurait mérité de se retrouver au palmarès de la compétition long-métrage pour sa générosité, son engagement, et la justesse de ses partis pris formels. Au-delà des combats de boxe auxquels se livre son personnage principal, c’est un film qui raconte la famille, cet éternel territoire refuge dans un monde qui semble se durcir à vue d’oeil. Encore une fois, la question des « relations » est posée. (bande-annonce ici)

Et on peut remercier, pour l’interview ci-dessous, Ana, la fille d’Anca, qui passe actuellement le concours de l’école Louis-Lumière, et qui a cadré courageusement pendant 25 minutes, debout, pendant que sa mère et moi discutions confortablement assis.

J’ai enchaîné par Sit and Watch, réalisé, produit et filmé par Matthew Barton et Francisco Forbes, consacré meilleur moyen-métrage. Cet objet filmique hybride, qui fait s’entrelacer – et se répondre – six séquences londoniennes apparemment déconnectées les unes des autres (un débat au Parlement, un prêche dans une simili-église, une session de cyber-sex, un entraînement de boxe, un enregistrement de vidéosurveillance dans un bus de nuit, un tour-guide en péniche) livre une réflexion corrosive sur la question de la représentation dans notre modernité capitaliste.

Les deux cinéastes nous montrent un espace public dans lequel l’omniprésence supposée du regard d’autrui (de Dieu, des internautes, des électeurs, de la police) conditionne et cantonne les comportements de tous. Jusqu’à interroger notre propre position d’observateur, comme le suggère le titre du film et sa dernière image.

Pour autant, peut-on vraiment « s’asseoir et regarder » (donc penser) face à une thèse déployée de manière si implacable et univoque par le montage ? Chose paradoxale pour un film-pamphlet sur la société du spectacle que de priver son spectateur de souveraineté critique…

À l’inverse, dans l’excellent moyen-métrage Up or Out de Jona Honer, également en compétition moyen-métrage, ce n’est pas dans l’efficacité de la structure que se niche la force (et le propos) du film, mais dans la présence et l’incarnation des personnages.

Avec une minutie extrême (6 cadres récurrents, tous sur pieds), le réalisateur néerlandais nous plonge dans l’absurdité d’un projet de start-up financière porté par deux jeunes frères, et nous donne à lire dans leurs yeux écarquillés et leurs tiques de visage une critique subtile de la finance mondialisée.

Injustement oublié par le jury, Jona Honer n’aurait pas dû quitter Nyons les mains vides ! Même la bande-annonce du film est géniale…

Et puis pour conclure dignement cette rétrospective nyonnaise, j’ai regardé I am not from heredes cinéastes lituaniens Maite Alberdi et Giedrė Žickytė, vainqueurs de la catégorie court-métrage.

Développé dans le cadre de l’atelier CPH:LAB du Festival international de documentaires de Copenhague, ce film raconte l’histoire de Josebe, une immigrée espagnole de 88 ans vivant dans une maison de retraite chilienne, mais refusant de l’admettre, répétant à tous ceux qu’elle croise qu’elle n’est que de passage, et que très bientôt elle retournera dans son pays basque natale.

Le classicisme du découpage, l’installation parfaite des cadres – qui anticipent presque toujours sur les actions qui adviennent, ainsi que l’obsession tragi-comique qui habite le personnage principal distillent un étrange sentiment de fiction

À la question de savoir s’il se dégageait une pulsion commune de ce cru 2016, Luciano Barisone m’avait répondu qu’à Visions du Réel, l’important c’était d’abord de mettre en avant « une variété de regards possibles sur le monde, et donc d’une variété de formes… Des films plus narratifs, plus expérimentaux, du cinéma direct, des films qui vont aussi vers l’art contemporain ou les journaux intimes ». Les choix des jurys lui donnent raison, et, finalement c’est sans nul doute de son engagement pour la diversité que le festival suisse tire toute sa lumière et sa poésie. Pourvu que ça dure !

Still breathing
Still breathing

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