C’est l’un des films incontournables de ce début d’année, que l’on vous présente ici sur Le Blog documentaire. Après « Histoire d’un secret » ou «Entre nos mains », Mariana Otero nous plonge dans un lieu hors du commun qui prend en charge des enfants psychiquement et socialement en difficulté. « A ciel ouvert » est une oeuvre sensible, délicate et sincère, qu’il faut se presser d’aller voir en salles. En guise d’introduction, et avant les nécessaires analyses qui suivront, cet entretien avec la cinéaste, issu du dossier de presse, réalisé par Antoine de Baecque.
Quelle était votre idée de départ, avant d’aboutir à votre film A ciel ouvert ?
Mariana Otero : Le territoire de ce que l’on nomme « la folie » m’a toujours intriguée, fascinée, voire effrayée, et en même temps j’ai toujours pensé confusément que l’on pouvait y comprendre quelque chose et, même plus, que la folie avait quelque chose à nous apprendre. Après Entre nos mains, j’ai voulu me confronter à cette altérité contre laquelle la pensée rationnelle semble devoir buter.
Je me suis alors rendue dans de nombreux foyers et institutions pour « handicapés mentaux ». Au cours de mes longs repérages, j’ai découvert à la frontière franco-belge, un Institut médico-pédagogique pour enfants quasi unique en son genre en Europe, le Courtil.
L’idée inaugurale de cette institution est que les enfants en souffrance psychique ne sont pas des handicapés à qui il manquerait quelque chose pour être comme les autres. Au contraire, au Courtil, chaque enfant est avant tout considéré par les intervenants comme une énigme, un sujet qui possède une structure mentale singulière, c’est-à-dire une manière originale de se percevoir, de penser le monde et le rapport à l’autre. Les intervenants, en abandonnant tout a priori et tout savoir préétabli, essaient de comprendre la singularité de chaque enfant afin de l’aider à inventer sa propre solution, celle qui pourra lui permettre de trouver sa place dans le monde et d’y vivre apaisé.
J’ai donc rencontré là une manière extraordinaire de penser et de vivre avec la folie, et une institution qui met au cœur de son travail le sujet et sa singularité. Plus généralement, j’y ai trouvé une manière d’approcher l’autre qui m’a intimement touchée et qui, je l’espère, traverse le film de bout en bout : quel qu’il soit, l’autre doit avant tout être regardé comme un mystère à nul autre pareil.
Y a-t-il eu une expérience décisive, qui vous a montré que le film était possible ?
J’ai centré le film sur une partie seulement du Courtil, mais en réalité, c’est un très grand établissement : 150 intervenants s’y côtoient, pour 250 enfants, adolescents ou jeunes adultes répartis en plusieurs groupes dans différents espaces. J’ai fait la première période de repérages avec Anne Paschetta qui m’avait présenté le Courtil et avec qui j’ai écrit le projet de film. Nous avons passé pas mal de temps entre juin et novembre 2011 à aller d’un groupe à l’autre, à rencontrer les enfants et les intervenants, à partager les repas, les ateliers, les différents moments de vie, et aussi, à assister aux réunions hebdomadaires de chaque groupe.
Au départ, si j’avais bien compris le principe de base de cette institution, et c’est ce principe qui m’avait séduite, le quotidien restait très déroutant. Je ne comprenais rien au comportement des enfants : avant d’assister soudain à une crise, ou à la manifestation évidente d’une souffrance, je ne saisissais pas où était la folie de certains d’entre eux. Le travail des adultes me semblait aussi obscur. Par exemple, je ne comprenais pas ce que faisaient les enfants à l’atelier musique. Je voyais bien qu’ils n’apprenaient pas à faire de la musique, que là n’était pas l’objectif, mais quel était-il ? Cette sensation de regarder et de ne pas arriver à voir, d’observer sans arriver à saisir les enjeux, ni ceux des enfants, ni ceux des adultes, était très perturbante.
C’est seulement en parlant avec les intervenants, en les écoutant s’interroger sur les enfants, au cas par cas pendant les réunions hebdomadaires, que j’ai commencé à voir ce qui jusque-là était resté, à mes yeux, opaque et mystérieux. J’ai perçu la logique propre, la structure et la cohérence du monde de chaque enfant. Les interventions au quotidien des adultes m’ont semblé à la fois moins étranges et moins banales.
