Nouvel événement estampillé « ONF/France Télévisions » sur Le Blog documentaire… Moins de trois mois après « Le cancer du temps », le couple franco-canadien poursuit sa réflexion sur notre rapport au temps grâce à la nouvelle œuvre de Vincent Morisset.

Déjà aux commande de « Blabla » il y a 3 ans, réalisateur de clips interactifs pour Arcade Fire, l’une des stars mondiales du net-art propose cette fois une « simple » balade en forêt : « Jusqu’ici » (« Way to go » en anglais), expérience fascinante et « entièrement interactive » pour les humains de 5 à 105 ans, développée pour le web et les casques de réalité virtuelle.

A l’occasion du dévoilement officiel de ce nouveau projet, Vincent Morisset revient sur les mécanismes de sa réflexion « artisanale » ; où l’on parle de rayons de lumière et de « Total Recall », de marche hypnotique et de regard extra-lucide…

Notez enfin que toute l’équipe créative de « Jusqu’ici » présentera son projet à Paris le 9 mars prochain à la Gaîté Lyrique. L’occasion, notamment, d’expérimenter la proposition via des stations Oculus Rift.

Le Blog documentaire : On a  deux séries de questions à te poser : des questions sérieuses bien sûr, mais aussi des questions un peu plus « loufoques ». Commençons par celles-ci… Le personnage de Jusqu’ici, c’est le grand frère de celui de Blabla ?

Vincent MorissetOui ! On faisait d’ailleurs des blagues au bureau, disant que le personnage de Blabla faisait penser à moi et que celui de Jusqu’ici ressemblait davantage à Edouard Lanctôt-Benoit, notre développeur qui est grand et fin ! Il y a une parenté entre ces deux personnages, sur lesquels on peut projeter nos propres émotions.

Il était où, ce personnage, avant de se retrouver dans la forêt ?

Sur une feuille de papier ! Caroline Robert l’a esquissé au crayon, puis on en a fait une version en pâte à modeler pour finalement l’animer à la main sur une tablette. Au tout début, il y avait ces prémisses d’espace, de temps, de perception, mais le lieu en tant que tel n’était pas défini. C’était encore très abstrait. C’était une sorte de statement, d’ancrer la proposition dans quelque chose de précis et d’universel, où tout le monde pouvait se retrouver, comme dans une expérience familiale. Nous avons fait des premières expérimentations dans le boulevard Saint-Laurent ou dans la ruelle derrière notre bureau. Nous sommes partis avec la caméra panoramique pour réaliser des essais… Avant même de penser à mettre le personnage dans la forêt, il s’est promené à Montréal dans un contexte plus urbain.

Vous écrivez : « Regarde, lucide, éveillé / et tu trouveras / peut-être / le moment présent ». Autrefois, les enfants se perdaient dans les forêts ; aujourd’hui, il faut aider les adultes à se perdre ?

C’est une sorte de paradoxe mais, en 2015, nous savons constamment où nous sommes. Notre rapport à l’environnement a changé, avec des outils comme Street View ou Google Maps. Il est de plus en plus difficile de se perdre. A travers une expérience sur un écran, notre idée était de mettre en perspective le regard qu’on se forge avec ces outils. Nous voulions en quelques sortes recréer le regard extra-lucide qu’on a parfois quand on voyage. Tu sais, cet espèce d’état d’esprit pendant lequel nous sommes plus attentifs, plus sensibles, plus réceptifs aux détails qui nous entourent… C’est une sensation qu’on peut aussi avoir quand on est plus jeune, dans les jeux notamment. Je voulais « gratter » ce rapport : être perdu et se retrouver. Tout au long de Jusqu’ici, on peut par exemple reconnaître un endroit par lequel on est déjà passé au début de la balade. Ça a quelque chose de satisfaisant et de rassurant de revoir cette scène-là autrement.

Vincent Morisset - © Caroline Robert
Vincent Morisset – © Caroline Robert

Vous n’avez pas peur que des gens restent bloqués – volontairement ou non – dans la forêt ?

[rires] Je ne pense pas, non ! C’est difficile, ces temps-ci, de capter l’attention pendant un certain temps, alors si les internautes font cette expérience web dans sa totalité, je serais bien content !

La ligne blanche que l’on voit dans Jusqu’ici, ce sont les cailloux du Petit Poucet ou une ligne de vie ?

