Le Blog documentaire vient souligner ici deux programmations événementielles qui font la part belle au cinéma documentaire indépendant américain. Le Festival Corsica.Doc, d’abord, qui propose un joli panorama sur « les cinéastes du réel américain », du 13 au 17 novembre à Ajaccio. L’association Documentaire sur grand écran, ensuite, qui revient sur la programmation d’un cinéma indépendant de New-York dans les années 60, avec 14 films proposés du 20 au 26 novembre à la Filmothèque du Quartier Latin de Paris. Places à gagner en bas de page…
America !
Les grands maîtres du documentaire indépendant américain
Aux Etats-Unis, dès l’origine du cinéma, des cinéastes se sont affranchi de l’esprit des studios hollywoodiens, et ont tourné leur camera sur la vie, sur le réel. Insufflant donc un regard différent voire critique sur l’épopée pionnière de ce « Nouveau Monde » du XXème siècle. En 1914, le grand photographe Edward S. Curtis filme les Indiens d’Amérique s’attachant à rendre compte de leur fière culture. Son film, In the land of the head hunters, est l’envers des westerns qui font déjà à l’époque le miel du cinéma américain avec comme principal archétype l’homme blanc civilisé face à l’Indien sauvage et cruel. En 1956, Lionel Rogosin filme les miséreux d’un quartier de New York. En pleine guerre froide, un tableau en noir et blanc qui est l’envers du rêve économique américain. On the Bowery sera alors Lion d’or du documentaire au festival de Venise.
L’envers de l’usine à rêves
En 1971, Melvin Van Peebles inaugure ce que l’on appellera la « blacksploitation » en starisant des Noirs à l’écran. Et de quelle manière alors ! Sweet sweetback’s Baadassss Song est un road movie jazzy et insolent surgissant en pleine lutte pour les droits civiques des Noirs américains. En 1976, Barbara Kopple revient sur les treize mois de grève des employés d’une petite mine du Kentuky. Harlan County USA, Oscar du meilleur documentaire 1977, expose brutalement la condition faite aux ouvriers américains. En 1990, Michael Moore met les pieds dans le plat de la crise industrielle, à sa manière, forte, avec un premier film remarqué Roger et moi. Le début d’une longue liste de films activistes contre le système américain capitaliste.
Ce sont là quelques uns des films qui seront présentés dans cette sélection de documentaires américains, un pan certes moins glamour de ce grand cinéma, mais autrement fort et créatif. Loin de l’entertainment hollywoodien, de grands cinéastes ont filmé l’envers du décor « de l’usine à rêves » californienne.
La beat generation
Pour autant, il ne s’agissait pas de ne pas rêver. Au contraire ! Dès la fin des années 40, toute une génération (contemporains de la beat generation) de jeunes cinéastes américains se saisit des caméras 16mm puis des 16mm/son synchrone pour se lancer dans ce que l’on appellera « le cinéma direct » aux Etats Unis ou « le cinéma vérité » en France. Un nouveau cinéma qui éclot un peu partout dans le monde, qui rêve d’approcher et de faire surgir la vie, de le transformer aussi, par la politique ou par la poésie. Une démarche personnelle et artistique qui tranche radicalement avec le système des studios. Aux Etats-Unis, ce sont Richard Leacock, Jonas Mekas, les frères Maysles qui, entre autres, lancent le mouvement de ce « nouveau cinéma ». Dans leur sillage indépendant et créatif se glissent des cinéastes expérimentaux (Maya Deren, Andy Warhol…), des cinéastes militants (H.J. Biberman, Lionel Rogosin, Emile de Antonio), des cinéastes photographes (Paul Strand), des cinéastes d’observation (Frederick Wiseman), des cinéastes tout court (John Cassavetes, Martin Scorcese, Shirley Clarke…).
Un dérèglement des sens du cinéma
« Tout ce qui rompt avec le cinéma conventionnel, mort, officiel, est bon signe. Nous avons besoin de films moins parfaits mais plus libres. Si seulement nos jeunes cinéastes – je n’ai pas d’espoir pour la vieille génération – brisaient, complètement, leurs propres chaînes, sauvagement, anarchiquement ! Il n’y a pas d’autres façons de briser les conventions gelées du cinéma que par un dérèglement de tous les sens officiels du cinéma. » écrit Jonas Mekas en 1959 dans son Ciné journal. Nombre de cinéastes des décennies suivantes (en 1968 particulièrement) comme ceux d’aujourd’hui sont les héritiers de ce riche mouvement artistique qui a correspondu aux Etats-Unis avec l’explosion musicale du jazz puis du rock (Bob Dylan), d’une littérature non conformiste (Jack Kerouac, Allan Ginsberg, William Burroughs). Citons au passage, Larry Clark, Ben Russel et bien d’autres cinéastes américains qui pourraient se reconnaître dans ce manifeste artistique de Mekas. En une vingtaine de films, cette septième édition de Corsica.Doc espère offrir un aperçu de la vitalité politique et artistique de quelques grands maîtres du cinéma documentaire américain.
