En salles ce mois-ci… Werner Herzog en 3D, un orchestre symphonique à Kinshasa, ou encore des enfants contraints par le travail dans les campagnes mexicaines… Un mois également riche en « actes de résistance », du militantisme laïc de Nadia el Fani dans une Tunisie désormais « libérée » de Ben Ali à la réapparition de Jafar Panahi qui se met en scène malgré l’interdiction d’exercer son métier qui lui ait faite par le régime iranien.

Jafar Panahi – dans « Ceci n’est pas un film » (2011).

Le 31 août

La Grotte des rêves perdus, de Werner Herzog.

Plongée souterraine dans un monde âgé de plus de 30.000 ans, le nouveau film de Werner Herzog nous emmène dans les entrailles de la Terre, au Sud de la France, dans la grotte Chauvet-Pont d’Arc. Très récemment découverte (en 1994), celle-ci recèle les peintures rupestres les plus vieilles au monde – près de 400 représentations deux fois plus anciennes que celles de Lascaux.
Premier documentaire du cinéaste allemand à sortir en salles en France après Grizzly Man, La Grotte des rêves perdus utilise la 3D pour nous offrir une entrée inédite dans ce lieu dont l’accès est très limité (une réplique devrait ouvrir au public d’ici à 2014). Une technologie qui autorise ici l’expérimentation de sensations audio-visuelles saisissantes, bien que quelque peu « plombées » par les entretiens avec les scientifiques et les chercheurs présents dans le film. De longues plages de silence subsiste toutefois, associées à la voix off du cinéaste Volker Schlöndorff, ami de Werner Herzog, qui assure la version française pour éviter les sous-titres.
Werner Herzog n’échappe donc pas au didactisme (les plus retenus parleront de « pédagogie »), mais c’est peut-être aussi une ruse pour se protéger du vertige du temps qu’il représente. La Grotte des rêves perdus est également, et sans doute surtout, une réflexion sur la naissance de l’art de l’image, de l’expression de l’imaginaire, et même des débuts de l’image animée – celle d’animaux aux multiples pattes qui, déjà, créent l’illusion du mouvement.

*-*-*-*-*

Le 14 septembre

Kinshasa Symphony, de Martin Baer et Claus Wischmann.

C’est à une saisissante rencontre que nous convient Martin Baer (interview ici) et Claus Wischmann. Rencontre avec un orchestre symphonique congolais, le seul de toute l’Afrique sub-saharienne, créé dans les années 90 dans l’une des villes les plus désordonnées du monde, Kinsasha. Dans cet apparent chaos, chanteurs et musiciens pour la plupart autodidactes s’accordent pour composer un ensemble harmonieux, et sans fausse note.
La prouesse mérite d’être soulignée dans le pays de feu Mobutu. Après deux coups d’état et une guerre civile, les quelques 200 artistes qui composent l’ensemble continuent de répéter leur Hymne à la joie en dépit des régulières coupures de courant. Ils jouent dans le noir, pratiquement les yeux fermés, et leur abnégation fera chavirer les oreilles les plus réfractaires.
Même la pénurie d’instruments de musique n’ébranle pas cet orchestre qui, sous la caméra de Martin Baer et de Claus Wischmann, prend les allures d’une formidable expérience humaine. Sur la route du concert en honneur de l’indépendance de la République Démocratique du Congo (RDC), nous suivons aussi – et surtout – le quotidien de certains de ces musiciens, petits commerçants ou simples artisans, tous ignorants du solfège, qui viennent dresser devant nous et en creux un très intéressant portrait de leur pays. C’est donc aussi une image caléidoscopique du Congo contemporain qu’il nous est donnée à contemple ici. Et n’allez pas demander à ces musiciens pourquoi il ne préfèrent pas jouer des « rythmes africains » !… Il y en a AUSSI dans les chefs d’œuvrse de la musique dite « occidentale »…

*-*-*-*-*

Le sens de l’âge, de Ludovic Virot.

Voilà un film attendrissant, émouvant, et finalement très beau. Nous sommes confrontés à six octogénaires eux-mêmes confrontés au vieillissement de leurs corps. Vieillissement du corps et rajeunissement de l’esprit ? Peut-être… En tout cas, les désirs changent à un certain âge, et ils n’en sont parfois que plus beaux, plus admirables.
Ludovic Virot, avec une image de Georgi Lazarevski, mêle ces six destins pour mieux nous faire éprouver leur inébranlable jeunesse. Loin des clichés selon lesquels les personnes de grand âge seraient toutes grabataires, le réalisateur échafaude le portrait d’hommes et de femmes vivifiés par leur expérience de la vie. On ne vous en dira pas plus. A voir, absolument…

*-*-*-*-*

Freakonomics, de Heidi Ewing, Alex Gibney, Seth Gordon, Rachel Grady et Eugene Jarecki.

