C’est un film dont nous sommes heureux d’être partenaire pour sa sortie en salles. Repéré et primé à deux reprises aux Ecrans documentaires d’Arcueil en 2018, distingué également quelques mois plus tard au festival Filmer le travail de Poitiers, « De cendres et de braises » raconte les mutations d’un quartier de banlieue parisienne, avec et par ses habitants. Dans un noir et blanc hypnotique, Manon Ott propose une expérience poétique, intime et politique. L’analyse est signée Théophile Lefebvre.

Les Mureaux. Cité ouvrière sur le bord de la Seine dans les Yvelines. Une communauté sous le joug du travail à la chaîne pour l’usine Renault-Flins, située dans les environs. Mais surtout cadre du nouveau film de la réalisatrice Manon Ott, également chercheuse en sciences sociales, De cendres et de braises.

Dès le début du documentaire, les habitants du quartier l’annoncent : « Ici, on a tous travaillé pour eux. On pense Renault, on mange Renault, on dort Renault ». Les enjeux sont posés. Il sera question ici de destins personnels à l’ombre d’une grande multinationale. Mais pas seulement.

Le souffle d’une révolte enflammée

Pour dévoiler ces histoires personnelles, la réalisatrice, qui a vécu au plus près des habitants pendant sept ans, fait le choix du noir et blanc et montre ainsi l’intemporalité de ce combat contre l’injustice sociale. On ressort des archives à d’anciens ouvriers qui se rappellent que cette lutte ne date pas d’hier. On est marqué par cette déclaration : « Ça se gagne millimètre par millimètre la résistance à l’oppression et à l’exploitation ». Mais ici le film n’est pas que politique. Il s’intéresse avant tout aux gens et à leur histoire. Sur fond de rêverie. Comme pour échapper à la lourdeur d’un quotidien qui, comme l’expliquent les protagonistes, n’est autre qu’une répétition des mêmes gestes à l’usine. Les habitants du quartier des Mureaux ne sont pas que des « esclaves des temps modernes », comme ils se définissent parfois eux-mêmes, mais des femmes fortes, des repris de justice, des apprentis rappeurs, des groupes de potes…

 

 

Le film évite en ce sens l’écueil de tomber dans le simple message politique. On cherche à comprendre l’origine de la révolte. Ces braises qu’on voit lors du travail de fonderie à l’usine Renault ne deviendraient-elles pas ce feu qui vient déferler sur des pneus lors des contestations des travailleurs ? Ou alors attisent-elles plus simplement le feu d’un barbecue entre habitants du quartiers ? Et qu’en est-il de ce feu sauvage autour duquel Momo, l’ex-délinquant, explique qu’il préfère brûler la vie par les deux bouts plutôt que de vivre une vie rangée en travaillant à l’usine ? Avec ce réseau de symboles, Manon Ott arrive habilement à nous sensibiliser aux destins de personnes qui ne cherchent rien d’autre qu’une vie décente. Une vie dans un quartier qui semble parfois ne même pas leur appartenir, mais auquel ils sont pourtant immensément attachés.

Après avoir notamment réalisé un film tourné en Super 8 à l’aspect très poétique et onirique (Narmada) et un autre sur le destin d’une immigrée qui cherche une meilleure vie en France (Yu), Manon Ott et Grégory Cohen (son compagnon de réalisation qui gère le son et l’image également) trouvent dans cette œuvre une synthèse parfaite de leurs thématiques. A la manière du film In Jackson Heights de Frederick Wiseman (2015), qui montrait la menace de la gentrification sur un quartier populaire (8% de logements sociaux en moins en dix ans aux Mureaux), la réalisatrice vient y ajouter la problématique des emplois précaires. On nous raconte ici l’histoire collective d’un espace social qu’on tend à oublier ou à stigmatiser avec des reportages à sensation. Celle d’enfants d’immigrés qui se retrouvent avec les mêmes problématiques que leurs aînés.

La joie de vivre dans la noirceur du quotidien

L’autre atout majeur du film est de réussir à se départir habilement de la pesanteur du quotidien à l’aide d’interludes musicaux. Que cela soit cette magnifique scène de rap improvisée entre deux jeunes ou cette femme attendant son mari détenu qui ne peut s’empêcher de chantonner et danser quand elle fait la cuisine, on nous fait comprendre que c’est avant tout la joie de vivre qui triomphe. Avec ce film, Manon Ott et Gregory Cohen dressent un beau portrait d’une société mutation en se focalisant sur un microcosme, le quartier des Mureaux. Qu’ils ne filment jamais le filmer avec des a priori mais seulement avec tendresse.

Ainsi, une cité de banlieue est vue autrement que par le prisme des images des révoltes et les voitures brûlées de 2005. Car ce documentaire permet de comprendre les braises qui peuvent attiser ce feu et espérer que nulles cendres ne seront à ramasser une fois la flamme éteinte.

Théophile Lefebvre

Les rencontres avec la réalisatrice…

1er octobre : Grenoble (38), Cinéma Le Club, 20h
2 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème), 20h
« Un cinéma entre art et recherche » : rencontre avec la réalisatrice et Eliane De Latour (anthropologue et cinéaste)
3 octobre : Scène Nationale L’Estive, Foix, 19h
6 octobre : Cinéma Escurial (Paris 13ème), Paris. 11h
7 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème), 20h
« Un dialogue entre sciences sociales et cinéma » : rencontre avec la réalisatrice et Stéphane Breton (ethnologue et cinéaste)
8 octobre : Saint Denis (93), Cinéma L’Ecran, 20h
9 octobre : Cinéma Frédéric Dard, Les Mureaux
En présence de l’équipe et des protagonistes du film
10 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème)
Rencontre avec la réalisatrice et Jacques Rancière (sous réserve)
11 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème)
Rencontre avec la réalisatrice et Marie Helène Bacqué (sociologue, urbaniste)
13 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème), 20h
« Mouvements et résistances des quartiers populaires »: rencontre avec la réalisatrice, Mohamed Hocine (protagoniste du film) et Farid Taalba (écrivain, militant, travailleur social) – tous deux d’anciens membres du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB)
15 octobre : St Ouen Aumône (95), Cinéma Utopia, 20h30
17 octobre : Pantin (93), Ciné 104
18 octobre : Montreuil (93), Le Méliès, 20h30
En présence de l’équipe du film, soirée animée par Le Blog documentaire
20 octobre : Espace St Michel (Paris 5ème)
En présence de Licra et de la productrice Céline Loiseau
21 octobre : Ivry (94), Cinéma Le Luxy, 20h30
27 octobre : Pau, Le Méliès
28 octobre : Toulouse, Le Cosmographe
29 octobre : Bordeaux, Uotpia
7 novembre : Poitiers
8 novembre : Poitiers
13 novembre : Le Méliès, Port de Bouc (13)
Avec Images de ville, en présence d’un protagoniste du film
16-17 novembre : Aix-en-Provence
19 novembre : Garges les Gonesse (93)
21 novembre : Ris Orangis (91), Les Cinoches
22-23-24 novembre : Thionville
26 novembre : Montpellier, Utopia
27 et 28 novembre : Les Houilles et Aiton, Savoie (Mois du film Documentaire)
2 et 3 décembre : maisons d’arrêt en Rhône Alpes
5 décembre : Festival Femmes Méditerranée, Marseille (13)

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