Le Blog documentaire accompagne cette semaine la sortie en salles de « Salto Mortale ». Première réalisation de Guillaume Kozakiewiez, produit par Vivement lundi ! et distribué par Zeugma, ce documentaire très poétique dresse le portrait intime d’Antoine Rigot, funambule de renom qui, après un accident, tente à force de courage et d’abnégation de remonter sur le fil en retissant ceux de sa propre vie. Un long-métrage tout en douceurs, analysé ici par Camille Bui.
(10 places sont à gagner pour des projections à Paris et en régions – voir en bas de cet article).
Corps puissants, corps vulnérables
sur Salto Mortale de Guillaume Kozakiewiez
Le « salto mortale » est un mouvement de gymnastique – le salto arrière – mais aussi une figure existentielle : un moment risqué, où la vie bascule. Celui du film de Guillaume Kozakiewiez se déploie à ces deux niveaux : le cinéaste approche le corps en mouvement du funambule Antoine Rigot, faisant apparaître la ligne de vie de celui-ci, bouleversée par un accident. Tout au long du documentaire, la présence physique du funambule sur ou sous le fil, entre virtuosité et vulnérabilité, se double d’un poids métaphorique. Être sur le fil, suivre le fil, perdre le fil, retrouver le fil… C’est le parcours du personnage auquel se joint, pour un moment, celui du cinéaste.
Remonter la ligne de vie
Antoine Rigot apparaît à l’écran comme un personnage léger et poétique, qui se déplace le long du fil. Souple, il danse et marche à la rencontre de sa compagne. Le fil blanc qui les relie est tendu sur un fond bleu ou noir, et tous deux semblent flotter dans un monde où la pesanteur obéit à d’autres lois qu’ici-bas. Lorsque s’achève le générique, les années ont passé, le funambule est redescendu sur terre. Désorienté, il erre dans un espace obscur où l’ombre des fils trace au sol des lignes confuses. Son corps est devenu massif, ses pas lourds et mal assurés. Le récit qui se déroule à l’échelle du film est à l’image de cette première séquence : le funambule blessé cherche des manières de remonter le récit de sa vie, d’articuler un avant et un après l’accident, de créer de la continuité malgré la rupture. « J’essaie de voir une continuité. Je construis avec ce que je suis quelque chose qui apparaît autrement » confie Antoine Rigot au cinéaste. Ce fil à tenir, à retisser, devient celui du montage cinématographique, dont l’enjeu est de figurer la temporalité du traumatisme, physique et psychique.
Le cinéaste suit avec empathie les gestes quotidiens de son personnage, pour qui une simple marche est devenue un exercice d’équilibre précaire. Il le filme s’échauffant, se préparant, s’entraînant sans relâche à retrouver le chemin de la scène, à retrouver le fil. Le cinéma devient la scène, ou bien le miroir dans lequel le personnage reconstitue une image de son corps transformé, affecté par le handicap. Cette image est douloureuse, le corps semble une matière vivante qui échappe désormais au sujet. Il faut le masser, le chauffer, le reposer. Il souffre, il résiste, mais a ses moments de grâce. L’avant et l’après la chute apparaissent dans le contraste entre le corps léger, presque abstrait, de l’homme sur le fil des images d’archives et celui, massif, du funambule d’aujourd’hui. Mais en même temps que ces vues récurrentes du passé semblent hanter la pesanteur du présent, se dessine pas à pas un nouvel horizon.
Une rupture surgit, presque au milieu du film, quand intervient le récit de l’accident, à la fois dramatique et étrangement simple. À partir de ces mots, le fil du film semble se tendre vers l’avenir, et la biographie du personnage retrouver une linéarité. Le cinéaste suit le funambule et sa compagnie, Les Colporteurs, travaillant collectivement à la création d’un nouveau spectacle. Antoine Rigot revient en scène, accompagné et porté par de jeunes artistes. La temporalité du film, entre fragmentation et continuité, nous raconte ainsi la manière dont le traumatisme de l’accident n’a pas seulement violenté le corps, mais a fait aussi profondément vaciller le sujet. Retrouver un équilibre physique, c’est pour Antoine Rigot arriver à donner à nouveau du sens aux choses, à re-signifier le monde, pour y retrouver une place, un équilibre. Le cinéma semble ici aider à agencer un nouveau récit biographique et à inventer une nouvelle image du corps.
Le récit de Salto Mortale est avant tout un récit physique, sensible. En scène et dans la vie, Antoine Rigot s’exprime par le corps. Guillaume Kozakiewiez choisit d’entrer en dialogue avec l’« intelligence animale » de son personnage, selon les mots du funambule lui-même. Les moments de parole, bribes d’entretiens, confidences face caméra font, chaque fois sentir la difficulté à mettre en mot l’expérience du traumatisme. C’est dans le langage du corps que se donne à voir plus intensément la sensibilité du funambule et les étapes qu’il traverse pour revenir en scène, et se réapproprier le fil de sa vie. Ses mouvements nous font sentir ses moments de pesanteur ou de légèreté, de chute ou d’équilibre retrouvé, de découragement ou de persévérance, de tension et de détente.