Une compilation de 6 court-métrages, réalisés par 6 auteurs, 6 scénaristes et 6 producteurs différents. Le tout se veut l’adaptation du best-seller aux Etats-Unis Freakonomics: A Rogue Economist Explores the Hidden Side of Everything, écrit par Steven Levitt et Stephen Dubner (4 millions d’exemplaires, traduits en 35 langues).
Il s’agit d’une dénonciation de certains mouvements socio-économiques. Est-ce que le prénom de votre enfant aura une incidence sur votre vie ? Comment truquer les résultats d’un combat de sumo ? sont autant de questions posées dans ce documentaire d’une facture très souvent très classique – autrement dit : à la « mode » américaine.

*-*-*-*-*

Le 21 septembre

Los Herederos – les enfants héritiers, de Eugenio Polgovsky.

Héritiers de la pauvreté. Les jeunes enfants suivis par Eugenio Polgovsky dans les communautés rurales du Mexique perpétuent les gestes et les activités de leurs parents pour subvenir aux besoins de leurs familles. Ils fabriquent des briques, coupent du bois, ramassent des fruits ou vont puiser de l’eau… Le réalisateur les suit avec une agilité certaine, et à travers champs. Nulle insouciance ni rêverie enfantines ici, pas d’école ou de jeu non plus, les corps et l’esprit des enfants sont contrariés par le labeur.
Les Herederos, récompensé dans de nombreux festivals, est dénué de commentaires et d’interviews. Il puise sa force dans sa remarquable photographie et dans un subtil montage (du son, notamment). Le spectateur est alors placé dans cette situation où il ressent quasi physiquement le poids qui repose sur les frêles épaules de ces enfants. Le documentaire ne dit pas que leur situation est le fardeau de trois millions de jeunes mineurs au Mexique, mais l’habileté du cinéaste à filmer les enfants est largement suffisante pour composer ce que Charlotte Garson, dans la revue Images documentaires, qualifie de « dramaturgie haletante ». Elle écrit : « La surprise du montage proprement musical, qui frappe dès les premiers plans, neutralise le risque d’esthétisation de la misère que le sujet et le talent photographique du cinéaste pouvaient faire craindre. La beauté rythmique et plastique n’atténuent aucunement la révolte que tout être humain plus chanceux que ces enfants ressent devant leur sort ».

*-*-*-*-*

Laïcité Inch’Allah, de Nadia El Fani.

Réclamer la laïcité et exiger la démocratie. C’est le coeur du film courageux de Nadia El Fani. La réalisatrice franco-tunisienne a entamé le tournage de son projet initialement intitulé « Ni Allah, ni maître » en août 2010, trois mois avant la Révolution tunisienne. Il s’agissait d’abord de filmer les « résistants au ramadan » à Tunis qui se cachent pour manger et boire pendant le mois sacré de l’Islam. Nadia El Fani a pris son bâton de pèlerin laïc et se met en scène pour débattre avec des Tunisiens dans la rue. La cinéaste, fille de l’un des fondateurs du Parti Communiste tunisien, s’élève contre l’article 1 de la Constitution qui stipule que « la religion est l’Islam » en invoquant le caractère fondamentalement privé des croyances religieuses. Le vent de la Révolution la rattrape pendant le montage de son film. Elle revient donc à Tunis pour s’insérer dans le mouvement de liberté qui agite les milieux progressistes dans lesquels revient le mot « laïcité« . Le film, militant mais non anti-religieux, irrite au plus au moins les fondamentalistes islamistes. Nadia El Fani est menacée de mort, notamment sur les réseaux sociaux. Aller voir son film est aussi un acte de résistance…
Nombreux extraits et entretien avec la réalisatrice sur Touscoprod.

*-*-*-*-*

Une vie avec Oradour, de Patrick Séraudie.

Retour sur cette funeste journée du 10 juin 1944, à Oradour-sur-Glane. Une division de la Waffen-SS y avait alors planifié le massacre méthodique de la population civile. Seule une trentaine de personnes a survécu. Parmi eux, Robert Hébras, que le réalisateur suit tout au long du film. Dans les ruines du village (reconstruit un peu plus loin, mais le lieu de mémoire est resté en l’état), le vieil homme nous raconte ses souvenirs, mais il nous amène aussi à réfléchir sur les répercussions d’un tel événement sur la vie d’un homme. Avec lui, c’est toute la mémoire de la Seconde guerre mondiale qui nous revient. Production  franco-allemande, le film de Patrick Séraudie est une belle reconstitution de ce qui a été et de ce qui en demeure. Ce documentaire participe au travail de mémoire, pour ne pas oublier le plus important massacre de civils en France sous occupation allemande.

