Retour sur le 5ème « Asian Side of the Doc » sur Le Blog documentaire… Après le Japon ou la Malaisie, cap sur la Chine où 650 participants venus de 43 pays se sont réunis du 18 au 21 mars. Une participation en hausse (+24%), qui atteste de la naissance d’un marché asiatique structuré pour le film documentaire. Compte-rendu sous forme de retour d’expérience signé Aladin Farré, producteur, réalisateur, membre du Centre d’Histoire de l’Asie Contemporaine (CHAC) de Paris.

Asian side doc

« Quand je suis allé à l’IFDA [le festival international du film documentaire d’Amsterdam] pour présenter Last train home en 2009, j’étais pratiquement l’un des seuls Chinois à venir en Europe afin de parler de mes projets. Maintenant, c’est l’Europe qui vient en Chine pour trouver des partenaires ; je pense que nous pouvons être fier du chemin qui a été parcouru ». Un constat dressé par le réalisateur Fan Lixin qui s’est très nettement illustré lors du dernier Asian Side of the Doc.

Le pendant oriental du Sunny Side, organisé par l’équipe d’Yves Jeanneau depuis 5 ans, s’est installé en mars dernier dans la ville de Chengdu. Une « modeste » ville chinoise de 14 millions d’habitants, plus célèbre pour ses pandas et sa gastronomie que pour son industrie audiovisuelle, située en plein cœur du pays. A la différence du Sunny Side qui se tient chaque année à La Rochelle, l’Asian Side of the Doc est un marché itinérant qui a vu le jour à Hong Kong en 2010. Il s’est ensuite chaque année déplacé à Séoul, Tokyo puis Kuala Lumpur. L’édition 2014 s’inscrivait dans les commémorations du 50ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine communiste.

Les forces en présence

Lors de ce marché, plusieurs centaines de projets recherchaient des fonds – et j’y présentais moi-même plusieurs travaux en cours, dont l’un sur la guerre d’Indochine. 27 d’entre eux furent sélectionnés pour une session de pitchs face à un jury composé de responsables de chaînes souvent sévères, car ayant sans doute déjà lu beaucoup de dossiers de film. Les porteurs de projets ont tous tenté de trouver des co-producteurs et des diffuseurs dans l’assistance.

Avec 650 participants, 120 décideurs et plus de 40 nationalités, l’opération a été un franc succès. Du réalisateur indépendant qui filme dans le plus grand secret son sujet en Asie au directeur de la chaîne chinoise CCTV 10 en passant par le producteur européen venu chercher des partenaires pour une coproduction internationale, l’Asian Side a regroupé de nombreux acteurs du monde du documentaire.

Mais comment se déroule précisément ce marché ? Dans la vie de tous les jours, les réalisateurs courent après les producteurs en espérant trouver des soutiens pour leurs projets. Ici, ce sont les producteurs en quête de contrat de diffusion qui traquent sans relâche les responsables de chaînes. Mais compte tenu du temps compressé par l’affluence pour discuter, il faut éveiller l’intérêt de son interlocuteur en moins de 5 minutes si l’on veut se voir proposer un nouveau rendez-vous. Un exercice difficile qui demande de l’entraînement, une capacité de synthèse et surtout la connaissance des lignes éditoriales des structures auxquelles vous vous adressez.

Parmi les différents participants « occidentaux » (Amérique du Nord, Europe, Océanie) se dégageait une certaine hétérogénéité. Si les Français et les Australiens étaient nombreux, respectivement 70 et 40 personnes en partie grâce à TV France International et au Screen Australia, d’autres pays comme l’Italie, l’Angleterre ou l’Espagne affichaient peu de représentants. Quant aux participants asiatiques, qui représentaient plus de 70% des inscrits, il y avait aussi une forte disparité entre les pays. Si les Chinois, plus de 350, étaient les plus nombreux (ils jouaient à domicile), on comptait aussi une centaine de Coréens, de Taïwanais et de Japonais.