Le cadre cinématographique redouble cette dialectique entre maîtrise et perte de contrôle. Tantôt le cadre semble soutenir le corps, l’accompagner, lui fournir une orientation spatiale. Le filmage lui-même devient corporel. Guillaume Kozakiewiez se tient tout proche de son personnage, ses mouvements répondent à celui du corps représenté. Il filme en plan serré la peau nue, les mains qui massent le cou, les pieds qui avancent, les jambes qui se dérobent ou se tendent, le visage crispé ou réjoui. Il lève les yeux vers le fil, ou bien les baisse vers le sol. Mais le cadre ne fait pas que soutenir le corps filmé. Le gros plan bien souvent décadre le corps, le perd, le fragmente. Bien loin de réaliser une « captation » de spectacle vivant, le cinéaste s’immerge au milieu de la performance et en propose une réécriture par le cinéma. Le filmeur prend place à l’intérieur même de l’espace de la scène, et le langage du film est affecté par celui du corps filmé. Ainsi la scène apparaît tour à tour comme un espace concret et une projection mentale, tantôt structurée, tantôt informe.
Le film semble être né d’une rencontre de corps, corps du funambule blessé, corps du filmeur et du preneur de son. Cette proximité des corps au tournage confère à l’image une qualité presque tactile, et quelque chose du corps filmé passe dans le corps de celui qui le regarde, spectateur de cirque ou de cinéma. Le son de Grégory Nieuviarts, co-auteur du film, participe beaucoup à matérialiser le corps d’Antoine Rigot, à nous le rendre sensible et proche. La musique se mêle aux bruits de corps qui chutent, au rythme des pas sur le tapis, ou bien au son de la main qui frotte la peau. Mais le corps du funambule n’est pas seul à l’écran, il est touché, tiré, accompagné, porté par d’autres corps. Ce que le film saisit, c’est finalement cette chorégraphie des corps qui se rencontrent, se rapprochent, se soutiennent, se séparent. La caméra de Guillaume Kozakiewiez crée un contact mais aussi filme des contacts, et en particulier ceux d’Antoine Rigot avec sa compagne à la vie comme à la scène, Agathe Olivier, et ceux qu’il a avec ses jeunes partenaires de scène.
En filmant ces contacts, le cinéaste montre la façon dont Antoine Rigot, pas à pas, fait face à ce qu’il ne peut pas maîtriser, pour aller à nouveau à la rencontre des autres. Et c’est en acceptant d’être porté, soutenu, entouré qu’il transmet quelque chose de son expérience à ces jeunes, qui avec lui apprennent la fragilité et la sensibilité de leur propre corps. Salto Mortale fait sentir qu’on ne peut maîtriser le langage du corps que si l’on accepte de travailler avec ses vulnérabilités. Le partage entre filmé et filmeur, entre l’artiste en scène et ses collaborateurs, entre le personnage et les spectateurs, passe par cette reconnaissance réciproque de ce qui en nous, parfois discrètement, parfois violemment, chute ou peu chuter. Pour le funambule, le cirque et le cinéma semblent être deux scènes où se reconstruire après la chute, entouré par les corps des autres.
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Lors de sa deuxième semaine d’exploitation, Salto Mortale est diffusé :
– à Paris, au cinéma Saint-André-des Arts (18h35) ;
Plusieurs soirées débats sont organisées, notamment en Bretagne :
– Jeudi 27 novembre, à Plélan-le-Grand au cinéma l’Hermine à 20h30, en présence du réalisateur ;
– Dimanche 30 novembre, à Quimper au cinéma Quai Dupleix à 17h, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Lundi 1er décembre, à Callac au cinéma l’Argoat à 20h30, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Mardi 2 décembre, à Loudéac au cinéma Quai des images à 20h30, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Mercredi 3 décembre, à Gourin au cinéma Jeanne d’Arc à 20h, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Jeudi 4 décembre, à Lannion au cinéma Les Baladins à 20h30, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Vendredi 5 décembre, à Guingamp au cinéma Les Baladins à 20h30, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Samedi 6 décembre, à l’Ile Tudy au cinéma du Port à 19h30, en présence du réalisateur et d’Antoine Rigot ;
– Mardi 9 décembre, à Concarneau au cinéma Cinéville à 20h30, en présence du réalisateur ;
– Mercredi 10 décembre, à Plougastel au cinéma l’Image à 20h30,en présence du réalisateur ;
– Jeudi 11 décembre, à Saint-Brieuc au cinéma Club 6 à 20h15, en présence du réalisateur.
Le documentaire sera également projeté :
– Mercredi 10 décembre, à Roques sur Garonne à 20h ;
– Dimanche 14 décembre, à Paris au cinéma Saint-André-des-Arts, en présence du réalisateur ;
– Du jeudi 8 au mardi 20 janvier en région Rhône-Alpes, notamment à Glières, Saint-Martin-en-Haut, Rilleux-la-Pape, Nantua, Rive-de-Gier, Les Vans, Privas ;
– Vendredi 30 janvier, à Auray, en présence du réalisateur.
Le Blog documentaire et Zeugma Films ont le plaisir de vous offrir 10 places pour ces séances. Pour les gagner (une entrée par personne), envoyez vos coordonnées àdistribution@zeugma-films.fr. Un tirage au sort départagera les premières réponses.
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