Il est assez rare que Le Blog documentaire prenne partie pour un film encore à l’état de projet… C’est néanmoins le cas avec « Bassin miné », un documentaire en cours d’Edouard Mills-Affif, qui suit la scène politique locale de Hénin-Beaumont depuis plus de dix ans. Au final, c’est la promesse d’une œuvre essentielle, et salutaire, dans le sillage de celles réalisées par Jean-Louis Comolli à Marseille. Présentation, et appel à souscription…

Capture d’écran 2014-01-16 à 08.34.44En 2003, le documentariste Edouard Mills-Affif était le premier à témoigner de la percée du Front National dans le bassin minier du Pas-de-Calais, une terre de gauche blessée devenue un terrain de chasse idéal pour l’extrême droite. « Au pays des Gueules noires : la fabrique du Front national » pénétrait dans les coulisses du laboratoire de Steeve Briois et dévoilait la face cachée de la stratégie de « dédiabolisation » chère à Marine Le Pen. Avec « Bassin miné », le réalisateur entend poursuivre ce travail de décryptage, à l’occasion des prochaines élections municipales qui pourraient voir Hénin-Beaumont basculer du Parti Socialiste vers le Front National. Le récit, sur une décennie, d’une méthodique conquête politique…

Voici les premiers mots de cette vaste (en)quête, que vous pourrez retrouver sur le blog du film :

Dans les semaines qui suivirent le séisme du 21 avril 2002, l’onde de choc passée, je pris le temps d’éplucher les résultats du premier tour. Je scrutais particulièrement les scores de Jean-Marie Le Pen dans le Nord de la France, là où la percée du FN était, semble-t-il, la plus spectaculaire. J’avais par ailleurs découvert l’existence de Steeve Briois, 27 ans, conseiller municipal FN de Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), grâce à Claude Askolovitch qui, dans son livre-enquête « Voyage au bout de la France. Le Front national tel qu’il est » (Grasset, 1999) le croquait comme un jeune loup frontiste, l’enfant du pays, petit-fils de mineur, avec une gueule d’avenir, un militant omniprésent sur le terrain, labourant sans répit une terre de gauche blessée.

Dans l’ex-bassin minier, Le Pen était arrivé en tête dans 13 des 14 communes de la communauté d’agglomération de Hénin-Carvin, avec des scores dépassant parfois les 30 %. Aux législatives de juin 2002, Steeve Briois, tête de liste FN, avait fait 32 % au second tour. J’ai alors eu le réflexe, tout bête, de me dire : il faut que t’ailles sur place voir ce qui s’est passé et essayer de comprendre quelque chose à cette mystérieuse percée du FN dans le plus vieux bastion de gauche.

J’ai appelé le Front à Saint-Cloud, en demandant à la standardiste Eric Iorio, le secrétaire départemental du Pas-de-Calais. Le compagnon de l’époque de Marine Le Pen a tout de suite été très coopératif et a accueilli avec beaucoup de bienveillance le fait que je m’intéresse à l’un des jeunes espoirs du Front et, qui plus est, un fidèle poulain de l’écurie Marine, la fille du chef. Je raccrochai avec, en poche, le numéro de portable de Briois et les encouragements de mon interlocuteur.

Capture d’écran 2014-01-15 à 23.04.04C’est avec la même courtoisie que m’a reçu Steeve Briois dans son petit pavillon, situé au cœur du quartier résidentiel de Hénin-Beaumont, une ancienne ville minière de 26 000 habitants, à 10 km de Lens. Bruno Bilde, son conseiller politique et plus proche ami, profil étudiant à Sciences-po, est présent lors de cette première rencontre. Un intérieur coquet, soigneusement ordonné, une grande salle de séjour avec baies vitrées, des murs couleur saumon, du carrelage blanc au sol, des peintures apaisantes représentant l’océan, des bateaux de pêcheur et des drapeaux tricolores flottant au vent. Une paire de pantoufles à côté du canapé et un jeune chien fou, Picsou, qui vous saute dessus dès votre arrivée. Steeve Briois m’invite à m’asseoir et me propose gentiment un jus de fruit. Bruno Bilde nous rejoint à table.

En guise de préambule, je me présente. Je suis documentariste, fils de communistes, d’origine juive, de gauche et viscéralement antiraciste. Ils sourient, en se jetant discrètement un regard complice. Ma franchise semble les amuser mais ne contribue pas à les rassurer. Briois se crispe. Il se méfie de moi. Je devine ses pensées : « Encore un journaleux venu pour nous descendre ! ». Je dévoile ma démarche : les suivre dans leur activité militante pour comprendre les clés de leur ascension électorale. Sans les mettre en joue et en respectant leur parole. Comprendre, voilà tout. Les comprendre sans se méprendre, sans se confondre avec eux.

Les voilà à présent plus détendus, la tension baisse d’un cran. Bruno Bilde fait les éloges du documentaire de Serge Moati sur la campagne présidentielle de Jospin, en 1995, et m’incite à m’en inspirer. A voir ses yeux pétillants, j’imagine qu’il se verrait bien dans le rôle du conseiller du prince, à la place de Séguéla. Et Steeve Briois superstar, figure de proue médiatique d’un FN light, relooké et propre sur lui. Je sentis, à cet instant, que mon projet commençait à les intéresser.

Un film de promo en quelque sorte, au service d’un candidat et d’une stratégie politique, visant à redorer l’image du Front National. Je venais manifestement à point nommé, ma proposition s’inscrivait de plain-pied avec leur entreprise de séduction et leur plan médias. Après seulement deux heures de palabres, ils me donnèrent leur accord, en échange de ma promesse de leur montrer le film avant sa diffusion. On prit rendez-vous pour le lendemain, afin que je commence à les suivre dans leurs démarches militantes. Sur le palier, Bruno Bilde me salua d’une poignée de main en claironnant d’un air suffisant : « Vous verrez, ici, on n’a qu’à se baisser pour ramasser les électeurs ! ».

Ce film, « Bassin miné », a pour décor Hénin-Beaumont, petite ville devenue célèbre pour être le laboratoire du Front national, le « fief de Marine Le Pen », comme l’ont surnommé les médias.

Si la direction du Front National a fait de Hénin-Beaumont sa vitrine, c’est tout simplement parce que c’est l’un des rares endroits en France où il est véritablement un parti d’élus de terrain et de militants, implanté dans tous les recoins de la vie locale. La seule ville de France où le FN est le parti populaire dont rêve Marine Le Pen. C’est la raison pour laquelle les journalistes ont été systématiquement aiguillés depuis dix ans vers Hénin-Beaumont, la vitrine au miroir déformant, le monde enchanté du FN !

En 2003, j’avais filmé pendant plusieurs mois l’activisme militant d’un jeune conseiller municipal FN, alors inconnu. Un certain Steeve Briois, infatigable bateleur, présent sur le terrain sept jours sur sept, 365 jours par an.

En quête de notoriété, Steeve Briois et Bruno Bilde, son conseiller de l’ombre, avaient accepté de m’ouvrir les portes de leur laboratoire. J’ai donc pu filmer leurs méthodes, au jour le jour. Sans m’imaginer alors que ces techniques d’implantation et d’enracinement local, serviraient aujourd’hui de référence dans les stages de formation des cadres du FN.

La force de ce modèle est d’associer d’un côté le militantisme de terrain, dans la pure tradition du Parti Communiste, et de l’autre, les techniques du marketing politique, des « plans médias » et de la propagande moderne. Un prototype que les frontistes estiment reproductible partout ailleurs en France.

Je suis revenu à Hénin-Beaumont une seconde fois, lors des législatives de 2012. Je décidai de changer l’axe de ma caméra, en me mettant, cette fois, du côté des résistants au FN.

Je voulais rendre visible cet angle mort médiatique, constitué par tous les Héninois anti-frontistes. Cette moitié-là, pourtant encore majoritaire, n’a étrangement jamais voix au chapitre, seuls les anciens électeurs communistes et socialistes, ayant basculé vers le FN, suscitent la curiosité des journalistes. Hénin-Beaumont n’est pas « facholand », ce n’est pas le « fief de Marine Le Pen » qui n’a, pour l’heure, jamais emporté le moindre scrutin local.

Dix ans plus tard, Steeve Briois avait pris de l’embonpoint et des allures de notable. Conseiller municipal et régional, il s’est hissé au sommet de l’appareil frontiste. Membre du bureau politique depuis 2007, propulsé secrétaire général du FN en 2011, il fait désormais partie de la garde rapprochée de Marine Le Pen.

Je veux retourner une dernière fois à Hénin-Beaumont pour filmer la campagne des municipales. Avec pas moins de cinq listes concurrentes à gauche, dont celle de Gérard Dalongeville (l’ancien maire socialiste, condamné en août 2013 à trois ans de prison ferme pour détournement de fonds publics) et une droite quasi inexistante, le candidat du Front national est donné comme le grand favori. Le 30 mars prochain, au soir du second tour, Steeve Briois raflera-t-il ce bastion socialiste depuis 1953 ?

Edouard Mills-Affif

« Bassin miné » est un film de décryptage, qui jette un regard lucide sur dix ans de percée de l’extrême droite dans le bassin minier. Sans complaisance vis-à-vis du Front National, mais également à l’égard des socialistes du Pas-de-Calais qui ont perdu le nord, et des médias nationaux qui, à Hénin-Beaumont plus qu’ailleurs, se sont laissés prendre dans les filets de la stratégie de «dédiabolisation» du FN.

Un documentaire pour comprendre les ressorts d’une conquête et dévoiler la face cachée de la bataille de l’image, noyau dur de la stratégie frontiste. Un film qui n’apporte pas de réponses, mais qui donne les clés et identifie les leviers de la reconquête. Un outil de débat.

Un film en chantier. 80% du documentaire est déjà « en boîte ». Plus de 100 heures d’images accumulées depuis 2003. Il reste à tourner les 20% restants. La dernière ligne droite, nous menant jusqu’au 30 mars 2014, au soir du second tour des municipales.

Un projet participatif. Grâce à Bassinmine.com, le blog que nous alimenterons de manière régulière, vous pourrez suivre la construction du film in vivo, au fil des tournages. Extraits, rushs à l’état brut, interviews, analyses et commentaires seront publiés sur ce carnet de route pour vous permettre de partager, commenter et ainsi participer à l’aventure avec nous.

Nous avons besoin de 30 000 euros, pour financer les derniers tournages, le montage et les finitions.

Pourquoi une souscription ? En réponse au sous-financement croissant du documentaire d’auteur, nous proposons ce système participatif. La souscription garantit une plus grande liberté de ton aux œuvres. Sans intermédiaires, vos dons seront entièrement investis dans la fabrication du film.

Qui sommes-nous ? L’association Passerelles est une coopérative de production de documentaires qui réunit depuis 1993 des professionnels de la culture, du cinéma, de l’audiovisuel et des nouveaux médias.

-> L’appel à souscription

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