En 24 films, un aperçu de l’insolence, de la légèreté, de la liberté de ton du cinéma indépendant américain, des origines à nos jours. Avec notamment : At Berkeley de Frederick Wiseman (USA, 2013, 244′), Below sea level de Gianfranco Rosi (USA, 2008, 115′), In the land of the head hunters de Edward S. Curtis (USA, 1914, 67′), On the Bowery de Lionel Rogosin (USA, 1956, 65′), Rome is burning de André S. Labarthe et Noël Burch (France, 1996, 55′), Route One USA de Robert Kramer (USA, 1989, 255′), Sleepless Nights Stories de Jonas Mekas (USA, 2011, 114′), Sweet grass de Lucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash (USA, 2009, 100′), The connection de Shirley Clark (USA, 1962, 104′), Time indefinite de Ross MacElwee (USA, 1993, 120′), Vietnam année du cochon de Emile de Antonio (USA, 1968, 64′).
Annick Peigné-Giuly
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1960, New-York, Bleecker Street. C’est dans ce quartier de Greenwich Village, à deux pas du Club où débutent Bob Dylan et Jimi Hendrix, que Lionel Rogosin décide d’installer sa salle de cinéma. Las de se battre pour projeter ses films ou ceux de ses amis, il crée ce lieu qui sera l’un des rendez-vous de la scène underground new-yorkaise jusqu’en 1974. Inauguré avec son film Come Back Africa, le « Bleecker Street Cinema » accueille nombre des films de la « neuvième vague » de metteurs en scène, parmi lesquels Shirley Clarke , John Cassavetes, Robert Frank, Jonas et Adolfas Mekas, Morris Engel, Andy Warhol… Le « Bleecker Street Cinema » est alors l’un des cinémas new-yorkais où se jouent les batailles mais aussi les grands défis esthétiques et politiques emblématiques du cinéma indépendant de ces années soixante. Un cinéma léger, libre et débridé qui fait écho à l’esprit du cinéma documentaire contemporain. Les petites caméras HD d’aujourd’hui répondant aux caméras 16 mm d’hier. Les images de contestation d’hier répondant au cinéma activiste d’aujourd’hui.
Cette effervescence créatrice et politique des années soixante se cristallise dans un mouvement appelé » New American Cinema », emmené par Lionel Rogosin, avec Jonas et Adolfas Mekas, Shirley Clarke, Bob Downey. Les films réalisés en totale indépendance d’Hollywood – voire contre Hollywood – deviennent emblématiques d’un cinéma direct, d’un cinéma poétique, d’un cinéma expérimental ou d’un cinéma politique soucieux de montrer l’envers du décor hollywoodien, l’autre face du rêve américain. Une explosion des thèmes, des styles et des genres chroniquée avec humour et passion dans la revue Film Culture par l’un de ses protagonistes,
Jonas Mekas.
Les quatre ou cinq salles « art et essai » de New-York se partagent cette étonnante production. A l’affiche du Bleecker, on trouve ainsi majoritairement les films politiques d’une nouvelle génération de cinéastes activistes qui s’élèvent contre la guerre du Vietnam, pour les droits civiques des minorités ou la reconnaissance de la culture gay (Emile de Antonio , Lionel Rogosin, Shirley Clarke, Kate Millet, Storm de Hirsch…), tandis que les mythiques séances de minuit sont pleines de l’effervescence des avant-gardes du cinéma expérimental (Jonas Mekas , Kenneth Anger, Warren Sonbert…). Les Nouvelles Vagues française et tchèque y sont également très présentes.
À travers la reprise de ces quatorze films sélectionnés dans la programmation du « Bleecker Street Cinema » des années soixante, école d’un cinéma indépendant pour nombre de jeunes cinéastes parmi lesquels Martin Scorsese, John Cassavetes, Milos Forman ou Francis Ford Coppola, nous vous offrirons un bel aperçu de la formidable pulsation de cette « renaissance du cinéma américain », comme l’a qualifiée Dominique Noguez.
Et, point d’orgue de cette semaine new-yorkaise, nous profiterons d’une séance spéciale autour du portrait de Shirley Clarke par André S. Labarthe et Noël Burch, Rome is burning, pour échanger sur les influences réciproques des Nouvelles Vagues française et américaine, à l’occasion d’une « Rencontre entre deux Nouvelles Vagues » en compagnie d’André S. Labarthe, Jackie Raynal (qui poursuivit l’aventure du « Bleecker Street Cinema » après Lionel Rogosin) et Eleni Tranouli, le dimanche 24 novembre après-midi.
Annick Peigné-Giuly, Hélène Coppel
-> Des places sont à gagner pour ces séances parisiennes en déposant vos coordonées et votre choix de film à cette adresse : leblogdocumentaire@gmail.com.
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