« Le webdoc existe-t-il ? »… En blanc ! Le Blog documentaire dévoile ici la « tenue d’été » de sa première publication sur le papier, signée par Nicolas Bole avec Cédric Mal. 600 pages sur les forces et les faiblesses des nouvelles écritures documentaires sur Internet, avec une cinquantaine de professionnels qui témoignent de leurs expériences. En primeur ci-dessous, le « mot de l’éditeur ». Et ici la préface de David Dufresne. Bonne lecture !

webdoc-existe-titreHeureux les fous ! Bienheureux les curieux, les aventureux, les intrépides qui osent, tentent des choses, réussissent ou échouent. Bienheureuses les têtes chercheuses qui n’hésitent pas à se brûler les doigts en touchant de nouvelles matières, de nouvelles manières de dire, de proposer et de raconter. Heureux les iconoclastes qui dépassent les bornes du convenable ou du présentable pour aller au-delà du déjà vu et du déjà su, au-devant de ce monde neuf qu’ouvrent ce que l’on appelle aujourd’hui les “nouveaux médias”. Heureux, enfin, les téméraires qui défrichent les sentiers tortueux de la création, et déchiffrent avant d’autres ce vers quoi les arts documentaires pourraient tendre.

Sauf que personne ne sait où nous allons. Et c’est très bien ainsi. L’heure est aux essais, aux expérimentations, aux petits échecs et aux grandes réussites. Chaque nouvelle expérience documentaire sur le web s’inspire de ce qui la précède pour proposer autre chose, et ainsi faire avancer le champ des possibles. Il n’y a ni codes, ni recettes. L’heure est aux tâtonnements, au renouvellement incessant des formes et des manières de faire – manières de faire qui sont aussi, et surtout, des manières de penser.

webdoc-Une-1Pour enthousiasmant et revigorant qu’il soit, ce mouvement mérite d’être accompagné, et encouragé. C’est l’une des raisons d’être du Blog documentaire, qui s’est imposée au fil de cette aventure éditoriale inédite. L’enjeu initial consistait à créer un espace d’analyses entièrement dédié au documentaire sur Internet – ce qui n’existait alors pas en Français. Petit à petit, le site s’est développé dans plusieurs directions, et l’ouverture vers les “nouvelles écritures” s’est révélée comme une impérieuse nécessité (car, là encore, rien de sérieux n’existait encore en la matière). En somme : la houle d’une nouvelle vague (web)documentaire pointe à l’horizon ; charge à nous d’aller à sa rencontre pour mieux accompagner son déroulement jusqu’au rivage, sans rester les pieds ensablés dans un bien trop confortable littoral.

Cette ouverture éditoriale a été une graine plantée dans le champ du webdoc. Le terrain est encore vague, mais il est fertile ; il convient donc de l’explorer, et de le labourer. Cela fait maintenant près de 4 ans que nous œuvrons avec passion, enthousiasme et lucidité, à l’émergence de ce nécessaire travail analytique du web sur le web – et d’autres s’y sont mis avec nous [1]. Le temps est désormais venu de passer à l’édition de cet ouvrage pour mieux fixer les choses, sur le papier.

webdoc-Une-2Mais que fixer, précisément, dans un environnement si changeant ? Des convictions, peut-être. S’accrocher par exemple à ce terme qui nous est cher, documentaire, pour ne pas perdre pied dans les sables mouvants du web et ainsi partir sur une base solide, assise sur plus d’un siècle de cinéma. Ce parti-pris ne signe pas, bien sûr, la volonté de retrouver sur Internet ce qui se joue d’émotions et de sensations dans le 7ème Art, mais il peut nous guider dans les méandres des webproductions – parti-pris qui se discute évidemment, et qui gagnerait aussi sans doute à être dépassé dans un proche avenir.

