Nous l’avions laissée après la sortie de son premier webdoc, « The End, etc. »… Revoici donc Laetitia Masson sur Le Blog documentaire, à l’occasion de la sortie en salles de son nouveau film (de fiction), « G.H.B. ». L’occasion de revenir avec la cinéaste sur sa manière de travailler, avec les indispensables questions de montage d’Emmanuelle Jay.
G.H.B. (to be or not to be) est un long-métrage qui se structure autour de plusieurs histoires qui s’entrecroisent et s’entremêlent, avec de la 3D, des séquences « documentaires », beaucoup de musique, des mises en abîme, et des imbrications de « tout dans tout ». Un film qui a retenu toute mon attention de monteuse et tout mon intérêt de spectatrice. [Voir le synopsis et les intentions de la réalisatrice]
Comment écrit-on un film pareil ? Plutôt avec son stylo ou plutôt en salle de montage ?
A voir !
E. J.
« Le stylo et le montage sont une seule et même écriture. Le film s’écrit et se réécrit sans cesse, de l’idée au scenario, du scénario aux acteurs, des acteurs au montage »
Le Blog documentaire : Peux-tu nous raconter les différentes évolutions de ce long-métrage, entre sa forme sur le papier et sa forme de film ?
Laetitia Masson : C’est un film qui s’est fait un peu comme un « live » en musique. Il y avait un scénario écrit, pour lequel je n’ai pas eu les financements nécessaires, et comme c’était un film vital à faire pour moi à ce moment-là de ma vie, je l’ai fait évoluer en fonction des circonstances économiques auxquelles j’étais confrontée ; c’est-à-dire avec un budget extrêmement réduit.
Je me suis alors posé la question de l’essence même du film, et j’ai essayé de ne renoncer à rien, en faisant de la pauvreté une richesse. Et la plus grande richesse, pour moi au cinéma, c’est la liberté. C’est ça que j’appelle un film « live »: un film qui s’adapte aux changements, aux lieux, aux acteurs, aux idées qui jaillissent, à la réalité que l’on croise.
Il faut donc être en état de création permanent. Faire le film n’est plus illustrer le scénario, mais ne jamais perdre l’âme du projet – à aucune minute.
Ton film comporte plusieurs histoires. Était-ce aussi le cas dans le scénario ?
Oui, mon idée était de raconter l’histoire de ce qu’il se passe à l’intérieur de la tête d’une fille qui se questionne sur l’amour. Et dans la tête de mon héroïne, il y a plusieurs filles qui vivent, plusieurs histoires qui mettent en scène différents enjeux : la maîtrise, la sauvagerie, le travail, l’argent, les rapports de force, les origines sociales, la compromission, la droiture, etc.
Les histoires étaient-elles positionnées dans le récit écrit (le scénario) de cette manière ?
Les histoires pouvaient soit s’alterner les unes les autres, soit se succéder. La structure était libre car il y avait des résonances, des liens d’une histoire à l’autre. Quelque soit l’ordre, tout était dans tout.
Quelle a été la part d’écriture au montage ? Comment as-tu procédé avec le monteur pour travailler et raconter l’histoire générale ?
Nous avons décidé de monter chaque histoire dans la continuité et de les faire se succéder pour ensuite les découper et jouer avec le puzzle. Mais finalement, la première histoire tenait très bien dans la continuité… Nous avons donc décidé de la laisser entière. Ensuite, ça a été plus difficile de trouver la structure du film avec la récurrence du personnage de la réalisatrice, l’équilibre des temps des histoires… J’ai beaucoup écrit et réécrit les voix-off qui font le lien, c’était au mot près, au silence près pour que ça fonctionne, ou pas.
Parle-moi des silences dans ton film… et de ce calage précis des voix-off. Perçois-tu le silence comme un élément musical ?
Oui, le silence est une respiration, un temps suspendu, donc il est complètement dépendant de l’image et aussi de mon rythme intérieur personnel… Je sais que j’aime par-dessus tout en musique ce que l’on appelle la « syncope », quelque chose un peu à contretemps, légèrement suspendu, que l’on retient puis que l’on donne…
Mais ce que l’on appelle « silence » au cinéma n’existe pas, ou presque. Il y a toujours une ambiance sous l’image que l’on ajoute (du vent, de l’air). Ce sont donc toujours des silences très construits, et plus ou moins chargés de sens.
Comment travailles-tu, à la mise en scène puis au montage, le rapport des couleurs entre elles, des matières (la brume, le feu, les reflets, les corps) avec les éléments naturels ou urbains ?
Chaque élément que je mets dans l’image est choisi pour construire l’harmonie, ou la dysharmonie de cette image, selon l’effet ou l’émotion que je veux produire. Chaque élément de costume ou de décor est choisi avec ce souci d’équilibre, d’articulation, de mise en valeur de tel ou tel élément. Je ne pourrais pas avoir un directeur artistique. Pour moi, c’est de la mise en scène pure. Quand j’écris, je vois. Le scénario n’est rien pour moi, juste une indication, une structure, mais le film commence à vivre et à prendre corps dès que je construis les images… Ma façon de travailler est à la fois picturale et musicale.