DSC01063Le marché du documentaire en Asie

Les différences entre acteurs asiatiques dépassent cependant de loin ce que disent ces simples chiffres, notamment car le niveau des besoins des participants sont très différents. Rappelons d’abord que l’Asie ne peut être considérée comme un ensemble unitaire, tant au plan politique que culturel. Il en va de même pour la production de documentaires qui est actuellement très disparate entre les différents pays de la région.

En Corée du Sud par exemple, la situation de la création documentaire est à peu près similaire à celle de la France : présence de fonds de soutien public, manque de cases dédiées chez les diffuseurs et marché cinématographique très difficile. Mark Siegmund, un Européen qui travaille actuellement au fond de soutien audiovisuel de la ville de Séoul (Seoul Film Commission), m’expliquait ainsi : « Il y a encore 7 ou 8 ans, il était possible de venir en Corée pour travailler dans l’audiovisuel. Mais aujourd’hui, les sociétés de production se sont multipliées et le marché est bouché ». Un avis largement partagé par la productrice indépendante Won Jung Bae, de la société Bom Media. Devant le jury, elle a délivré un pitch avec son réalisateur sur un projet de film portant sur la réhabilitation – comprendre : la destruction – des vieux quartiers de Seoul : « Je ne pense pas qu’il y ait un marché du documentaire en Corée du Sud. […] Sans ma participation à l’Asian Side, il n’y aurait pas assez d’argent pour mon projet : je dois trouver des fonds à l’international pour cette production d’environ 200.000 euros ».

Dans les pays de la péninsule indochinoise (Vietnam, Laos, Cambodge), c’est la situation inverse. Le marché documentaire n’existe pratiquement pas en raison du manque criant de fonds des chaînes de télévision qui préfèrent se concentrer sur l’achat de reportages étiquetés « voyage » ou « cuisine du monde ». Pang Nath, de la Télévision Nationale Cambodgienne, m’avoua être venu à l’Asian Side non pas pour acheter des programmes, mais pour observer l’état du marché dans la région. La raison en est simple : il lui manque de l’argent.

DSC00812Quant à la Chine, c’est encore une autre affaire… Le pays possède deux chaînes nationales consacrées aux documentaires, au savoir et aux reportages : CCTV 9 et CCTV 10 [1]. Or ces chaînes, « par manque de producteurs nationaux, doivent acheter des programmes à l’étranger pour remplir leurs temps de diffusion », comme l’explique l’un des associés de la société chinoise Rare Media. Arthur Jones (Lost Pensivos Films), producteur anglais basé à Shanghai depuis une quinzaine d’année, me confirme l’expansion de l’audiovisuel dans l’Empire du milieu. Selon lui, il est encore très intéressant de s’établir en Chine pour y travailler. Un investissement qu’a réalisé le producteur et réalisateur français Philippe Gérard en 2012, avec la création d’une société (Eye Dream Ltd) qui vient de signer un accord avec le groupe chinois Luxin-Rio pour créer le plus grand écran géant au monde (47 mètres de diagonale, tout de même !), tout en conservant une société active à Paris.

L’intérêt de l’Asian Side, c’est justement aussi de pousser les producteurs à se connaître et à travailler ensemble. En plus des rencontres classiques entre diffuseurs et producteurs, des tables rondes furent spécialement organisées avec des intervenants aussi pertinents que la société chinoise CICC ou encore la productrice anglaise Liz McLeod (True North). Insistant sur l’intérêt de travailler à l’international, celle-ci a livré 7 clés pour réussir en Asie :