Ces premières semaines ont constitué une expérience extraordinaire, celle d’un lent dévoilement, comme la découverte d’un territoire inconnu, celui de la folie. Alors, j’ai commencé à imaginer un film dont l’enjeu serait de faire vivre au spectateur cette incroyable expérience de dessillement du regard que je venais moi-même de vivre.
Comment avez-vous été reçue au Courtil ?
J’ai d’abord rencontré l’équipe de direction et la coordination du Courtil qui rassemble les responsables thérapeutiques des différents groupes. Je leur ai parlé de mes recherches, de mes repérages dans plusieurs foyers, mais je leur ai surtout parlé de ma manière de travailler comme cinéaste, qui implique beaucoup de temps de repérages et de temps d’immersion. Je leur ai aussi montré mes précédents films.
Ce sont tous ces éléments qui leur ont donné confiance et qui, du coup, je crois, les ont convaincus de me laisser faire les premiers repérages dans leur institution. Nous étions dans une relation de confiance. Au départ, par exemple, avant de voir comment je travaillais, ils ne souhaitaient pas que je filme les enfants. D’ailleurs, je n’étais pas sûre que cela soit nécessaire non plus. Mais plus je percevais ce qui se jouait au Courtil, plus je prenais conscience qu’il serait sans intérêt de faire le film sans les enfants : les allers et retours entre les réunions, les analyses et le quotidien allaient forcément structurer le film comme ils avaient structuré mon regard.
Du côté de la direction du Courtil et des intervenants, une fois la confiance et le dialogue installés, ils ont considéré que ma présence de cinéaste au sein des groupes de vie et des ateliers ne dérangerait pas, mais qu’au contraire, elle allait pouvoir apporter quelque chose au travail, aux trouvailles et inventions des enfants. Je serais une intervenante parmi d’autres, « une intervenante à caméra » qui pourrait être prise à partie tantôt par les enfants et tantôt par les intervenants. Au Courtil, ma présence était envisagée, et c’est assez exceptionnel et unique pour être souligné, comme un élément de la vie, du travail. Jamais dans mon parcours de cinéaste, ma place et, à travers moi, la place du regard n’avaient été interrogées comme elles allaient l’être ici.
Pourquoi avoir choisi plusieurs enfants et ne pas vous être centrée sur un ou deux ?
Bien sûr, j’aurais pu envisager de centrer le film autour d’un enfant. Mais, en général, je n’aime pas faire reposer mes films sur un seul personnage, car j’ai l’impression de faire peser alors sur lui un poids trop lourd. Je préfère mêler l’intimité et l’émotion de plusieurs personnages. De leur conjugaison peut alors se dégager une réflexion plus large. Dans le cas de A ciel ouvert, raconter l’histoire d’un seul enfant n’aurait pas permis de mettre au centre du film une compréhension plus générale de la folie. La multiplication des personnages était indispensable pour faire vivre au spectateur l’expérience du regard et de la pensée qui est à l’origine du projet.
Comment avez-vous choisi les enfants et les intervenants du film ?
Une fois certaine de pouvoir faire le film, j’ai effectué, toute seule cette fois-ci et toujours sans caméra, une deuxième immersion quasi quotidienne, de février à mars, dans la perspective précise du tournage à venir. Pour aller plus loin dans la compréhension des enfants et des interventions des adultes, il fallait que je choisisse un groupe particulier. Après avoir passé du temps dans les différents groupes, je me suis recentrée sur le groupe « Capi », celui dans lequel les enfants sont les plus jeunes, entre 4 et 16 ans.
Ce groupe vit dans un ancien corps de ferme, là où le Courtil est né, il y a 30 ans. La responsable thérapeutique, Véronique Mariage, y travaille depuis sa fondation. Elle y a créé un atelier « semblant » et un atelier jardin qui sont assez exemplaires de ce que je voulais filmer. J’ai senti aussi qu’elle avait très envie de transmettre une manière de travailler qu’elle avait développée et fait évoluer depuis toutes ces années avec son équipe. Et puis j’ai bien accroché avec les enfants et les intervenants de ce groupe : d’une manière générale, comme pour mes autres films, je filme ceux avec qui il y a rencontre.