Comment s’est passée la conception de la première partie du film en 3D ? A-t-il toujours été question de la positionner en ouverture du long-métrage ?
C’est une idée commune que nous avons eue avec Mirwais (producteur et musicien du film). Il m’a incitée à m’essayer au numérique. Il m’a parlé de l’une de ces chansons, et j’ai pensé que le thème pourrait faire écho au personnage de mon film. J’ai donc imaginé cette séquence, mais sans avoir entendu la chanson !
Au moment du tournage, j’écoutais la musique de Batman, comme source d’inspiration… Et puis j’ai finalement écouté la chanson et, comme une sorte de miracle, mes images collaient parfaitement à la musique. Enfin, je crois…
D’où vient la voix ? Avais-tu écrit des choses sur le papier concernant cette « séquence » ? Et si oui, lesquelles ?
Le producteur du film, Mirwais, est donc musicien. Il m’a donné une de ses chansons pour le prologue et la voix est celle de la chanteuse qu’il avait choisie pour sa chanson : Charlotte Gainsbourg. J’ai entièrement écrit ce passage sur le papier, comme une séquence normale. La réalisation des effets s’est ensuite faite en collaboration avec un garçon très doué qui m’a proposé des solutions artistiques et techniques aux idées que je lui soumettais.
Comment as-tu travaillé avec le compositeur ? Les musiques font partie de ton écriture, du montage… Aviez-vous des maquettes par exemple ?
Quand le scénario a été écrit et que j’ai eu l’argent de l’avance sur recettes du CNC, j’ai proposé à Mirwais de produire mon film et d’en faire la musique. Je trouvais cela intéressant de m’associer à un artiste. Le deal de départ était donc que je fasse le film, et que lui en compose la musique de façon entièrement libre. La musique devait être son interprétation de musicien sur mon film. La confrontation des images et des sons devait produire comme une troisième dimension à la représentation.
Comment as-tu dialogué avec le compositeur ? Pour trouver et nommer les intentions ?
Pas de dialogue. Je l’ai laissé entièrement libre.
Quel est l’origine de ton rapport à la musique ? D’où vient ce désir de travailler avec des musiciens ? Avais-tu travaillé de la même manière avec Benjamin Biolay dans « Pourquoi (pas) le Brésil » ?
La musique est pour moi l’expression la plus immédiate, la plus pure des émotions que l’on ne peut pas définir avec des mots ou des images. On sent, et c’est tout. C’est comme un chant de l’âme. Le musicien dont le travail est le plus proche de mon âme est Jean louis Murat [présent dans « The End, etc.« , NDLR]. Quand il chante, je m’entends.
Mais pour certains films, ce n’est pas le chant de mon âme dont j’ai besoin, mais parfois celui de l’âme d’un personnage, ou le chant de l’âme d’une époque. C’est le cas pour ce long-métrage. Je voulais entendre le chant de l’époque, ce que la musique de Mirwais évoque tout à fait pour moi.
Avec Benjamin Biolay, c’était différent. Je ne le connaissais pas encore, et je lui avais demandé s’il voulait bien me « donner » des chansons de l’album Négatif que j’avais beaucoup aimé (« donner », car je n’avais que très peu d’argent pour le film). Et il a dit oui, de manière très généreuse. Sa chanson également intitulée Négatif était alors pour moi comme un autoportrait. Cétait comme si, parlant de lui, il dessiné fait un portrait de moi. Et le film parlait de moi, donc…
Jusqu’à quel point avais-tu écrit les séquences « documentaires » ? Comment s’est passé le montage de ces passages ?
Toutes les séquences étaient écrites et sont placées au montage là ou elles l’étaient à l’écriture. C’est la durée des passages documentaires qui a varié au fur et à mesure des versions du film, c’est tout.
Plus les films paraissent libres et fous, plus ils sont travaillés et structurés en amont. Sinon, ça ne tient pas.
C’est très juste. C’est le paradoxe de la déconstruction. Il faut avant tout construire. Combien de versions du film as-tu créées ? Combien de temps de montage as-tu pris ?
Je crois qu’on a travaillé environ 12 semaines sur le montage, mais sans passer vraiment par différentes versions du film. C’était simplement un travail pour affiner, trouver, équilibrer.
Quand s’est fait le travail de création sur le générique ?
Le générique a été pensé au tout début du montage et s’est affiné à la fin quand j’ai été certaine de sa place et de l’impact que je voulais qu’il ait au début et à la fin.
Comment a fonctionné le dialogue avec le monteur ? Étais-tu toujours présente en salle de montage ?
Le dialogue a été ouvert mais, comme je suis omniprésente au montage, c’est toujours moi qui prends le risque et la responsabilité des décisions.
Propos recueillis par Emmanuelle Jay
Plus loin…
– Questions de montage #4 : Quid de « Final Cut Pro X » ?
– Questions de montage #3 : confessions d’un autodidacte
– Questions de montage #2, sur « Le Grand saut »
– Questions de montage #1, sur « Cheveux rouges et café noir »