Documentaire, donc, mot chargé de sens et d’histoire dont on aurait pu craindre qu’il soit galvaudé par son association au préfixe « web ». Le néologisme « webdoc », quasiment suspect dès sa naissance, renferme pourtant de formidables potentialités. Si d’aucuns lui préfèrent d’autres vocables, comme vous le lirez dans les pages de cet ouvrage, la contraction des termes « web » et « documentaire » créé a priori une association de deux idées absolument modernes qui fait sens : le webdocumentaire serait un objet numérique qui prend très au sérieux sa part documentaire [2]. Ou, autrement dit : une histoire puisée dans la réalité et adressée à des internautes – ce qui induit le souci de la place du webspectateur.

Mais le webdoc existe t-il, simplement ? Vaste question, que cette publication ne suffira sans doute pas à épuiser. De prime abord et telle qu’envisagée sur Le Blog documentaire, cette forme artistique nouvelle continuerait, à sa manière et avec ses propres moyens, l’histoire des expressions documentaires. D’abord développées par la peinture (Lascaux), le texte (Hemingway reporter de guerre, John Dos Passos, Kapuściński…) et l’image fixe (Cartier Bresson, Atget, Depardon…), puis par l’image mouvante bientôt associée aux sons du monde et à la désynchronisation (des frères Lumières à Frederick Wiseman en passant par Michel Brault et tant d’autres) et enfin par l’animation, ces façons de voir et de représenter la réalité se poursuivraient alors fort logiquement sur le médium de ce siècle.

Webdoc-Une-3Le genre est encore jeune et, comme le cinéma, reste un art « impur », hybride, protéiforme. Il n’est évidemment pas la réduction de tous les arts qui l’ont précédé ; il en serait davantage la somme ou, mieux : la sédimentation. Un moyen d’expression, donc, aux potentialités démultipliées par l’histoire des expressions documentaires.

Le webdoc, si tant est qu’il existe, est aussi quelque chose qui échappe. Difficile de s’en saisir, et rien ne serait pire que de tenter de le retenir, de l’enfermer dans une case prédécoupée ; rien de pire que de lui boucher ainsi les perspectives. Il existe tout de même quelques pistes à suivre, quelques sillons que creuse cet ouvrage, non pas dans la logique du territoire (à arpenter, à délimiter ou à topographier) mais dans l’optique de la carte. Poser quelques repères çà et là, en s’attachant notamment aux boussoles que représentent les premiers auteurs, producteurs et diffuseurs à s’investir dans les « nouvelles écritures ». C’est ce que vous retrouverez dans ce livre avec, de manière exemplaire : l’Office National du Film au Canada, ARTE en France, mais aussi Radio Canada ou France Télévisions, Upian, Agat Films ou encore Narrative.

webdoc-Une-4Tout comme son frère aîné de cinéma, un webdocumentaire qui s’assumerait en tant que tel affirmerait un point de vue, porterait un « regard d’auteur » et revendiquerait une subjectivité – fusse t-elle plurielle car, de la même manière qu’il existe pour un film un réalisateur, un preneur de son, un monteur, un producteur… etc., un webdoc est le fruit du travail collectif d’une équipe pluridisciplinaire ; cette fois également composée d’un webdesigner, d’un architecte web, d’un développeur, voire d’un community manager. Autant de métiers que vous découvrirez également dans cette publication avec, par exemple, Sébastien Brothier, Annabel Roux, Arnaud Colinart ou encore Emilie Nguyen Ngoc et Matthieu Stréliski, les « agitateurs de communautés » de l’ONF.

Le webdoc fait donc entrer de nouveaux métiers dans la création documentaire, et c’est heureux. Tous apportent leurs savoirs et leurs techniques à un genre alors susceptible de se régénérer et de s’enrichir à leur contact. Pourquoi pas, dès lors, rêver à ce que le webdocumentaire renouvelle les écritures comme la photographie a permis à la peinture de “se libérer”, en quelques sortes, et de tendre notamment vers davantage d’abstractions ?

