L’événement était attendu par de nombreux producteurs – et par Le Blog documentaire… Le centenaire de la Grande Guerre coïncide avec l’arrivée à maturité d’auteurs et de créatifs capables de développer des propositions interactives très audacieuses. Résultat : l’année 2014 est parsemée de webdocumentaires, sites ou applications participatives, que les principaux diffuseurs ont tous savamment pensés et orchestrés. Cinquième et (pour le moment) dernière étape, avec les projets initiés à la Direction des Nouveaux Médias de Radio France.

Image 1Avec Radio France, comme avec France Télévisions et ses différentes chaînes aux cibles et aux identités particulières, ce n’est pas un seul projet que vous évoquez lorsque Chloé Leprince, responsable éditoriale de la DNM depuis novembre 2013, vous répond, mais quasiment autant de propositions que le groupe compte d’antennes. Pour être plus précis, 5 projets émergent en ce début d’anniversaire – et il y a bien lieu de parler de « début » d’anniversaire car à Radio France plus qu’ailleurs, on a vu les choses en grand avec notamment une expérience qui devrait durer… 5 ans ! Soit le temps de la montée en guerre et du conflit lui-même.

A chaque projet sa singularité pour « creuser des sillons », nous répétera plusieurs fois Chloé Leprince, peut-être en hommage à la Maison Ronde qui a longtemps exploré le charme des stries du vinyle au contact du diamant des platines. France Culture, France Bleu, France Inter ou France Info : chaque chaîne y est allée de son programme que la DNM a enrichi pour aller au-delà du son et pour renforcer, dans la lignée des productions maison depuis bientôt 3 ans, les identités des stations. Le résultat s’écoutera – et se lira ou se contemplera, donc – au fur et à mesure des mises en ligne qui s’étalent de novembre 2013 à la fin de l’année en cours.

france_info_y_etait_1A France Info, on a commencé à célébrer 14-18 avant l’heure puisque le programme France Info y était a été lancé en novembre 2013. L’idée, toute simple, consistait à faire « comme si la chaine d’info avait existé à la veille de la guerre », explique Chloé Leprince. Cette forme d’uchronie s’appuie principalement sur une page Facebook, qui propose un contenu différent chaque jour ou presque : anecdotes (la fameuse « petite histoire dans la grande »), documents ou photos. La chronique de Grégoire Lecalot, chaque week-end sur l’antenne de France Info, vient compléter le dispositif. Et tout cela pendant… 5 ans ! Autant dire que la recherche documentaire, entamée par Antoine Mairé six à huit mois avant le lancement du premier post, va occuper le journaliste pendant encore quelques temps au sein d’une direction qui n’a pas pour autant mis en place un comité éditorial régulier sur ce projet.

Chloé Leprince l’admet : cette approche « empirique voire pointilliste » sur une telle durée est un défi « un peu fou », qui correspond cependant à « l’ADN de la radio en continu qu’est France Info ». La responsable éditoriale reconnaît également, à ce stade, la « modeste » empreinte du programme dans les résultats d’audience : en consultant ladite page Facebook fin juillet 2014, on dénombre 3.360 « fans » et jusqu’à une cinquantaine de partages par posts (avec quelques commentaires seulement). Il faut dire qu’à l’instar de 1914, dernières nouvelles, le challenge du maintien de l’attention est colossal : comment faire pour que la scénarisation travaillée en « collections » apparaisse au grand jour, alors même que c’est le flux qui caractérise une radio comme France Info (comme, d’ailleurs, les réseaux sociaux) ? La DNM répond par l’organisation d’événements « In Real Life » qui pourraient avoir lieu à la fin de l’année, notamment avec des universitaires concerné-e-s par la Grande Guerre ou avec la réalisation pour le site de France Info d’une fresque qui reprendrait l’ensemble des contenus… Radio France se laisse toutefois la marge de manœuvre nécessaire pour faire évoluer un projet d’une telle longueur.

