Zoom sur les hackathons ! Le Blog documentaire s’intéresse ici à ces marathons de création interactive qui font florès çà et là. A Berlin, New York, Paris… Ces séances de brainstorming collectif sont loin des périodes de maturation habituellement requises dans la plupart des projets documentaires classiques. Parfois « oulipien », l’exercice n’en demeure pas moins souvent profitable. Nous avons écumé trois événements du genre en Europe. Impressions…

Capture d’écran 2015-03-22 à 15.51.11Si vous êtes un habitué des milieux transmédias, vous avez déjà dû entendre parler de « hackathon », et comme tout un chacun, vous vous êtes alors d’abord demandés : « un hacka-quoi ? ». Alors d’accord, c’est pas si facile à prononcer, son origine est plutôt floue et son utilisation encore plus. Le mieux, pour cerner le phénomène, c’est encore d’en faire l’expérience. Et comme en l’espace de quelque mois, j’ai successivement organisé, assisté, puis participé à trois hackathons différents, ça méritait bien un retour d’expérience. De Berlin à Paris en passant par Leipzig, un regard mi-objectif, mi-complètement subjectif…

Alors c’est quoi un Hackathon ?

Le terme « hackathon » est un mot valise constitué de « hack » et de « marathon ». A l’origine, il désigne le travail en équipe entre développeurs et porteurs de projets qui se réunissent sur un temps très court afin d’inventer de nouvelles formes de programmation informatique. Aujourd’hui utilisé au sens large, le terme désigne tout évènement visant à faire émerger de nouvelles pratiques ou objets dans un temps limité. A la différence du workshop classique, les participants d’un hackathon réalisent et présentent un prototype devant un jury. Pas étonnant, donc, que cet outil de création se développe dans les milieux du transmédia et de l’innovation.

Je prend ici l’exemple de trois hackathons récents qui ont été crées spécialement pour les professionnels des nouvelles écritures documentaires : le « DOK Hackathon Berlin », le « Doc Hack Leipzig » et le « Story Hackathon Paris » qui ont eu lieu entre octobre et novembre 2014.

A chaque fois, le principe est le même, même si les règles changent selon les organisateurs : des équipes de trois à six personnes, regroupant des développeurs, des webdesigners et des auteurs (journalistes ou réalisateurs) sont amenés à travailler à partir d’un thème et doivent créer un projet interactif ou adapté au web. Le format final est libre, le projet peut prendre l’aspect d’un jeu, d’une application, d’un webdocumentaire ou d’une websérie. Les participants ont entre deux à quatre jours pour élaborer un concept et réaliser un prototype, avant de le présenter devant un jury qui juge la valeur du projet et, selon les cas, désigne une équipe gagnante. Durant le hackathon, des professionnels – aussi appelés « mentors » – soutiennent les groupes, chacun dans leur domaine.

Dok hackathon Berlin - © Marco del Pra'
Dok hackathon Berlin – © Marco del Pra’

Commençons la série avec le hackathon berlinois que j’ai organisé avec le producteur et auteur Frédéric Dubois, rencontré lors de Storytelling online. Depuis un an et demi, la plateforme d’échange « netzdoku.org » propose des rencontres mensuelles entre les différents acteurs de la scène webdocumentaire berlinoise… Mais l’envie nous est venue de proposer une autre forme d’échanges, cette fois-ci par la pratique. Nous voulions amener ces professionnels à travailler ensemble, au delà des contraintes liées à la réalité de leurs propres productions. Le premier « DOK Hackathon Berlin » a donc eu lieu du 2 au 5 octobre 2014 et a été financé par l’Interactive Media Foundation, nouvellement créé dans la capitale allemande.

La particularité de ce hackathon était de s’adresser à la scène webdocumentaire germanophone déjà existante ou en train de se créer. Le choix du thème, « Warschauer Straße, 18:36 », correspond à l’une des rues les plus animées de l’ancien Berlin-Est, et les projets crées à cette l’occasion sont ainsi très ancrés dans la ville. Le but était clairement de renforcer cette communauté et d’amener les participants à élargir leur réseau à de futures collaborations sur place. C’est aussi la raison pour laquelle nous avions laissé la compétition de côté ; l’enjeu résidant dans la présentation devant un jury de 6 représentants des médias allemands ayant prouvé un réel intérêt pour le format « webdoc ». L’autre aspect important du hackathon berlinois était son angle, exclusivement documentaire. Non seulement les participants devaient partir du réel pour imaginer leurs histoires, mais ils devaient aller concrètement sur le terrain pour créer le contenu destiné à leurs projets. C’est pourquoi ce hackathon berlinois comptait un jour de plus que les deux autres événements mentionnés ici, pour laisser aux équipes la possibilité de sortir pour un tournage ou des enregistrements à l’extérieur.

Kilian Krug est designer et il a participé aux deux hackathons allemands, l’un après l’autre. Il explique : « Ce qui était le plus impressionnant, c’était de rencontrer tous ces gens qui travaillent avec une grande ambition, des mentors aux participants. Cette combinaison entre l’énergie de la course contre la montre et le fait de se trouver dans une situation bien particulière dans laquelle on ne doit pas se mettre la pression, était très stimulant. Je prenais sans arrêt des notes pour mon futur travail ».