1. Ne soyez jamais pressés. La patience est une vertu.

2. Prenez du temps pour construire vos relations.

3. Soyez prêts à faire de nombreuses réunions afin de mieux vous connaître avec vos partenaires asiatiques.

4. Soyez flexibles, tout le monde apprend encore la coproduction internationale.

5. Si vous envoyez une équipe en Chine, choisissez des personnes de confiance.

6. Posez toujours des questions.

7. Les producteurs sont souvent de beaux parleurs, mais il faut parfois savoir écouter ses partenaires.

IMG_9149La place des nouveaux médias

Bien que le marché du documentaire en Asie soit relativement bien implanté dans les pays développés, on ne peut cependant pas dire la même chose en ce qui concerne les « nouveaux médias » et la production d’œuvres dédiées pour le web. A titre d’exemple, il n’y avait que 28 films qui présentaient un pendant cross-média ou un webdocumentaire. Quant aux 27 projets pitchés devant le jury de l’Asian Side, deux seulement se définissaient comme « cross-média », mais rien ne laissait paraître dans leurs présentations qu’il y aurait un développement très marqué sur Internet.

C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que deux conférences furent présentées aux participants sur le sujet, avec de solides intervenants. La première fut consacrée à la production de vidéos basées uniquement sur le web. Li Li (vice-président de Youku, le Youtube chinois) et Markus Nikel (Rai Educational) sont arrivés à la conclusion connue depuis une décennie ; à sa voir qu’il est très difficile d’établir un business model. La seconde rencontre sous forme d’exposé était menée par l’ancien président de l’ONF Tom Perlmutter et par l’auteur transmédia Michel Reilhac (ci-dessus). Tous deux ont souligné la puissance de narration permise par Internet à travers une série d’exemples (Bear 71, Cinema City, Caine’s Arcade, Shadow, etc.). Malheureusement , il y a fort à parier que les « nouvelles écritures » risquent de ne se développer que dans certains pays de la région, en raison de la censure ou de l’insuffisance de certains réseaux nationaux.

Les prix

A la fin de cette manifestation le jury a récompensé trois des projets pitchés.

Le Prix du meilleur projet chinois a été reçu par China’s Van Gogh (52’), consacré à un artiste chinois qui produit des copies de tableaux de Van Gogh vendues dans le monde entier, et qui rêve d’aller aux Pays-Bas pour voir les originaux. Ce projet est porté par Tianqi Yu et Yu Haibo, produit par Century Image Media (Chine) et Yuzu Production (France).

La membre du jury Junko Ogawa a declaré :

« Ce film reflète vraiment la Chine moderne et l’état d’esprit de ses gens ordinaires. Le titre est très attrayant et nous avons tous ressentis comme une évidence son intérêt pour un public international. Nous avons été très impressionnés par l’impact visuel du projet, par le contraste entre la vie des gens ordinaires et la beauté de l’art qu’ils produisaient. Le film fait vraiment réfléchir le spectateur sur la relation entre l’art et les populations. »

IMG_9107Le Prix du meilleur projet asiatique a été attribué à Endless War in Iraq-10 Years in the Life of a Baghdad Family (100’), de Takeharu Watai et Haruko Konishi, produit par So-Net Entertainment (Japon).

La membre du jury Kate Hyejin Cho a declaré :

« Le jury a estimé que ce projet était fort et illustrait comment la guerre change la vie des gens ordinaires. En filmant sur 10 ans, le cinéaste nous a montré le véritable esprit du documentaire. Le résultat est un film émotionnel, chaleureux et spécial qui aura un écho puissant auprès du public international. »

Le Prix du meilleur projet international a été attribué à la série documentaire d’origine française Une nuit sur la terre (4 x 52’), produite par Winds et Galatée Films, coproduite par France 2 et la RTBF, réalisée par Thierry Machado et Stéphane Durand. Le principe consiste à filmer la vie des animaux pendant la nuit en utilisant une technologie nouvelle qui permet de voir en couleurs dans la pénombre comme s’il s’agissait du plein jour.

Le membre du jury Wang Xinjian a declaré :

« Le jury a détecté un grand potentiel international dans ce projet qui donne vie à un sujet universel avec de belles images prises en utilisant une nouvelle technologie incroyable. Il s’agit d’un projet avec les standards les plus élevés pour le documentaire animalier, combinant un accès unique à la faune nocturne et de nouvelles technologies. »

Selfie
Tout évènement culturel de ce nom se doit maintenant de faire un « selfie » lors de la remise des prix.