C’est une proposition ouverte, on peut la voir de multiples façons. Même dans le titre d’ailleurs, nous jouons sur cette ambiguïté. En anglais, c’est Way to go, une tournure portée vers l’avant ; alors qu’en français, c’est Jusqu’ici [NDLR : il fait le geste de s’arrêter quelque part]. L’expérience peut être effectivement lue, perçue, sentie de plusieurs façons différentes. Nous avons travaillé dur pour conserver cette forme d’ouverture, et préserver le côté mystérieux du personnage. J’aime beaucoup^ce jeu intellectuel qui consiste à offrir 3 ou 4 lectures différentes d’un même projet – comme tu le fais ici.

Est-ce qu’il y a un Ours 71 dans cette forêt ? Autrement dit : y a-t-il un lien possible entre Jusqu’ici et Bear 71 ?

Je n’ai pas pensé à ça. [il réfléchit] Non, je ne vois pas vraiment de liens entre les deux projets.

C’est l’enfant Morisset ou l’adulte Morisset qui a conçu ce projet ?

Les deux. C’est la volonté du projet d’être une expérience accessible de 5 à 105 ans. C’est drôle parce que mon neveu de 5 ans est passé ce matin à la maison, on lui a fait essayer le projet, et très très rapidement il a tout pigé : le rapport à l’espace, le saut, le rythme, la manière de débusquer les insectes… Ce jeu emprunte aux mécanismes du jeu, mais de manière volontairement simplifiée pour le rendre plus accessible, et aussi pour changer l’état d’esprit dans lequel on se trouve, pour évacuer l’angoisse de la performance et de la quête. Et puis, c’est également un projet multicouche, pour mes amis geeks notamment, qui vont voir autre chose que la simple expérience.

Ce n’est pas un film, ce n’est pas un jeu vidéo avec des points… C’est finalement un jeu de rôle dans lequel nous jouons notre propre rôle ?

[rires] C’est pas mal ! En fait, le personnage est comme l’extension de notre regard. Quand on est dans l’épilogue sans fin et que la ligne blanche disparaît, on a la possibilité de se retrouver dans ses yeux, comme à la première personne, avec des points de vue « macro ». Ce n’est pas comme un jeu dans lequel on contrôle un personnage. Dans Jusqu’ici, on regarde à un endroit et le personnage suit le mouvement. On se retrouve à regarder une fourmi marcher dans la mousse, et on est vraiment dans les yeux du personnage, dans une espèce d’hyperlapse à la première personne. Nous voulions travailler ce changement de perception et de feeling.

jusquici-waytogoPas de paroles dans Blabla, pas de paroles dans Jusqu’ici… Cela veut dire que tout a été dit ? Que c’est en marchant – ou en courant – qu’on réapprend ?

En fait, le web est un medium qui possède une force de communiquer, de transmettre ou de faire vivre des choses un peu intangibles. J’aime explorer cette zone qui est plus difficile à articuler avec des mots, qui est plus sensorielle, ou viscérale. Et puis, la force du web tient dans son universalité : le projet peut parler à des Marocains, des Japonais, à quelqu’un basé en Uruguay. J’ai envie d’essayer de rejoindre le plus d’internautes possible, de transcender les cultures et les âges.

Quelle est la meilleure récompense que vous avez eue après un visionnage de Jusqu’ici ? Quelle est par exemple la réaction qui vous a fait le plus plaisir à Sundance, où le projet était présenté en avant-première ?

Pour moi, c’était un cadeau d’avoir devant nous des gens qui expérimentaient Jusqu’ici, que ce soit sur grand écran ou dans un casque. Quand les utilisateurs mettent le casque, en 30 secondes ils ne sont plus dans la pièce. Ils sont absorbés dans et par l’univers. On sent bien que c’est genuine : le masque social tombe. Nous sommes vraiment dans l’authenticité. On voit juste le bas du visage de l’utilisateur, mais il y a des sourires, des bouches ouvertes… C’était extraordinaire de voir devant nous des gens qui oublient qu’ils sont observés et qui sont complètement transportés ailleurs.

Quand les utilisateurs enlèvent le casque, vous les accueillez comme à l’aéroport ou comme dans Total Recall [NDLR : où les personnages font des voyages dans des rêves avec des casques sur les yeux] ?

