Deux nouvelles rencontres sur Le Blog documentaire, grâce aux chroniques de Barbara Levendangeur en plein cœur du 20ème festival Visions du Réel de Nyon. Après Thomas Heise, Mehran Tamadon ou Arash T. Rihai, place ici à Teodora Ana Mihai et Stéphane Breton. L’un et l’autre abordent avec nous leurs dernières réalisations, cependant que le festival décernait son premier Prix Maître du Réel à Richard Dindo…

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#2

Le dernier film Les tourmentes du cinéaste Pierre-Yves Vandeweerd, concourant pour la compétition long métrage, a fait son impression lundi. Et c’est effectivement une claque ! Nous aurons l’occasion d’y revenir avec le cinéaste belge après sa master class programmée jeudi matin. J’espère que l’on pourra, entre autres, évoquer son saisissant travail sur la manière sonore : cette précieuse écoute malheureusement trop souvent négligée au profit de la vision.

Heureusement, de jeunes cinéastes y prêtent une vive attention. Dans son premier film Waiting for Augusten compétition pour le prix du premier film, mais aussi sélectionné pour concourir au Grand prix du Festival Hotdocs de Toronto , Teodora Ana Mihai, petite cinéaste fluette belge d’origine roumaine, a ainsi réussi à ménager une place à son ingénieur du son Bruno Schweissgut dans l’appartement pourtant très étroit et surpeuplé de la famille de la jeune Georgiana qu’elle filme à Bacau, en Roumanie.

Avec ses six frères et sœurs, le jeune fille tente de vivre en l’absence d’une mère partie gagner pitance (et quelques cadeaux) en Italie. « Un phénomène qui, selon la jeune cinéaste, ne doit pas devenir la norme ». « Je n’ai pas voulu faire un film politique, mais un portrait de famille, poursuit-elle, et plus particulièrement un portrait de cette jeune fille pour laquelle j’ai beaucoup d’empathie. Mes parents ont eux aussi immigré de Roumanie à cause du régime de Ceausescu quand j’avais 7 ans et demi, et ils m’ont laissé seule pendant plus d’un an. L’histoire se répète aujourd’hui, non plus pour des raisons politiques mais pour des raisons économiques ».

Avec ce film, le spectateur se retrouve emporté dans l’histoire de ces enfants laissés à eux-mêmes, ballotés entre leur insouciance, les désirs et les frustrations de l’enfance, leur solidarité et la dure souffrance de l’absence. La jeune réalisatrice réussit ainsi un film d’une inimité rare, confinée dans 30 mètres carrés avec un opérateur, un ingénieur du son (Bruno Schweissgut) et sept enfants mineurs !


La collaboration intime entre le réalisateur et son ingénieur du son,
avec Teodora Ana Mihai et Bruno
Schweissgut.

Approcher des personnes dont on ne parle pas la langue, à la manière de l’ingénieur du son belge face aux jeunes roumains de Waiting for August, Stéphane Breton en a fait sa méthode de travail depuis Un été silencieux (2005). Invité régulier du festival, auteur de l’incontournable Eux et moi en 2001 (en Papoausie occidentale), qui relativisa singulièrement le cinéma anthropologique – si vous ne l’avez pas vu, achetez le vite en DVD ! -, le cinéaste-ethnologue a partagé la vie de personnes dont ils ne comprend pas la langue et se met à l’écoute des variations d’intensité de leurs paroles pour faire ses films. Cette fois-ci, avec Quelques jours ensemble, sélectionné en compétition internationale long métrage, il s’est installé dans la seconde classe couchettes du Transsibérien pour un trajet de plusieurs jours. Depuis cette petite boîte qui roule, où l’on mange, boit, dort, pète et porte des charentaises – alors qu’il fait parfois jusqu’à moins 55 degrés dehors ! – il a rapporté des histoires, des ambiances, des personnages russes qui se livrent entièrement (surtout après quelques vodkas, que l’on boit là-bas au bocal !). Des banalités, des douleurs parfois très violentes, des drôles d’anecdotes se racontent ici, histoire(s) de passer le temps et de nous réjouir nous, spectateurs.

"Eux et moi" - © Stéphane Breton
« Quelques jours ensemble » – © Stéphane Breton

Pour approcher le cinéaste et obtenir quelques minutes de vidéo, il a fallu jouer serré, se faire accepter, apprivoiser « la bête », volontiers joueuse et redoutablement intelligente. Bref, user de ruse et d’ingénuité : pas moins d’une heure de manœuvre et la promesse d’un DVD de La maman et la putain ! Ça me rappelle certaines négociations entre un Papou et un cinéaste… Mais comme l’explique le cinéaste, ce qui importe n’est pas le comment mais le résultat. Voici donc un petit entretien à propos du film ; ne vous inquiétez pas, ça commence par un silence, un regard inquiet et amusé… Le temps de sentir le personnage, avant de pouvoir enfin l’écouter…


« La bonne place pour filmer, c’est celle qui a donné envie. »
Stéphane Breton

Cet entretien m’a finalement fait manquer un film : Les Hustlers, du jeune cinéaste togolais Amah Egome, qui s’intéresse à de jeunes égarés, arnaqueurs dans les bidonvilles de Lomé. Heureusement, j’ai retrouvé le cinéaste plus tard, qui m’a promis un DVD, sur le tapis rouge désormais imbibé par les pluies incessantes et foulé il y a quelques heures par un brass band venu fêter ce soir le double anniversaire du festival ! Et je n’ai malheureusement pas pu retrouver les germano-polonais Piotr Rosolowski et Elwira Newira. Ils avaient déjà réalisé Rabbit à la Berlin (2009), une histoire improbable, incongrue et si drôle du Mur de Berlin vue par des lapins qui avaient été nommés aux Oscars, mais aussi l’excellent The art of disapearing, au festival l’an passé. Toujours avec leur manière si décalée de regarder l’histoire, ils sont revenus cette année au festival avec Domino Effect, chronique de l’amour impossible entre une chanteuse lyrique russe et le ministre des Sports d’Abkhazie, petite République qui a payé dans le sang son indépendance vis-à-vis de la Russie. Une comédie documentaire affectueuse et pleine d’ironie…

Mais à l’instar de tout bon documentariste, tout chroniqueur doit apprendre à accepter de rater des choses…

Et puis, je reviendrai… vite. Promis !

Barbara Levendangeur

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