Suite et fin de notre entretien avec David Carzon. Le Blog Documentaire est allé rencontrer l’homme qui a pris la suite de Joël Ronez à la tête du pôle web d’ARTE France, l’un des principaux moteurs de la création web.

Dernière étape ici, avec une question sensible et évidemment d’actualité pour chaque auteur et producteur de webdoc : le financement. On parle aussi « franchise », et « coproduction internationale »…

Le Blog Documentaire : Après avoir évoqué la façon dont ARTE sélectionnait les projets qui sont ensuite (co)produits, intéressons-nous à une question majeure :  celle du financement des œuvres web… Est-il possible aujourd’hui de rendre un webdoc viable, et de gagner de l’argent avec ?

David Carzon : C’est une question que vous devez poser aux producteurs. ARTE pour sa part n’a pas vocation à gagner de l’argent sur les projets sur lesquels nous travaillons. Nous nous voulons moteurs d’une génération, d’un écosystème nouveau dans lequel produire des objets inédits puisse permettre de renouveler les écritures du documentaire ou de la fiction.

J’insiste sur le fait que, si nous faisons tout pour générer un écosystème viable des œuvres sur le web, nous ne sommes pas un étalon pour la profession. On ne souhaite pas, comme je vous le disais précédemment que les critères appliqués au webdoc à ARTE soient les critères communs à chacun.

Nous cherchons à financer le mieux possible les projets innovants que nous produisons, afin que les producteurs soient à l’aise pour travailler. Il y a deux ans, nous financions chaque projet à hauteur de 40 à 60.000 euros. On s’est rendus compte que le producteur, avec cette somme, ne s’y retrouvait pas, et ne pouvait pas travailler convenablement. Aujourd’hui, on finance davantage à 90 ou 110.000 euros les projets les plus ambitieux pour lesquels nous sommes le partenaire principal. Cela influe sur la qualité des projets – elle progresse – mais aussi sur leur quantité : basiquement, nous préférons faire moins mais mieux. Le producteur a dès lors moins besoin d’aller chercher des financements extérieurs pour rendre ses projets réalisables.

Et le CNC soutient aussi beaucoup la création ?

Il faut être clair : ce système ne tient que parce que CNC, par une politique volontariste qui a pour but d’aider la création, a décidé de financer ces projets innovants. Cette création ne verrait pas le jour sans le CNC.

De la même façon, les créations web n’existent au Québec que parce que le Fonds des Médias du Canada ne donne accès aux financements qu’aux projets audiovisuels comportant un aspect convergent, ou à ceux qui sont totalement expérimentaux sur les nouveaux médias. Ils ont donc un volume de réserve de financement plus grand que nous et ils ont intégré bien avant nous le web et sa culture dans la création audiovisuelle.

Actuellement, l’Autriche réfléchit à un système ressemblant au CNC pour la création multimédia. Les Pays-Bas ont mis en place un système de financement public, ce qui permet à Submarine d’exister. L’aide publique est donc essentielle.

Pour le reste, le modèle économique n’est pas encore en place. Sans activité de création sur le web, les diffuseurs hésitent à financer et quand ils le font, les enveloppes sont moindres. Encore une fois, nous n’avons pas vocation à ce que l’exemple d’ARTE devienne le modèle dominant : nous essayons de tirer les choses vers le haut et d’insuffler de la culture web aux producteurs.

On a l’impression qu’en dehors de l’écosystème public, point de salut…

Ce n’est pas vrai : regardez Canal Plus, qui produit des œuvres, qui relèvent certes davantage du marketing mais qui font des choses très bien, avec CAPA notamment, sur Braquo.