*-*-*-*-*

Le 28 septembre

Ceci n’est pas un film, de Jafar Panahi et Mojtaba Mirtahmasb.

Le cinéaste iranien Jafar Panahi a été condamné à 6 ans de prison et à 20 ans d’interdiction d’exercer son métier de metteur en scène… « mais aucune mention de l’interdiction de faire l’acteur ou de lire un scénario » indique t-il malicieusement dans ce film parvenu au festival de Cannes sur une clé USB. Jahar Panahi devait y siéger au jury, mais sa condamnation – dont il attend le jugement en appel – lui interdit aussi de quitter son pays. On se souvient d’une chaise vide à Cannes…
Ceci n’est pas un film a été tourné dans le huis clos de son appartement à Téhéran. Le filmeur condamné à ne pas filmer s’auto-met en scène. Il déjeûne, téléphone à son avocate, parle aussi à son iguane de compagnie. Avec un sens de l’humour certain et une virevoltante insolence, Jafar Panahi imagine un nouveau film en dessinant sur le tapis de son appartement la chambre d’une fille. Son histoire serait la suivante : elle voudrait faire les Beaux-Arts mais, pour l’en empêcher, ses parents l’enfermeraient dans cette pièce. « Toute ressemblance avec des faits ou des personnes…« .
Ce documentaire, coréalisé avec Mojtaba Mirtahmasb, constitue un remarquable acte de résistance, une insurrection personnelle et délicate qui, en creux, dénonce subtilement l’implacable répression du régime de Téhéran.
Vous trouverez ici un long extrait du film des deux cinéastes iraniens.

*-*-*-*-*

Nos plusieurs, de Fred Soupa.

Une troupe de comédiens autistes aux prises avec l’un des plus grand poème épique indien. Le Mahâbhârata ainsi réinterprété accède à une profondeur insoupçonnée, mais Fred Soupa a d’abord été subjugué par la dramaturgie du texte – le handicap des acteurs n’étant que « second » de son point de vue. C’est peut-être l’humanité de ceux qui interprètent ce texte mythique qui intéresse, mais elle n’est pas mise en avant. Mieux, des défauts, des manques, des maladresses nous attachent encore davantage à la personnalité fragile de chacun des acteurs ici filmés.
Filmé à l’occasion du festival « Futur composé« , ce documentaire s’avance comme un « magnifique manifeste d'(anti)psychanalyse«  dans lequel l’empathie du réalisateur nous fait revoir notre rapport au handicap et à la différence. C’est à en remercier Krishna et Ganesh…

*-*-*-*-*

Bons films !…

Le coin des festivals…

FRANCE

Doc’Ouest, les 11e Rencontres documentaires de Pléneuf-Val-André se déroulent du 22 au 24 septembre en Bretagne. Soirée de présentation le 12 septembre à la Scam (Paris).

– Le 20e Festival Biarritz Amérique Latine se tient du 26 septembre au 2 octobre.

– Le 29e Festival Annecy Cinéma italien, c’est du 27 septembre au 4 octobre.

– Le Festival < est-ouest > s’ouvre le 20 septembre pour se refermer le 2 octobre à Die, dans la Drôme.

AILLEURS

– Le 16e Milano Film Festival, en Italie du 9 au 18 septembre.

– Le 31e Festival du film de Cambridge ouvre le 15 septembre pour 10 jours en Grande-Bretagne.

DOCSDF, 6e Festival international de cinéma documentaire de Mexico se déroule du 29 septembre au 9 octobre au Mexique.

– Le 49e New York Film Festival, c’est entre le 30 septembre et le 16 octobre aux Etats-Unis.

– Le 26e Festival international du film francophone de Namur se tient du 30 septembre au 7 octobre en Belgique.

Sélection non exhaustive…

No Comments

  1. Je suis assez triste de voir que ce sont toujours les memes formes,
    les memes fond,
    les memes sujets et les memes traitement qui sont en avant,
    en ce qui concerne le cinéma dit « documentaire »…
    comme si l’on en avait oublié l’histoire…
    on oublie beaucoup l’histoire ces derniers temps,
    et je trouve que l’on se trompe sur le sens de faire un film.
    Le film de Panahi et le seul, qui selon moins point de voir subjectif, peu réellement être considéré comme un film

    Lo t
    amateur de cinéma,
    cinéaste amateur

Leave a Comment

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *