Nouveau partenariat pour Le Blog documentaire, avec un premier film très prometteur. En salles en France dès le 13 mars, « Tu seras Sumo », réalisé par Jill Coulon, raconte l’histoire d’un jeune homme, Takuya, qui est envoyé par son père dans une écurie de sumo à Tokyo. A peine sorti du lycée, il doit devenir lutteur professionnel.

Jill Coulon a suivi ce jeune homme depuis son départ du nid familial jusqu’aux premiers mois de formation, et après… Obéissance, endurance, persévérance : le film nous plonge dans l’univers étonnant du sumo, mais il raconte surtout un adolescent tiraillé entre ses devoirs et ses désirs, son passage à l’âge adulte et sa quête intérieure semblable à celle tous les adolescents du monde. Marie Baget a rencontré la réalisatrice, qui nous raconte ici ses premiers pas de documentariste.

encart basse def 2Le Blog documentaire : Comment avez-vous eu l’idée de tourner votre premier film sur un sujet si particulier ; à savoir : la formation d’un jeune Sumotori ?

Jill Coulon : Je travaillais auprès de Thomas Balmès sur le tournage de « Bébés » au Japon et j’ai eu l’occasion de rencontrer une femme d’origine mongole qui voulait faire un film sur les sumos. Elle en avait rencontré un dont elle est tombée amoureuse. Mais il a pris sa retraite et elle n’a jamais fait le film. Elle me parlait à l’époque de ces jeunes sumos qui commencent leur carrière très tôt et j’étais étonnée par ce changement radical de vie opéré si tôt. C’est grâce à elle que j’ai eu accès à l’écurie Oshima Beya. Mon idée était de suivre un débutant. Et justement un jeune devait arriver bientôt… C’était Takuya.

Vous vous êtes donc lancée dans cette aventure sans connaître votre personnage principal. Comment avez-vous géré cela ?

Je n’ai pas eu le choix ! Je voulais vraiment commencer au début d’un parcours ! J’ai eu de la chance que Takuya soit ce qu’il est ; c’est à dire un jeune homme qui n’avait jamais fait de sumo avant, qui ne connaissait pas ce monde, et qui était mince. L’accès aux écuries est tellement difficile qu’il fallait saisir l’occasion. Si Takuya convenait, ce serait une porte d’entrée intéressante, et si ça ne marchait pas entre nous, j’ai imaginé que je trouverais un autre angle une fois dedans. En documentaire, il y a toujours une prise de risque car même en « castant » son personnage, ce n’est pas un comédien, on ne sait pas comment il va évoluer ni comment il sera devant la caméra.

C’était votre première expérience de documentariste, avec un sujet difficile d’accès, et quelqu’un qui ne parlait pas français. Ça n’a pas été une barrière ?

Les premières rencontres chez lui ont été décisives. Nous étions une petite équipe (mon assistante japonaise et moi). Nous avons découvert son environnement familial, ses amis. Ensuite, une fois à Tokyo, le fait que nous connaissions sa maison et son quartier le rassurait, comme si cela avait tissé un lien entre son ancienne et sa nouvelle vie. On était un peu des « grandes sœurs  » ! Il semblait content de cette présence de la caméra, car même si ce n’est pas facile tous les jours d’être filmé, ça l’a aussi protégé d’un bizutage éventuel. Et puis, cela lui donnait un statut un peu à part vis-à-vis des autres.

C’est étonnant dans votre film de voir cette résonance entre le sumo – lutte traditionnelle typiquement japonaise – et la lutte intérieure de Takuya qui est, elle, universelle…

Plus que le sumo, je voulais raconter le changement radical de vie. C’est cette transformation là qui m’intéressait chez Takuya. Au fur et à mesure du tournage, je me suis rendue compte que ses réflexions intérieures était aussi celles d’un ado en plein passage vers la vie adulte. Cette période là, où on doit choisir sa vie, choisir une voie. Au montage, en utilisant sa voix comme un journal intime, on a voulu accentuer ce cheminement intérieur, pour que justement ce ne soit pas un film sur le sumo et le Japon (ce qui n’intéresse pas forcément tout le monde et est assez austère), mais une histoire qui parle à tout le monde.

Pourquoi avez-vous choisi d’éviter les interviews et d’utiliser la voix de Takuya en off ?

Dès le début, je savais que je ne voulais ni interviews face caméra, ni voix off explicative. J’étais dans une démarche de cinéma d’observation, je voulais laisser les choses se faire devant la caméra. Mais j’ai tout de même fait des interviews tout au long du tournage avec Takuya car c’était le seul moment, pour ma coéquipière japonaise et moi, pour être seules avec lui, l’isoler des autres, et saisir son état d’esprit. Et assez vite, dès le début du montage, on a utilisé sa voix en off, parce qu’il était hors de question que je raconte son histoire. Comme je voulais raconter sa quête intérieure, c’était logique t’utiliser sa voix. Et si on n’avait pas utilisé de voix off du tout, on n’aurait pas pu comprendre ce qu’il avait en tête. Car dans un monde d’hommes, de sumos, au Japon, ils ne se parlent pas entre eux.

HDCAM dec 07 asahikawa 02bis_0 Neuf mois de tournage, dix mois de montage : ce sont des durées plutôt inhabituelles de production…

Oui, c’est un luxe qu’on a rarement en documentaire ! Deux fois trois mois de tournage et dix mois de montage pour fabriquer trois versions (1h50 pour la télévision japonaise NHK, 1h23 pour le cinéma et 55 min pour la version télé). Cela a été possible grâce au financement de la NHK et grâce à Thomas Balmès qui a produit le film. Thomas a son propre matériel et il a l’habitude de tourner longtemps, donc il m’a laissé en immersion. Sans ce temps là, on n’aurait pas fait le même film ! En plus du fait qu’on voulait voir Takuya grossir, c’est aussi dans le temps qu’on a pu établir un lien de confiance avec lui.

J’imagine que le film s’est donc en grande partie écrit en tournant…

Oui, car Takuya est arrivé très vite, je n’ai pas eu le temps de préparer. J’ai donc pris le parti de tout découvrir en même temps que lui. J’avais un œil neuf, et comme lui je ne connaissais pas les règles, les codes. Donc le film s’est fait pendant le tournage, et plus encore au moment du montage

Pourquoi ?

La première raison, c’est que je ne parle pas japonais. Pendant le tournage, j’avais une traductrice avec moi, qui me traduisait au fur et à mesure, mais pas dans le détail. Parfois, elle n’était pas là et je tournais beaucoup au feeling. J’ai donc découvert des choses au montage. Certaines positives, d’autres moins, comme les fois ou j’avais coupé en plein milieu de la phrase ! Donc le travail de montage a été très long !

Au niveau de l’image, comment s’est passé cette première expérience avec une caméra ?

Je fais de la photo depuis l’âge de 13 ans. J’ai fait quelques images sur « Bébés », poussée par Thomas Balmès. Mais pour cette première fois « en solo », j’ai choisi d’utiliser le pied et de soigner mes cadres. En même temps, ce choix de cadres très « posés » convenait bien avec le sujet. Ce long tournage m’a aussi permis de m’approprier l’outil.

Takuya sweeping dohyoApparemment, le silence est une composante incontournable du monde du Sumo. Mais c’est aussi un paramètre difficile à gérer dans un film. Quels compromis avez-vous dû faire à ce sujet ?

Le silence peut en effet être difficile à faire exister dans un film. Mais au Japon, dans l’enseignement du Sumo et dans toutes les pratiques traditionnelles, le maître ne parle pas, les élèves apprennent en regardant les autres. C’est présent dans le film, l’entraîneur ne parle pas à Takuya. Il doit observer, comprendre tout seul. Je voulais montrer cette particularité liée à la culture japonaise. Le titre du film en japonais, c’est « Shinbô », que l’on peut traduire par « persévérance dans le silence », c’est à dire persévérer mais sans se plaindre. Ce terme définit bien le sumo car c’est une pratique difficile physiquement, mais aussi moralement. Il implique non seulement un changement du corps, mais aussi un changement de vie particulièrement difficile pour un adolescent.