C’est drôle parce que c’est LE film fétiche de Caroline Robert, en charge de l’animation et des dessins, et c’est devenu une sorte de running gag entre nous. Quand les utilisateurs enlèvent le casque, ils disent, avec un espèce de sourire et les yeux qui brillent : « Ah oui, c’est vrai ; Je suis ici. ». C’est très gratifiant de voir ce que provoque l’œuvre. En général, on rencontre rarement notre public, c’est assez abstrait. Nous observons des statistiques, mais pas des visages. Avec les casques de réalité virtuelle, nous percevons l’émotion brute et nous sommes aux premières loges.

Venons-en aux questions un peu plus « classiques »… Etait-il envisageable de marcher à plusieurs dans la forêt, ou le but de l’expérience était vraiment d’être seul ?

Le projet a été imaginé il y a trois ans, et ça fait plus qu’un an que nous y travaillons exclusivement à temps plein. Nous avons essayé une infinité de choses, dont le fait de marcher à plusieurs. Si nous n’avons jamais imaginé de jeu multijoueurs, nous avions l’idée de pouvoir contrôler une troupe, ou une masse de personnages. Mais on se rendait compte que ça dispersait l’attention et qu’on se focalisait moins sur l’environnement. Ce projet, c’est vraiment une balance entre le protagoniste et l’environnement : nous voulions que le personnage soit l’extension de notre regard. Nous avons cherché à simplifier les contrôles que pouvait avoir l’internaute, pour presque les réduire simplement au rythme de la marche. Quand tu commences, tu te dis : « qu’est-ce que je fais ? ». Et puis au bout de 30 secondes, tu tombes dans une marche un peu hypnotique, tu regardes un peu derrière toi… Les codes du jeu sont tellement forts qu’il fallait les utiliser, tout en désamorçant certains des réflexes qu’on a face à un jeu classique.

waytogo-jusquiciPourrait-on dire que la réalité virtuelle soir du cinéma où l’on réalise le montage soi-même en bougeant la tête ?

Oui. C’est méditatif : tu regardes, tu te penches, tu vois des trucs… Dans l’expérience web, c’était la promesse de départ faite au producteur de l’ONF Hugues Sweeney : comment construire une sorte de pont entre les deux grammaires, celle du jeu et celle du cinéma pour en faire quelque chose de cohérent, qui ait du sens ? Cela fait longtemps que nous sommes un peu obsédés par cette jonction, un peu compliquée et bâtarde. Jusqu’ici est le lieu pour explorer un possible point de jonction entre ces deux medias.

Quel est ton rapport au jeu en général ?

Quand j’étais jeune, je jouais beaucoup. Puis, à l’adolescence, j’ai plus ou moins arrêté. Ma pratique du cinéma interactif s’est développée en parallèle, en ne connaissant pas ce qui se faisait dans l’univers du jeu. Il y a 3 ans, par curiosité professionnelle, je me suis replongé dans le jeu, et notamment le jeu indépendant. J’ai été impressionné par la maturité des mécanismes de la compréhension du rapport humain à l’interactivité. Le truc aujourd’hui, c’est que je n’ai plus énormément de temps pour passer des heures devant un jeu. L’illusion d’avoir un temps infini devant nous n’est juste plus possible ! En plus, je suis nul quand il y a une quête, comme dans ces mondes ouverts et infinis. Les gros jeux médiévaux, ça m’angoisse ! Tu es perdu pendant des heures, et c’est tellement complexe que ça procure un vertige… Je ressens en même temps un certain désintérêt pour l’idée de cette performance. Peut-être parce que j’ai grandi avec des jeux qui « avaient une timeline », qui étaient rassurants, apaisants. Ils étaient finalement plus proches de ce que je faisais avec les films interactifs. Pour Jusqu’ici, je me suis dit : on peut jouer avec la notion d’espace-temps dans le contrôle de la vidéo [NDLR : Jusqu’ici est une vidéo composée d’images 360 dans laquelle l’internaute « avance »). On donne l’illusion qu’on se déplace dans l’espace, mais en réalité on se déplace dans le temps, on bouge dans une ligne de temps.

Jusqu’ici n’est pas une quête ?

Non. Et c’était drôle de voir des kids à Sundance me regarder et qui me dire : « what ? what do I do ? », avec l’air un peu perdus. Et puis en quelques secondes, il y a un point de bascule, un mécanisme de cause à effet qui fait que les gamins, quand ils chaussent le casque, se mettent à se pencher ou à bouger la tête pour être en synchronicité. A la fin, je leur demandais : « Do you like it ? », et ils répondaient : « Yeah !! ». Ils avaient du mal à mettre des mots sur ce qu’ils ressentaient. Du reste, dans les jeux, ce sont ces moments-là qui me faisaient vibrer, et qu’on n’arrive pas forcément à expliquer. Je ne prétends pas que Jusqu’ici soit un jeu, mais une part de ses fondations vient de cet univers. Et puis, il y a les codes du cinéma, avec du montage, des effets en temps réel et des questions de rythme… C’est un peu comme du VJing.

