Nouveau coup de projecteur sur un festival soutenu par Le Blog documentaire« Filmer le travail » fête cette année son 5ème anniversaire à Poitiers, avec un programmation riche et variée. Parmi les films présentés en compétition internationale : « Tsofa », sorti en 2012, qui raconte la vie d’un groupe de jeunes congolais engagés à Kinshasa pour venir travailler comme chauffeurs de taxi en Roumanie. Mais leurs contrats de travail soudain résiliés, leur rêve va très vite se transformer en cauchemar… Chiara Rubessi s’est entretenue avec le réalisateur du film, Rufin Mbou Mikima, qui revient sur son projet.

tsofaLe Blog documentaire : Comment est né ce documentaire ? Qu’est-ce qui a motivé le projet ? Et que signifie le terme « Tsofa » ?

Rufin Mbou Mikima : Le projet est né lors de mon séjour en Roumanie, en 2008. J’y étais allé pour travailler comme volontaire francophone dans le domaine de l’audiovisuel. Sur place, il m’a semblé curieux de constater que tous les noirs que je rencontrais dans ce pays étaient étudiants ou footballeurs. Je passais donc pour quelqu’un de différent et de mystérieux aux yeux des personnes que je rencontrais.

Qu’est-ce qui pouvait motiver un jeune africain à s’installer dans un pays comme la Roumanie, si ce n’étaient les études ou l’argent ? Je me suis posé la même question quand j’ai appris qu’une trentaine de jeunes congolais venaient d’arriver dans ce pays courant août 2008. Comme moi, ils n’étaient ni étudiants, ni footballeurs. J’ai donc eu envie de connaître leur histoire, et notre rencontre m’a inspiré ce film, Tsofa, qui signifie « chauffeur » en lingala ; c’est-à-dire le statut de mes personnages en Roumanie.

Comment se sont tissés les contacts entre vous et les personnages du documentaire ? Quels étaient aussi les rapports entre les Congolais et les Roumain(e)s ?

La rencontre avec mes personnages ne s’est pas faite directement. J’ai eu connaissance de leur existence via Internet, et j’ai dû les approcher avec l’aide d’autres Congolais déjà installés en Roumanie. Je me suis tout de suite intéressé à ce groupe, notamment motivé par la proximité de nos pays d’origine (le Congo-Brazzaville, la RDC pour eux). Il nous a ensuite fallu 4 ans pour que notre relation existe en images. Ajoutons que la Roumanie et le Congo (RDC) ont une vieille histoire d’amitié : les anciens dictateurs Ceauşescu et Mobutu étaient très proches.

Ce documentaire envisage aussi l’expérience du déracinement et de la dislocation de l’individu, qui est transformé en expatrié, en exilé. Ce statut s’approche du concept d’« état d’exception » de Giorgio Agamben ; état qui s’affirme comme une position existentielle, « une condition provisoire de l’homme qui doit conduire à la naturalisation ou au rapatriement »[2]. De même dans le documentaire émerge ce statut d’immigré, et d’expatrié. Pouvez-vous expliquer votre point de vue sur la question ?

Je viens d’Afrique et je vis en France. J’ai remarqué que les Européens sont considérés comme des expatriés en Afrique, alors que les Africains resteront d’éternels immigrés en Europe. Or, le terme « immigré » est péjoratif quand celui d’ »expatrié » est presque perçu comme un titre honorifique. L’immigré sera le profiteur et l’expatrié le bienfaiteur (celui dont un pays a besoin pour ses compétences). On demandera à l’immigré de s’intégrer alors qu’on évitera à l’expatrié de ressentir le mal du pays. Je suis immigré en France, j’étais expatrié en Roumanie et au Congo, je suis membre de la diaspora. Toutes ces étiquettes sont autant de matériaux dont se servent les politiques pour construire leurs discours discriminatoires.

Capture-TSOFAComment avez-vous produit ce documentaire ? Comment a t-il été financé ?

Le film existe grâce à une coproduction franco-congolaise entre VraiVrai Films, société du français Florent Coulon, et Inzo ya bizizi, la structure que je dirige au Congo-Brazzaville. Nous avons bénéficié d’une coproduction de TV Rennes 35, du soutien du CNC, de la région Poitou-Charentes, de Canal France Internationale et de l’Organisation Internationale de la Francophonie.

Quelle a été la carrière du documentaire en Festival ? Avec quel accueil lui fut-il réservé ?

Le film a été diffusé dans de nombreux festivals comme le Fespaco (Burkina Faso), Les Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie), le Festival Cinémas d’Afrique de Lausanne (Suisse) et le festival « Filmer le travail » de Poitiers. Le documentaire a obtenu le prix du meilleur court-métrage documentaire en mai 2012 au festival Vues d’Afriques de Montréal. Il est depuis novembre 2012 diffusé sur TV5, et en décembre 2013 sur le réseau des télévisions d’Afrique francophone.

Comment envisagez-vous votre travail de cinéaste ?

Je pense qu’il me sera difficile d’imaginer ma vie sans le cinéma. Même si un jour je ne trouve plus la force d’écrire ou de réaliser, je continuerai à produire, à enseigner le cinéma peut être. Je me considère dans mon travail de cinéaste comme un faiseur d’images et un conteur de vies. Mais ce n’est pas sans difficultés.

Propos recueillis par Chiara Rubessi


[1] Giorgio Agamben, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Paris, Rivages, p.30-31.

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