Avez-vous préparé le tournage dans sa forme, ses parti-pris esthétiques ?
Je voulais que l’image soit fidèle à ce que je ressentais dans ce lieu, à savoir une grande douceur, quelque chose de lumineux et de joyeux. Or, une fois passés par le filtre de la caméra, certains décors et certaines lumières auraient paru ternes. J’ai donc décidé de modifier la décoration et les éclairages pour être au plus près de ce que j’y voyais. J’ai demandé à Hélène Louvard, la chef opératrice qui a travaillé avec moi sur Histoire d’un secret, de venir « préparer » la lumière des salles où j’allais tourner régulièrement pendant trois mois : nous avons changé tous les néons, nous avons mis de la gélatine aux fenêtres pour atténuer les contre-jours et même repeint certains murs !
Comment avez-vous imaginé le film ?
Je savais au départ très clairement ce que je voulais que le film raconte au final, mais comment y arriver restait, même une fois le projet écrit, difficile à déterminer. Car, dans un lieu comme le Courtil, où c’est le sujet et ses inventions qui sont au centre, les histoires de chaque enfant sont toujours différentes et il est impossible de prévoir les événements. De plus, l’importance des événements se saisit, s’évalue bien après qu’ils aient eu lieu, au regard de l’évolution de l’enfant, c’est-à-dire dans « l’après coup ».
Au Courtil, on peut dire que les histoires s’écrivent à rebours. Ce qui est tout à fait déroutant… vertigineux même. Filmer en documentaire, c’est en général quelque chose qui se construit par le regard, bien avant le tournage : il s’agit de voir, d’avoir une vision et de prévoir. Pour Entre nos mains par exemple, j’avais visité de nombreuses coopératives durant les repérages et j’avais demandé aux salariés de me raconter dans le détail comment leur coopérative était née. Du coup, je connaissais les différents scénarios possibles, je m’y étais préparée, je savais quelles scènes il faudrait que je filme pour raconter dans l’usine particulière où se déroulerait le tournage, la naissance de la coopérative.
Pour A ciel ouvert, il en allait tout autrement. Malgré les repérages, malgré ce que j’avais vu, malgré les histoires sur les enfants que l’on m’avait racontées, je n’étais pas beaucoup plus avancée sur les scénarios possibles. Tout allait être forcément différent. Certes j’avais aiguisé mon regard durant mes repérages, je voyais mieux que quand j’étais arrivée au Courtil. Mais ma capacité de prévision s’arrêtait là. J’avais une petite longueur d’avance sur les événements qui allait me permettre de les filmer à peu près justement, mais je n’avais pas de « visibilité » au-delà.
Comment s’est déroulé le tournage sur la durée ?
J’ai tourné beaucoup pendant trois mois dans une concentration absolue, la caméra accrochée à moi huit heures par jour, avec la sensation que chaque instant pouvait être précieux. De plus, pour arriver à filmer les scènes, il fallait que j’oublie mes repères habituels qui me permettent de jauger l’importance d’un événement et ce qui s’y joue. Au Courtil, ces repères n’étaient pas forcément justes et auraient pu me faire passer à côté de l’essentiel. Pour conserver cette acuité du regard, pour être juste dans le tournage de chaque scène, il fallait que je sois présente quotidiennement auprès des enfants et des intervenants. Je ne tournais pas tout mais je restais toujours avec eux, sur le qui-vive.
Au fur et à mesure du tournage, je percevais l’importance de certaines scènes que je complétais alors avec d’autres scènes, qui elles-mêmes prenaient une autre valeur la semaine suivante. En fait, ce fut un tournage complétement atypique, passionnant et très différent de tout ce que j’avais pu vivre jusque-là.
Comment ont réagi les adultes et les enfants à la présence de la caméra ?
Les adultes ont intégré ma présence dans leur travail. Cela a été plus facile pour certains que pour d’autres. Et j’ai filmé plutôt ceux qui se sentaient à l’aise avec mon regard.
