Embarqué pendant une semaine en plein cœur du festival Visions du Réel grâce à Barbara Levendangeur, Le Blog documentaire vous livre ici, au jour le jour, une petite revue de détails des films parmi les 160 proposés, fait part de ses rencontres, déniche les pépites ou les documentaires à venir bientôt en salles. La manifestation de Nyon, en Suisse, l’une des plus remarquables sur le documentaire de création, fête cete année ses 20 ans…

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Arrivée en plein week-end, et après un temps d’adaptation toujours nécessaire avant de plonger dans le grand bain documentaire, me voilà attablée à la terrasse du « bar du réel ». Ici tout est de rouge vêtu, ça parle image, éthique, financement… Autour d’un verre, des DVD s’échangent aux coins des tables. Réalisateurs, producteurs et diffuseurs se retrouvent, se reconnaissent, s’embrassent (ou se fuient). Un petit Cannes du documentaire, en somme, où la mer Méditerranée a laissé place au lac Léman, avec bien sûr le réel en plus. Car ici tout vient de lui, tout lui appartient même : le bar, mais aussi le village, la place, le restaurant… et bien sûr les visions, dont celles des deux grands invités de cette année auxquels sont consacrés des ateliers : l’Américain Ross McElwee (lire notre entretien – voir aussi sa traduction en anglais) et le Belge Pierre-Yves Vandeweerd, sur lequel nous reviendrons dans quelques jours (voir notre analyse de Territoire perdu).

Place du réelPour m’éclaircir les yeux, je mise sur Städtebewohner (Citoyens) le dernier film de Thomas Heise, un documentariste (auteur et metteur en scène par ailleurs) ultra reconnu en Allemagne : il a réalisé dès les années 80 des films longtemps interdits sur la vie quotidienne dans son pays d’origine, la RDA, pour poursuivre son travail dans l’Allemagne unifiée. Un matériau extraordinaire à partir duquel il a notamment composé le film Material, Grand Prix du FID Marseille en 2009, soit une saisissante histoire personnelle racontant les vingt dernières années dudit pays. Le cinéaste est cette fois parti dans une prison mexicaine à l’intérieur de laquelle il a eu l’autorisation de filmer parce que le directeur était lui aussi fan de Los Olvidados de Luis Buñuel, montré par le cinéaste aux détenus dans le cadre d’un atelier. Si sa rigueur formelle et son noir et blanc impeccable habituels en fait un puissant film d’observation digne d’une compétition internationale, cette vision du réel là m’a semblé tourner à un exercice de style sans supplément d’âme. Reste un cinéaste allemand à découvrir en France au même titre que son compatriote Volker Koepp (j’y reviendrai, peut-être).

Städtebewohner (Citoyens) - © Thomas Heise
Städtebewohner (Citoyens) – © Thomas Heise

La découverte du lendemain – qui n’en est pas vraiment une car le film a obtenu le Grand prix du Cinéma du Réel 2014 – c’est Iranien de Mehran Tamadon présenté dans une section parallèle. Ou comment le cinéaste poursuit sa tentative de négociation pacifique, entamée avec Bassidji en 2009, avec ses ennemis dans son pays d’origine : les défenseurs de la République islamique. Cette fois, après trois ans d’échec, il est parvenu à convaincre quatre religieux de partager avec lui la maison de sa mère. Le but : parvenir à « vivre ensemble »… Sur le mode d’une téléréalité intelligente, lors de discussions à la fois élevées et drôles, le cinéaste éprouve l’utopie de sa cité idéale. Littéralement saisissant, le film devrait bientôt sortir dans les salles françaises…

Mehran Tamadon n’a pu rester très longtemps à Nyon – mais vous découvrirez très bientôt ici un entretien avec le cinéaste. Dommage qu’il ait dû reprendre le train car une rencontre avec son compatriote Arman T.Riahi aurait été très intéressante. Lui-même exilé en Autriche depuis 30 ans et présent lors d’une table ronde consacrée aux nouvelles diffusions, notamment sur le web – un sujet très à la mode en ce moment ! – avec à ses côtés, deveniez qui ? : l’auteur du jeu vidéo documentaire Fort McMoney, qui participe toute la semaine à un atelier avec de jeunes réalisateurs de projets interactifs – on en reparlera !

Martine Saada (ARTE) et David Dufresne
Martine Saada (ARTE) et David Dufresne (Fort McMoney)

Revenons à Arman T. Rihai… Avec son frère, Arash T. Rihai, il s’est lancé dans une aventure pacifiste, cette fois-ci transmédia. Ils ont ainsi créé une plateforme web, baptisée Everyday rebellion, pour collecter toutes les activités non-violentes à travers le monde, et partir par la suite filmer leurs acteurs dans le but de réaliser un film. « Nous voulions à l’origine, avec mon frère, parler des mouvements de résistance qui ont été fortement réprimés en 2009 dans notre pays d’origine, l’Iran, que nous avons quitté enfants en raison des activités protestataires de nos parents devenus dangereuses avec la proclamation de la République islamiste en 1979 », raconte Arman T.Riahi. « Mais très vite, nous avons été rattrapés par l’Histoire : les révolutions arabes, Madrid, les mouvements d’indignés et d’Occupy et bien sûr la Syrie… Au delà, de leur singularité, c’est l’aspect non-violent de tous ces mouvements qui nous a intéressés et cela a finalement orienté l’ensemble de notre projet ».

Un projet que les deux frères vont articuler autour d’un site internet devenu ressource et promotion des mouvements pacifistes du monde entier. Grâce à cet objet, ils ont pu récolter et filmer plus de 400 heures de rushs à partir desquels ils ont monté une version longue d’une heure et demi pour le cinéma, et un format de 52 minutes pour ARTE, tous deux diffusés à la rentrée prochaine. « Mais même quand les films seront plus visibles, le site continuera d’exister car nous poursuivons notre collecte de méthodes, de portraits, de films militants… Une manière, au delà du film, de poursuivre le mouvement, disséminer les idées et promouvoir la nécessité d’une résistance pacifiste ! ».


La résistance pacifiste bimedia, selon Aman T. Riahi

De l’engagement dans le réel, on n’en attendait pas moins du cinéma documentaire pour ces deux premières journées en apnée dans le festival, dont je n’ai pas encore tout raconté. Un cinéma engagé, réalisé ici à deux, mais désormais aussi à plusieurs – les collectifs étant de plus en plus présents dans les festivals… Nous en reparlons, vite !

Barbara Levendangeur

Plus loin

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