Yves Jeanneau, commissaire général des marchés de Sunny Side, a apporté son analyse sur ce palmarès Asian Side :

« Je suis ravi que ces trois récompenses illustrent la diversité et la richesse des échanges qui ont eu lieu ici à Chengdu au cours de Asian Side of the Doc.

Le meilleur projet chinois est le parfait exemple de l’évolution de la scène du documentaire chinois passant du Fabriqué/Copié en Chine à la Créativité Chinoise. Le film est arrivé ici en ayant déjà un partenariat avec des producteurs néerlandais, français et japonais, et le pitch a été perfectionné au cours de nos séances de formation. Pour ce projet, Asian Side of the Doc a été la plateforme permettant d’obtenir un soutien supplémentaire de la part de diffuseurs européens et asiatiques. « Ladder to Paradise » et « Unwed Mother » ont suivi le même succès.

Le meilleur projet asiatique est japonais et traite d’un thème fort de l’histoire contemporaine, la guerre en Irak, un conflit international qui nous concerne tous.

« Une Nuit sur Terre » est un documentaire animalier et environnemental avec une dimension supplémentaire ajoutée par de la prise de vue en 4K pendant la nuit.

Il est maintenant temps de construire sur les réussites de cette 5ème édition d’Asian Side of the Doc. Le lieu de la prochaine édition Asian Side pourrait être annoncé lors du 25ème anniversaire de Sunny Side of the Doc, du 23 au 26 juin à La Rochelle. »

DSC_0372En conclusion

Si l’on peut regretter que des participants se soient vu refuser leurs visas et que certains des pays de la région étaient peu ou pas représentées (Vietnam, Cambodge, Inde, Philippines, Indonésie), il ne faut pas oublier que d’autres marchés de ce type existent chaque année comme le World Congress of Science and Factual Producers de Pékin ou le Tokyo Docs. De plus, au contraire de certains pays en Europe, en Amérique ou en Océanie, les relations entre certains Etats de la région ne sont pas toujours au beau fixe, surtout en ce qui concerne les zones d’influence en mer de Chine. Il n’est donc pas étonnant que le monde du documentaire et la vente de certains programmes puissent indirectement en pâtir.

Cependant, l’Asian Side of the Doc prouve le dynamisme des relations qui commencent à se créer entre différentes sociétés de production à travers les continents. Les producteurs recherchent des projets qui peuvent se vendre à l’international en choisissant des histoires qui pourraient être comprises par un public bien plus large que celui du pays où ils sont établis. Les moyens de communication sont de moins en moins chers et l’on peut trouver partout des équipes techniques compétentes sans avoir besoin de déplacer plusieurs personnes à l’autre bout du globe. Un mouvement qu’il serait prudent de surveiller alors que les crédits pour la création artistique en Europe ne repartiront sans doute pas à la hausse avant un moment.

Mais pour créer ce type de partenariats, le contact humain est absolument primordial – ce qui fonde la nécessité de l’Asian Side. Aussi, j’enfonce peut-être une porte ouverte, mais à moins que vous ne soyez un acteur du documentaire riche de 30 années d’expérience dont 20 à l’international, il vous sera très difficile de dégotter un partenaire à 10.000 kilomètres de chez vous sans le rencontrer plusieurs fois. Aller dans ce type de marché pour un jeune producteur qui souhaiterait travailler à l’international est une obligation ; et de vous à moi, les pauses cocktail sont l’un des meilleurs moments pour nouer contacts…

 

Aladin Farré
@Aladin_F

Notes

[1] Profitons-en pour signaler la future présence de deux chaînes régionales chinoises au prochain Sunny Side of the Doc de La Rochelle : Heilongjiang Television et Jilin Television.

Plus loin

Notre dossier « Sunny Side »

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