Pour les enfants, nous savions avant de commencer le tournage que la relation à la caméra allait être très particulière et directement liée à leur manière singulière de vivre leur relation à l’autre, au corps et au monde. Parce que je savais que la relation à la caméra, c’est-à-dire au regard, pouvait être centrale, j’ai choisi, dans les scènes avec les enfants, de travailler seule, sans mon ingénieur du son. J’ai décidé de porter la caméra attachée au corps grâce à un système d’harnachement léger et souple, que je n’avais jamais utilisé auparavant, l’Easyrig. J’étais devenue un corps-caméra. Et même quand je ne filmais pas, je portais tout cet attirail.
Y a-t-il eu des différences dans leur relation à la caméra ?
Oui, dès le début du tournage, soit ni moi ni la caméra n’existions, soit les enfants s’adressaient à moi comme si je n’avais pas de caméra, soit ils ne s’intéressaient qu’à la caméra. D’une certaine manière, pour eux, il n’y avait pas de hors-champ. C’est pourquoi, à l’occasion, les interactions des enfants avec moi et avec la caméra ont pu être commentées dans les réunions et les supervisions au même titre que tout autre élément d’un atelier. Dans tous les cas, il n’y avait chez ces enfants ni narcissisme, ni gêne, ni honte, ni timidité : leur image, le rendu de leur image leur importait peu. C’est leur rapport à l’autre ou au regard qui était directement en jeu, qui pouvait les agresser ou, au contraire, les apaiser.
Prenons l’exemple d’Evanne. Pour lui, au début du tournage, la caméra n’existait pas, et c’était comme si j’étais transparente. Puis, peu à peu, en même temps qu’il changeait, que « l’autre » commençait à prendre consistance pour lui, j’ai vu qu’il commençait à me voir, à voir la caméra. Aussi, la première fois qu’il a eu « un regard caméra », j’ai été très émue : il racontait un changement chez Evanne, il avait une valeur bien différente de tous les autres regards caméra que j’avais pu filmer jusque-là.
Pour Alysson, qui pendant les repérages n’avait quasiment pas fait attention à moi, ma présence silencieuse de camérawoman est devenue très importante. Les intervenants et moi avons eu l’impression que la caméra rassemblait le corps d’Alysson et lui permettait de le mettre en mouvement. Là aussi, il s’est passé quelque chose de très fort qui m’a fait penser au rapport que les acteurs peuvent entretenir avec la caméra : non pas dans le désir d’être vus, qui n’est sûrement pas fondamental, mais relativement à une fonction qui est plus essentielle : elle les rassemble. La relation à la caméra était ici très forte, très « signifiante », c’est pourquoi tout à fait logiquement elle a pris une place dans le montage final du film.
Comment s’est passé le montage du film et comment s’est élaborée la construction ?
Au final, j’ai filmé 180 heures (pour Entre nos mains, j’en avais filmées 60 sur la même durée de tournage). Avec Nelly Quettier, la monteuse, nous n’avons pas regardé l’ensemble des rushes avant de commencer le montage. Cela aurait été trop long et inefficace. J’ai préféré lui raconter par le menu le parcours des enfants afin qu’elle puisse évaluer ensuite l’importance de ce qui aurait pu lui paraître au premier abord anodin ou vice-versa. Ce « récit » des rushes nous a pris plus d’une semaine.
Puis nous avons monté les séquences, personnage par personnage, en essayant de mettre en évidence la singularité de chaque enfant, et son cheminement. Au bout de quatre mois de montage, nous avions quatre heures qui rassemblaient des scènes construites à partir des quatre personnages principaux. Ensuite, il a fallu organiser le film en croisant ces « histoires » tout en faisant exister l’espace et le temps, même si la construction du film n’était pas uniquement chronologique.
Il fallait, avec le montage, faire comprendre la folie de manière à la fois sensitive, émotive et intellectuelle, en construisant une forme de dramaturgie avec les enfants qui devait intégrer un aller-retour constant entre le quotidien et les réunions. Il fallait éviter le systématisme et garder toujours l’émotion liée aux personnages. L’écueil aurait été de devenir didactique : le film devait rester une expérience et non pas une leçon. Plus que de donner des explications, l’essentiel pour moi était de faire vivre au spectateur l’expérience de la compréhension, c’est-à-dire aussi l’émergence d’un regard. Le film ne pouvait faire l’économie du temps : le temps de l’interrogation d’abord, puis celui de la découverte et enfin celui de la compréhension.
Avec Nelly Quettier, nous ne voulions pas, par exemple, faire l’économie d’un début déroutant. C’est pourquoi, nous avons décidé de ne donner aucune explication sur le lieu ou sur les enfants, afin que le spectateur ait le sentiment de plonger dans un univers différent, non identifiable.
Pourquoi avez-vous mis de la musique dans le film ?
Je voulais une musique qui puisse indiquer parfois qu’il y a quelque chose à voir derrière une scène a priori banale. En particulier avec Alysson : par exemple, quand l’intervenante fait la cuisine avec elle, quelque chose se joue au-delà de la simple activité cuisine. La cuisine c’est une manière de mettre le corps d’Alysson en mouvement et de faire en sorte qu’elle le sente moins morcelé.
C’est Fred Fresson, le musicien qui avait fait la musique de la séquence de comédie musicale pour Entre nos mains, qui a composé la musique en étroite collaboration avec la monteuse et moi-même.
Les intervenants et les enfants ont-ils vu le film ?
Les adultes ont vu le film et ils ont été très heureux de la représentation de leur travail. Même « condensée » ainsi sur une heure cinquante, elle leur a semblé juste, jamais simplificatrice. Ils ont aimé la représentation qui est donnée des enfants, ils ont aimé qu’ils soient montrés comme des sujets complexes, dont on puisse entendre à la fois les joies et les souffrances.
Les enfants, eux aussi, ont vu le film. Chacun évidemment a réagi de façon différente. Cela a été une expérience très intéressante, y compris dans le cadre du travail du Courtil. Evanne, par exemple, pendant toute la durée de la projection, a été très attentif. Il a demandé sans cesse où étaient les intervenants qu’il voyait dans le film au moment où il les voyait, c’est-à dire-dans le présent de la projection. Nous avons eu l’impression que quelque chose du temps se mettait à exister durant sa vision du film. Il prenait conscience que lui-même et les intervenants étaient à la fois dans le film, dans une histoire passée, et à la fois en train de regarder le film, dans une histoire présente : deux temps ont coexisté, le présent de la projection et le passé de ce qui était montré. Pour lui, et pour la première fois peut-être, le temps se matérialisait. C’était très impressionnant de voir cet enfant de huit ans percevoir quelque chose du temps.
Pourquoi n’avoir pas intégré les parents au film ?
C’est un choix de réalisation que j’ai fait dès les repérages. Au Courtil, les intervenants sont en contact régulier avec les parents et les rencontrent individuellement au moins une fois ou deux par trimestre. En revanche, les parents ne rentrent pas dans les groupes ou les chambres, sauf exception. J’aurais donc pu filmer quelques réunions entre intervenants et parents. Mais alors la problématique des parents risquait de prendre le pas sur celle des enfants. Or je voulais que le film reste centré sur les enfants et leur manière de vivre le monde. Mais, avant le tournage, j’ai assisté à des entretiens et j’ai rencontré les parents pour leur parler du film. Je leur ai aussi montré le film terminé. Parfois ils y ont découvert des aspects de leurs enfants qu’ils ne connaissaient pas.
Une dernière chose frappe dans le film, la présence de la nature… La nature est toute proche, juste là, derrière les bâtiments, le jardin, les champs, le canal, souvent balayés par le vent. Les enfants sont extrêmement sensibles à la nature, aux animaux, à la terre, au ciel. La question du vivant, de ces corps qui grouillent sous la terre, ou encore de ce qui s’y mange ou pas, mais aussi de ce ciel immense et sans limites que traversent parfois des avions « sans ailes », des nuages et des orages, tout cela préoccupe ou ravit les enfants. L’organisation de leur monde, l’approche parfois problématique de leur corps, passent par l’appréhension de la nature elle-même. C’est particulièrement flagrant pour Alysson, mais aussi pour Evanne. C’est pourquoi j’ai voulu intégrer les paysages, la terre et le ciel dans le film. Et puis, au début du tournage, pour me parler de ces enfants, un des intervenants a repris l’expression de Lacan en me disant qu’ils ont un « inconscient à ciel ouvert ».
Entretien réalisé par Antoine De Baecque
Plus loin…
– Histoire d’un secret (Mariana Otero), par Anne Brunswic
– Entre nos mains (Mariana Otero), par Cédric Mal