De manière plus globale, nous devons nous intéresser à des champs de productions nouveaux et vraiment intéressants. Adieu Camarades, par exemple, est une coproduction européenne, réalisée en pas moins de 6 ou 7 langues différentes ! Nous avons réussi à vendre des licences, avec des projets couplant programme antenne et programme web. Les licences rapportent, plus seulement à partir du documentaire antenne, mais aussi à partir du webdocumentaire. Ce modèle est une source de financements intéressante pour le producteur. Il est vrai cependant que, sur les coproductions internationales, il est encore très difficile de vendre des projets webdocs seuls car les organismes audiovisuels souhaitent encore qu’ils soient accolés à des projets antenne.

Cela peut-il changer ? Pourra-t-on se passer un jour d’une diffusion antenne ?

Oui. Je pense que tout cela va évoluer. Je n’ai pas de boule de cristal, je ne sais pas le temps que cela va prendre. Mais nous sentions, à l’IDFA par exemple, que les discussions évoluent. Dans d’autres pays, les diffuseurs commencent à regarder ce que nous faisons sur le web.

Autre exemple : nous avons produit un « mini-webdoc » sur l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima. Il s’agit d’un projet purement web, sans diffusion sur l’antenne. Ces « récits de Fukushima » de Alain de Halleux, ont été coproduits par ARTE et la chaîne belge RTBF pour le web. La RTBF a été tellement intéressée par la websérie qu’elle a décidé de la coproduire avec nous. Certes, le montant de notre apport, d’environ 20.000 euros, n’est pas très important sur cette websérie : mais cela montre qu’un projet né sur le web peut intéresser un autre diffuseur.

Avez-vous d’autres accords similaires à ceux de l’ONF en prévision ?

Nous discutons avec d’autres acteurs qui seraient intéressés par un partenariat à peu près similaire. Je vois que France Télévisions a annoncé un accord avec l’ONF : c’est très bien pour eux. Et je pense que, tout seul, nous n’y arriverons pas. Nous devons créer des synergies, des échanges entre les producteurs et les diffuseurs pour trouver un modèle.

Nous avons aussi acheté à l’ONF une petite licence sur le site « écologie sonore » pour la France. C’est un projet qui date d’il y a deux ans que nous aimons beaucoup et pour lequel on va réaliser une version allemande.

Faudrait-il créer une sorte d’audimat pour le web, ce qui permettrait à des annonceurs de s’intéresser au webdoc ?

Je ne sais pas. ARTE ne recherche pas d’annonceurs. Ce n’est pas notre mission. Mais je remarque que beaucoup de marques financent elles-mêmes des projets de webdoc, comme la SNCF par exemple [NDLR : projet réalisé par Upian]

Nous devons chercher des coproductions à l’international, renforcer les partenariats et les licences, pour créer une circulation d’argent. C’est en changeant les usages que tout cela se modifiera. Mais ARTE n’a pas vocation à travailler avec des marques.

Par ailleurs, sur l’idée d’un audimat sur le web, ça ne me semble pas pertinent. Pour nous, tous les projets que nous produisons obéissent à des métriques différentes. Pour Code Barre, ce qui nous intéressait, ce n’était pas le nombre de visites sur le site mais le nombre de scans d’objets. Sur Prison Valley, nous regardions le temps passé sur le site et le nombre de vidéos consultées… Notre but, c’est de distribuer le contenu là où les gens le regardent : donc pas de les attirer à nous, mais d’aller là où c’est le plus facile pour eux de nous retrouver. L’audimat, ce sont donc ces milliers de petites niches qui sont autant d’usages différents, pas encore harmonisés.

Notre objectif est donc à la fois de valoriser la création et que cette création soit vue, sur différents supports.

Question rituelle pour finir : le webdoc existe-il ? Ou est-il un mot-valise ?

C’est un mot-valise. Nous, nous parlons de programmes web ou de programmes transmedia, car on travaille aussi sur la fiction. Mais le mot webdoc n’a, en lui-même, pas beaucoup d’importance.

 

Propos recueillis par Nicolas Bole

Plus loin

– David Carzon – La production web chez ARTE #1

David Carzon – La production web chez ARTE #2