Dok hackathon Berlin - © Marco del Pra'
Dok hackathon Berlin – © Marco del Pra’

L’un des projets qui marqua particulièrement l’attention du jury berlinois s’intitule Photoautomat Circus. Il dresse le portrait d’un photomaton à l’ancienne, très visité par les touristes du quartier. En s’interrogeant sur la fonction d’un tel appareil à l’heure des photos de smartphones et autres selfies, le webdoc propose une immersion dans l’utilisation très personnelle de quatre visiteurs, depuis la mise en scène de soi à l’attente de l’impression de la photographie. Une attente joliment rendue par un rappel interactif : pour visionner le webdoc, l’internaute doit se laisser prendre lui-même en photo avec sa webcam… et attendre lui-aussi dix minutes avant d’avoir le résultat. Ce qui lui laisse tout le temps de visionner le projet ! Les quatre projets de webdocs crées lors du « DOK Hackathon Berlin » sont visibles sur le site d’ARTE Future (en français et en allemand).

A peine quelques semaines plus tard, le 27 octobre 2014, débutait le festival de documentaires et de films d’animation de Leipzig, qui lançait pour la première fois son propre hackathon. Le « Dok Hack Leipzig » est issu de la collaboration entre le festival allemand et Tribeca Film Institute de New York. La manifestation de Leipzig étant l’un des seuls festivals de films en Allemagne à avoir très tôt inclus les projets transmédias dans sa programmation, il était dans l’ordre des choses que ses organisateurs décident d’organiser un hackathon, dont le gagnant participerait tout naturellement à leur Net Lab.

J’ai pu assister à la présentation des projets sur place et interviewer Ilo von Seckendorff, à la tête des projets transmédias présentés à Leipzig et initiatrice de ce hackathon : « Forts de notre expérience en matière de transmédia, nous avons voulu développer les projets qui s’adressent à des intervenants issus de différentes disciplines. Quand nous avons lancé le NetLab il y a quatre ans, nous voulions soutenir la création de projets utilisant de nouvelles formes de narrations et de structures interactives, souvent non linéaires. Mais nous nous sommes rendu compte que les « nouveaux » producteurs transmédias venaient tous de la branche classique du cinéma. Ils avaient de l’expérience dans la production et la dramaturgie linéaire, mais n’avaient jamais travaillé avec des créateurs en webdesign, en gaming ou en coding. Tous ne parlent pas la même langue et ne savent souvent pas comment travailler ensemble. C’est pourquoi l’idée du hackathon nous a semblé une bonne façon de leur offrir un environnement d’expérimentations et de travail en commun. »

DOC Hack Leipzig - © Susann Jehnichen
DOC Hack Leipzig – © Susann Jehnichen

Et en effet, les projets présentés lors du hackathon de Leipzig ont tous mis l’accent sur l’innovation technique. Un phénomène en partie dû à l’expertise de Tribeca, qui possède une large expérience des hackathons dont l’institut adapte le modèle à différents genres et entreprises à travers le monde. Le choix de constituer des équipes formées de cinq personnes intégrant à chaque fois deux développeurs web prédispose aussi clairement à l’innovation technique pour la création de formats interactifs. Autre différence, le hackathon de Leipzig était resserré sur seulement deux jours, rendant donc impossible un tournage ou la création de contenus originaux.

Pour le designer Kilian Krug, cela avait ses avantages : « A Leipzig, le fait de ne pas avoir de thème donné a aidé notre équipe à prendre très vite la décision d’investir le moins de temps possible dans les recherches ou dans la création de contenu. Comme c’est ce qui constitue normalement la partie la plus importante du travail de tous les participants, c’était important d’abandonner cette exigence pour le hackathon. Ainsi, personne n’a eu l’impression d’abandonner ses principes de travail et nous nous sommes tous concentrés sur le « comment » et sur la structure de la narration ». Le rythme est aussi accentué par l’esprit de compétition mis en place par Tribeca pour le festival ; et l’enjeu d’être choisi en tant que projet « à fort potentiel » était de taille. C’est d’ailleurs l’équipe de Kilian qui remportera le droit de participer au Net Lab professionnel…

Leur projet Spot the difference raconte l’histoire de la manipulation des images, depuis l’invention de la propagande jusqu’aux possibilités numériques modernes. A l’aide d’une simple fonction « double écran », l’utilisateur peut déplacer le curseur sur la photo de haut en bas, de façon à dévoiler l’avant et l’après montage sur des photos historiques retouchées. L’internaute peut choisir de changer la légende de photos contemporaines, modifiant ainsi radicalement leur contexte et leur portée. Il peut directement en tester l’usage en partageant ses faux documents sur les réseaux sociaux, afin d’alerter son entourage sur la manipulation des données.

L’ensemble des prototypes proposés lors du hackathon de Leipzig est consultable sur le site du Festival de Leipzig (en anglais).