Avez-vous tourné autre chose depuis cette expérience au Japon ?

J’ai eu l’opportunité de réaliser un épisode des « Nouveaux Explorateurs » (Canal+) en Chine. Il devrait être diffusé en avril. Ça a été un bon exercice pour moi car, cette fois-ci, il fallait tourner vite et caméra à l’épaule : tout l’inverse de mon expérience avec « Tu seras Sumo » !

Avez-vous des projets personnels en cours ?

J’ai deux films en développement. Pour le premier, je souhaiterais suivre un car de touristes chinois qui visitent 6 pays d’Europe en 10 jours. L’idée est d’interroger leur vision des Européens. Pour le deuxième projet, je souhaiterais suivre plusieurs femmes françaises, de différents âges, qui s’appellent toutes Marie Dupont et, à travers elles, interroger l’évolution de la société. Il y a quelques temps, j’ai vu « Chronique d’un été » de Jean Rouch, et j’ai beaucoup aimé cette question : « Comment te débrouilles-tu avec la vie ? ». J’aimerai la poser aussi aux Marie Dupont…

 Propos recueillis par Marie Baget

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« Tu seras sumo » sera diffusé à travers toute la France. (Compte Facebook du film ici, Twitter ). Voici pour commencer quelques dates :

*** Mercredi 13 mars

Caen au Lux, projection et rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 15/03 à 18h30
Grenoble au Club
Paris à l’Escurial, projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 17/03 à 11h00
Paris au Reflet Médicis, projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice et Y. Mens (Alternatives Internationales), le 19/03 à 21h00
Paris au Saint-André des Arts :
— Avant-première mardi 12 mars à 20h30 en présence de Jill Coulon, réalisatrice
— Projection-rencontre mercredi 13 mars à 20h30 en présence de J. Coulon, réalisatrice et Jean-Baptiste Hanak (dDamage), créateur de la Bande originale du film
— Projection-rencontre jeudi 14 mars à 20h15 en présence de J. Coulon, réalisatrice et Cédric Mal, Directeur de la publication du Blog documentaire
— Projection-rencontre samedi 16 mars à 20h15 en présence de J. Coulon, réalisatrice et Claude Leblanc, rédacteur en chef de Zoom Japon

*** Autres projections-rencontres
Clermont-Ferrand aux Ambiances : projection-rencontre avec J. Coulon, le 21/03
Lille au Majestic : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 28 à 20h
Gardanne aux Trois Casinos : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 10/04
Nice au Mercury : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 11/04
Toulouse à l’ABC : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 15/04
Perpignan au Castillet : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 16/04
Rennes aux Champs libres : projection-rencontre avec J. Coulon, réalisatrice le 12/05

Outre ces villes, « Tu seras sumo » sera aussi bientôt projeté à Arcueil (le 27/03 au cinéma Jean Vilar), à Pantin (le 03/04 au cinéma le 104), à Villeneuve d’Ascq (le 24/04 au cinéma Le Méliès)… Et bien d’autres encore. Pour connaitre la date du passage du film dans votre ville, consultez cette carte.

No Comments

  1. histoire intéressante, le sumo est une véritable institution au japon et un documentaire sur ce phénomène est toujours intéressant.
    mistergoodmovies.net

  2. Marie-Louise Lieau

    Bel entretien avec Jill Coulon.
    Vive le documentaire au cinéma ! Contente de voir que de nouveaux réalisateurs prometteurs émergent aujourd’hui encore.
    Bonne route à Jill Coulon.

  3. Françoiise Glorion

    Passionnant de découvrir un univers totalement inconnu ( pour moi), même assez étrange.Ce très intéressant entretien donne grande envie d’aller voir le filmm

  4. Pingback: « Se battre » : retour sur une stratégie de distribution | Le blog documentaire

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