« Pas très interactif, mais multimédia », le projet tient effectivement par l’effet de masse des contenus qu’il va permettre de mettre en lumière tout au long de cette durée inhabituelle. C’est à ce titre que l’expérience vaut d’être tentée, par le caractère expérimental de la démarche. Du côté de l’audience, l’agrégat de communautés déjà existantes (par exemple celles qui s’intéressent déjà au Mémorial de la Grande Guerre de Péronne) constituera un des enjeux pour que cette aventure au long cours prenne la forme d’une large cohorte de « suiveurs ».

guerre des gossesA France Inter, le projet piloté là aussi pour la DNM par Antoine Mairé prend la forme de « diaporamas sonores améliorés ». Des « Petits Objets Multimédia » qui prennent pour toile de fond les photographies d’un jeune homme, Léon Guimpel, à l’époque où il les a réalisées rue Greneta, dans le 3ème arrondissement à Paris. En 1915 comme aujourd’hui, les enfants jouent à la guerre. Guimpel entreprend de photographier des morceaux de vie, non pas de manière naturaliste, mais en les scénarisant (voir par exemple la construction d’un avion en papier, hissé en haut d’un réverbère). En une vingtaine d’autochromes, dont les droits sont détenus par la Société Française de Photographie, La guerre des gosses dépeint un quotidien particulier, celui de ces enfants qui éviteront la guerre dont leurs grands frères vivront l’enfer. Et non content de photographier, Léon Guimpel remplit également un journal de bord qui devient, un siècle après, une précieuse mine documentaire. Le texte est lu ici par un comédien qui accompagne les photos regroupées en 4 chapitres. Là encore, la recherche sur les formes d’interactivité du récit n’est pas très poussé, mais Chloé Leprince met en avant ce rapport aux documents qui, selon elle, rend le web « puissant dans sa capacité à raconter des histoires ».

Cette proposition s’accompagne d’une programmation spéciale autour des enfants dans la guerre dans l’émission de Jean Lebrun, La marche de l’Histoire. En complément logique à cette exposition transmédiatique, le projet fera aussi l’objet d’une expositions aux rencontres photographiques d’Arles.

France Bleu a déboulé très récemment dans la production de récits web avec Le Mystère de Grimouville, dont les beaux scores d’audience aideront à convaincre, s’il en était besoin, de l’opportunité que peut représenter le web comme lieu d’expérimentation et de diffusion. Avec le journaliste Bertrand Dicale, c’est une autre facette de la Grande Guerre qui est abordée. Après avoir recueilli plus de 40 chants de l’époque tirés de l’oubli, le journaliste a exhumé ces partitions et les a fait interpréter par le choeur de Radio France. Dans ce bel exemple d’utilisation des ressources internes, le projet entend restaurer l’esprit de l’époque « par le substrat du chant », ainsi que l’indique Chloé Leprince. Les chansons ainsi rendues vivantes trouveront leur place tout l’été sur le site de France Bleu avec Carnets de chant et sur l’antenne de France Info avec La Fleur au fusil.

Carnets de chantsL’interface web estampillée France Bleu accompagne l’intégralité de ces chants en les réunissant autour de 4 thématiques. Tout en soulignant combien le dessin se marie souvent élégamment avec le son (citant la BD interactive réalisée sous Djehouti autour du tueur Francis Heaulme), Chloé Leprince précise que ce sont ici 4 illustrateurs qui portent leur regard, le temps de la chanson, sur le matériau sonore. Du texte complète l’interface, pensée comme un « long form » similaire à celui réalisé il y a quelques mois autour du Salon de l’agriculture (Mon veau s’appelle Hashtag) – un style qui essaime véritablement jusqu’à devenir un format, depuis le précurseur Snow Fall.

France Bleu est également à la manœuvre d’une création sonore réalisée avec la plateforme labellisée « R&D » NouvOson, qui met en avant la spécificité du son binaural. Dans cette recherche qui aboutira au deuxième semestre 2014, l’idée consiste à recréer les sons qu’entendaient les Poilus au fond de leurs tranchées. Une intention plutôt engageante, tant elle met en avant la recherche sonore au service du propos documentaire.

Dernier projet également en construction, cette fois avec les équipes de France Culture. Ici, c’est le propre pôle web de la station qui a émis la demande d’un enrichissement multimédia porté par la DNM autour d’une création de Michel Jacquelin. Ce metteur en scène a retranscrit des morceaux choisis de lettres que se sont envoyés ses grands-parents pendant la guerre. Ces extraits, mais aussi des documents d’époque issus de cette même famille, devraient voir le jour sur une interface qui donnerait à voir au-delà de ces écrits. Même si la réflexion sur ce projet reste encore embryonnaire, Chloé Leprince souligne que l’intention est de « creuser dans la veine du texte », de manière à travailler un autre rapport à l’écrit sur le web. Une manière de démontrer une fois de plus que, si la Maison Ronde est le lieu du son, le travail de la DNM n’en demeure pas moins de travailler sur les autres formes médiatiques, complémentaires au son : l’image et le dessin bien sûr, mais aussi le texte – comme celui que vous venez de lire.

Nicolas Bole

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