Story Hackathon Paris - © Storycode Paris
Story Hackathon Paris – © Storycode Paris

Enfin, le dernier exemple de hackathon a eu lieu à Paris, du 7 au 9 novembre 2014. Le cinquième « story hackathon » ou « workshop transmedia » (le nom a changé entre les éditions avant de fixer finalement sur le terme de hackathon) est organisé par l’équipe de Storycode Paris. Cette association crée en 2013 regroupe des passionnés de nouvelles écritures. Le concept des Storycode vient en réalité de New-York, de cette l’époque où les professionnels du transmédia n’étaient pas si nombreux et pouvaient alors se rencontrer par cet intermédiaire. Gerald Holubowicz, alors photographe aux Etats-Unis, découvre les activités du réseau et monte l’association du même nom à Paris. Celle-ci regroupe aujourd’hui une dizaine de membres actifs qui organisent des conférences et des « story hackathons ».

Ayant moi-même participé au cinquième épisode, je témoigne donc en toute subjectivité de mon expérience. Le modèle du hackathon s’annonçait ambitieux : après la traditionnelle soirée de lancement, nous n’avions que 48 heures pour penser le concept, l’histoire, la cible, le format, les différentes étapes de la production, l’interactivité et même le modèle économique du projet. Le résultat obtenu a moins à voir avec le prototype (comme à Leipzig), et encore moins avec la création de contenus webdocumentaires (comme à Berlin), mais plus avec un concept de projet bien ficelé et budgété, mais qui reste très théorique. A l’image des présentations finales qui avaient tendance à prendre la forme d’une présentation Powerpoint certes intelligemment pitchée, mais qui manquait de concrétisation pratique du projet. Dommage, quand on veut pouvoir montrer un exemple de projet créé dans le cadre du hackathon, pour les besoins de cet article par exemple.

Selon Gerald Holubowicz, le but est de « regrouper un certain nombre de participants (entre 30 et 40 par session) pour les amener à réaliser « from scratch » le prototype d’une franchise transmédia. L’idée, c’est de faire découvrir à certains la complexité de la réalisation de telles franchises, de leur donner une méthodologie de travail, de créer des synergies de groupes et enfin d’amener les professionnels à s’entraîner. La partie training est importante car, dans ce domaine comme dans la musique ou le sport, il faut s’entraîner, entretenir sa « forme », et son inspiration ». Ce que j’ai trouvé en effet très inspirant, après les deux expériences de hackathons allemands, c’est le fait de laisser libre choix aux candidats de se répartir dans l’équipe qu’ils désiraient. En effet, dès le premier soir, après avoir désigné une thématique commune assez large (ici « la mémoire »), chacun avait 10 minutes pour inventer puis présenter un pitch de projet à tous les participants. Les équipes se forment donc directement en fonction des thèmes qui inspirent, ce qui est un moyen efficace de trouver des premiers points communs pour commencer le travail.

Séance de pitchs au Festival des Nouveaux cinéma documentaires - Story Hackathon Paris – © Storycode Paris
Séance de pitchs au Festival des Nouveaux Cinémas Documentaires – Story Hackathon Paris – © Storycode Paris

En revanche, la limite de ce système est de se retrouver, comme dans notre groupe, avec des équipes très déséquilibrées. Nous étions cinq auteur/réalisateur/producteur/journaliste pour un seul webdesigner et sans aucun développeur. Difficile dans ce cas d’arriver à un résultat plus concret qu’une présentation de projet uniquement à l’oral avec des slides. Cette situation a poussé certains participants à abandonner au cours du week-end, fragilisant encore un peu plus les projets. Pourtant, la « récompense » finale était motivante puisque les trois meilleurs pitchs retenus eurent l’occasion de présenter leurs projets la semaine suivante au Festival des nouveaux documentaires de Belleville en Vue(s).

A ma question de savoir pourquoi les organisateurs ne font aucune sélection des participants en amont, Gerald Holubowicz me répond que c’est justement la devise de Storycode : « C’est une Open Source Community, donc pas de sélection ». Ce qui ne les empêche pas d’être conscients du problème que cela pose, notamment en matière de recrutement de webmaster et de développeurs. « C’est vrai que c’est un challenge d’attirer une communauté qui ne voit pas forcément la narration comme un de ses points forts. Pourtant, si on considère le code comme un langage, il est logique de chercher à intégrer ceux qui parlent le mieux ce langage pour raconter une histoire sur le web. Je ne crois pas qu’il y ait de formule magique, mais nous allons tout mettre en œuvre cette année pour solliciter la participation de développeurs que ce soit à travers de partenariats avec des écoles ou de toutes autres incitations ». A bon entendeurs…

Mathilde Benignus
@mathildbenignus

Plus loin

Le coup de gueule d’une développeuse contre les hackathons (Rue 89)

– Les hackathons en documentaire interactif (ONF)

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  4. Et le Popathon? Il manque à cet article… dans la série hackathons webdoc vidéo interactive, avec créations de protos http://popathon.org/ déjà plusieurs éditions à Paris.

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