Dans l’idéal, un (web)documentaire produit également des émotions, procède par sensation et néglige l’information pure. Il donne à sentir pour comprendre. Il n’explique pas ; il raconte. Il n’assène rien ; il propose. Il ne donne pas de réponses ; il pose des questions. Cette conception du genre ne représente aujourd’hui qu’une part infime de la production mais, dans l’absolu, le webdoc partagerait le même horizon que le film documentaire en insistant davantage, ou différemment, sur la parcellisation du récit, l’interactivité ou la participation du spectateur. Cultiver l’indécis, les aspérités, le doute ou le trouble pour convoquer l’imaginaire du spectateur. Faire le pari de son intelligence sans chercher à le convaincre. Tel est l’un des engagements de ce livre. Vous découvrirez au fil des pages que rien n’est évident en ces matières, mais force est de constater que la vitalité des créateurs s’impose et ouvre d’enthousiasmantes perspectives.

webdoc-Une-5Finalement aujourd’hui, tout se bouscule, tout se trans-forme, et rien ne se perd dans les écritures documentaires. Les savoirs, les compétences et les expériences se croisent, s’ajoutent, se renforcent. Il serait vain, dans ce contexte, de prétendre dresser ici un panorama exhaustif et définitif d’un secteur naissant, et turbulent. Les œuvres se succèdent presque aussi vite que les responsables changent de “maison”. Vous verrez que certains des intervenant(e)s interrogé(e)s dans cet ouvrage ont adopté de nouvelles fonctions ou affectations depuis ces entretiens, mais sans trop s’éloigner de la mère des batailles que les auteurs, les producteurs et les diffuseurs mènent sur et à partir du web. La somme rassemblée dans ce livre constitue à cet égard une photographie des forces et des faiblesses du webdocumentaire à un instant précis. De la même manière, les pistes analytiques développées au fil de ces pages ne feront pas l’unanimité, mais elles permettront au moins de faire avancer la réflexion collective en y apportant quelques grains de sable supplémentaires.

Cet ouvrage, enfin, spécule sur l’avenir, ou tout du moins tente de dépasser son propre objet. En remontant aux sources du web et du CD-ROM, en explorant les potentialités narratives des jeux vidéo, en interrogeant la notion de « transmédia » et en explorant les logiques muséales, en imaginant aussi ce qu’il adviendra demain des œuvres d’aujourd’hui (dans les salles de cinéma ou dans d’autres espaces), nous élargissons les frontières des écrans d’ordinateur, des smartphones et autres tablettes numériques pour entrevoir de quoi pourraient être faits les espaces créatifs des prochaines années.

Vous l’aurez compris, ce livre est d’abord un outil avant d’être une bible, un catalogue ou une leçon. A chacun de s’en saisir, d’y puiser ce qu’il lui sera utile, et inspirant. Nous dressons des pistes, et d’autres chemins, théoriques et pratiques, restent envisageables. A cet égard d’ailleurs, point de conclusion. Nous aurions pu vous renvoyer aux propos visionnaires du très regretté Peter Wintonick [3], mais nous avons préféré vous laisser le dernier mot. Chacun formulera donc sa propre réponse à la question posée sur la couverture de cet ouvrage. Flaubert le disait déjà en son temps : « La bêtise consiste à vouloir conclure. Contentons-nous du tableau ; c’est aussi bon [4.

Cédric Mal

Notes :

[1] Citons en exemple : Sandra Gaudenzi et i-docs, Arnau Gifreu et inter-doc, Florent Maurin, Benjamin Hoguet, ainsi que le blogue du Fonds des médias du Canada.

[2] Cédric Mal, Doc | Webdoc : Esquisse d’une filiation, Le Blog documentaire, janvier 2013.

[3] Cédric Mal, Webdoc : Rencontre avec Peter Wintonick, Le Blog documentaire, septembre 2012.
Peter Wintonick, The « Docmedia manifesto », traduction de Cédric Mal, Le Blog documentaire, mars 2013.

[4] Gustave Flaubert, Lettre du 4 septembre 1850 à Louis Bouilhet : « Oui, la bêtise consiste à vouloir conclure. Nous sommes un fil et nous voulons savoir la trame. Cela revient à ces éternelles discussions sur la décadence de l’art. Maintenant on passe son temps à se dire : nous sommes complètement finis, nous voilà arrivés au dernier terme, etc., etc. Quel est l’esprit un peu fort qui ait conclu, à commencer par Homère ? Contentons-nous du tableau ; c’est aussi bon ».

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