Caroline Robert, Philippe Lambert, Édouard Lanctôt-Benoit, Vincent Morisset - © Jonathan Brisebois
Caroline Robert, Philippe Lambert, Édouard Lanctôt-Benoit, Vincent Morisset – © Jonathan Brisebois

Comment s’est déroulée la production ? Comment passe-t-on de l’idée au prototype ? On développe un petit bout du trajet pour voir si ça fonctionne ?

On a réalisé quelque chose comme 70 prototypes ! Chaque prototype validait une intuition ou une idée, ou l’évacuait. A la base, l’idée consistait à explorer la capture panoramique et essayer de créer la sensation du déplacement dans l’espace, comme dans un jeu. On a essayé avec l’iPhone et un gyroscope dans notre bureau et on a regardé si la progression dans la vidéo créait quelque chose. Nous nous sommes aussi beaucoup posés la question de savoir « qui sommes-nous ? » dans l’expérience, « est-ce que nous sommes nous ou ou un autre ? ». Dès le premier jour, Caroline, Edouard et Philippe et moi, nous avons essayé de pousser l’ensemble de ces idées dans toutes les voies possibles. Philippe réfléchissait à la manière de générer de la musique de façon dynamique, avec des rythmes euclidiens qui s’imbriquent les uns dans les autres selon les déplacements (voulus par l’internaute) du personnage. Caroline, elle, a commencé à défricher les façons dont nous pourrions « transcender » la vidéo, et ne pas se limiter seulement à des images mouvantes qui se figent quand on s’arrête. Dans ce cas, c’est un peu comme dans Street View : nous sommes confrontés à une image « morte ». Nous avons au contraire recherché à donner une illusion de vie, et on a donc pensé à rajouter le personnage…

Le personnage n’était donc pas présent dès le début de la réflexion ?

Non, même pas ! L’idée de base était vraiment très primitive, et on a rajouté des choses petit à petit. Nous avons donc créé le personnage, et nous avons ensuite voulu pousser la réflexion encore plus loin. Il s’agissait de le catapulter dans son univers, en juxtaposant une représentation réaliste et une représentation interprétée de cette même forêt, en jouant sur la notion de sensibilité, et sur les perceptions…

Et tout ça sans vous perdre ?

On a eu le luxe, grâce à l’ONF, France Télévisions et Le Temps, de pouvoir travailler un an sur le projet, avec des technologies qui sont souvent encore « dans le brouillard ». Nous avons pu énormément expérimenter. Notre processus, sur tous les projets, consiste à pouvoir générer de bons accidents. Je n’ai jamais prétendu avoir une vision très précise de ce que je fais au moment où je démarre un projet. Ce sont des instincts, et je fais ensuite confiance à l’échange d’idées. L’ONF assume une dimension artisanale et expérimentale dans laquelle je me reconnais. Ce sont aussi des précurseurs du cinéma direct et de la caméra portative. Pour l’image 360, j’avais envie qu’on soit dans quelque chose de léger au niveau du tournage. D’ordinaire, la captation panoramique est lourde et nécessite de grosses équipes… Je trouvais intéressant d’approcher ce medium de manière plus légère. Le tournage, c’est simplement 16 GoPro et un gyroscope.

Il y a trois ans, nous n’avions pas pensé le projet pour la réalité virtuelle. C’est au fur et à mesure du développement que j’ai eu envie de revisiter la VR [NDLR : Virtual Reality], qui était un format un peu mal-aimé. Et finalement, 3 ans après, la VR est au top. Je me suis dis aussi qu’il ne serait pas grave que ce ne soit pas parfait. A Sundance, presque tous les projets étaient des sortes de case study, des démos où le stitch [la « couture » des images filmées en 360 par plusieurs caméras, NDLR] n’est pas parfait. Mais nous avançons dans des zones où personne n’est allé jusqu’à présent. Avec une certaine naïveté, nous produisons quelque chose d’entièrement interactif, sans aucun point mort… Nous devons aussi par exemple gérer le problème des maux de cœur quand les images bougent. C’est dans cette optique que notre personnage est un point de fuite pour le regard, ce qui évacue ce problème. Les collaborateurs de chez Oculus étaient mystifiés ; ils nous ont dit : « Sur le papier, il y a des choses qui ne sont pas techniquement correctes dans votre projet, mais ça marche quand même… C’est fantastique ! ».

jusquici-waytogo-morissetQuand décide-t-on de désactiver le pointeur de la souris de l’utilisateur ? C’est évident ou on se dit que c’est trop dangereux parce qu’on va perdre des utilisateurs ?

Ce n’est effectivement pas rien de kidnapper le curseur de l’utilisateur ! C’est un parti-pris qu’on a… pris, justement. Dans mes projets, je veux qu’on oublie la technologie et l’interface. Je cherche à ce qu’on ne voit pas la couche du web. Et pourtant, c’est fou comme ce projet est complexe. Nous avons vraiment poussé les technologies web dans des zones inexplorées. Et malgré tout, Jusqu’ici reste une œuvre dans laquelle on oublie assez rapidement les ficelles de la technologie. C’était notre défi : ne pas être dans le « waouh ! » avec des images où tout explose. Nous avons pris le parti de travailler des effets dynamiques de manière quasi subliminale. Les rayons de lumière par exemple, qui traversent les feuilles des arbres : tout est dynamique, ça va prendre des points blancs de la vidéo et ça les extrude selon l’angle de la caméra. C’est incroyablement compliqué mais, pour les utilisateurs, c’est juste : « je suis dans la forêt, la lumière passe à travers les branches, et c’est normal ! ».

La VR, c’est l’équivalent de la couleur ou des lunettes 3D au cinéma ? Autrement dit : est-ce une technologie durable, ou pas ?

J’ai toujours été sceptique par rapport à ces questions sur la technologie. J’évite de m’interroger sur le futur, ça ne m’intéresse pas. Je suis davantage dans l’instant, en me demandant quels sont les possibilités narratives et les outils que nous pouvons utiliser aujourd’hui. Pour moi, le canevas de la VR est apparu de manière accidentelle et organique et, pour être honnête, nous étions tous un peu sceptiques. Mais en l’essayant… Il y a vraiment un changement de paradigme. Tu as un rapport complètement différent à l’œuvre. Mais est-ce que ça va être durable en termes de plateforme de diffusion ? Je ne sais pas.

Quels mots mettrais-tu sur ce changement de paradigme ?

On entend beaucoup de termes comme « empathy machine », « présence » ou « immersion »… Ce sont les trois mots les plus à la mode pour se référer à la VR. Et en fait, ça beau être à la mode, je trouve que ces mots sonnent justes.

C’est une expérience totalement différente de celle du cinéma ?

Oui, ça n’a rien à voir. Je n’en ai pas essayé énormément, mais le rapport qu’on a au projet est complètement différent. Par exemple, j’expérimente le projet de manière très différente selon que je sois sur le web ou avec le casque. Sur le web, c’est plus nerveux, je peux constamment changer de point de vue. Et en même temps, il y a quelque chose d’apaisant et de relié à quelque chose de cinématographique. Dans la version VR, tu es juste comme absorbé dans un univers. On a beaucoup joué sur les contrastes entre l’environnement réaliste, désaturé, et l’environnement interprété, multicolore, entre des points de vue micro et macro, entre des moments où tu es sur une ligne et d’autres où tu peux aller où tu veux… Ces contrastes-là sont encore plus amplifiés dans l’expérience VR. Même le bougon cynique en moi ne peut qu’adhérer ! Nous savons que la technologie n’est pas encore vraiment au point, nous avons encore conscience de l’écran, nous voyons les pixels. Mais nous voyons aussi que c’est prometteur. Et je crois nous pouvons considérer la VR comme un medium en soi.

Propos recueillis par Nicolas Bole

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– « Le cancer du temps », fable interactive ONF/France TV – entretien avec Dominic Turmel

– « Bear 71 », un documentaire interactif élu site de l’année – Xavier de la Vega

– L’ONF fête ses 75 ans… Entrez dans les coulisses ! – par Cédric Mal

Rendez-vous

–  Vous avez la chance d’être à Montréal ?
L’expérience de réalité virtuelle Jusqu’ici se tiendra aux Rendez-vous du cinéma québécois (RVCQ), du 25 au 27 février, puis à l’Excentris, du 2 au 6 mars.

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