Le Blog Documentaire revient, comme chaque mois, sur l’actualité du webdocumentaire / documentaire interactif / plateforme multimédia en proposant un regard analytique sur la technique et la narration proposées dans ces programmes qui foisonnent sur la toile. Nouveauté pour ce mois de novembre : la revue de web devient bi-mensuelle.
Pour ce 5ème numéro, l’actu du webdocu s’intéresse au programme phare d’une co-production franco-canadienne et à la plateforme militante et anglophone d’un institut néerlandais de défense de la nature.

Comme depuis le mois dernier, Le Blog documentaire décerne des notes pour chaque webdocumentaire. Ou plutôt des W, comme le World Wide Web. Plus un webdocumentaire obtient de W, plus il est réussi, sur le fond et sur le sujet traité mais aussi sur la forme, essentielle sur le web : réaliser pour le web, c’est avoir la vision d’une nouvelle écriture, et pas simplement transposer des écritures télévisuelles ou journalistiques. De 1 à 5 W, vous pouvez maintenant comparer (et discuter…) !

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1 – Code Barre, ambitieuse et ludique plongée dans l’univers des objets du quotidien

WWW

Dans le petit monde du webdocumentaire, c’était l’œuvre la plus attendue de ces derniers mois : Code Barre réunit deux acteurs incontournables du genre naissant, cherchant, des deux côtés de l’Atlantique, les formes et les narrations qui donnent au web sa singularité d’expression. Arte et l’Office National du Film canadien mettaient leurs forces et leur imagination en commun pour donner naissance à un programme interactif intriguant : faire parler les objets quotidiens qui nous entourent.

Le lancement avait tout, à l’échelle encore modeste de l’attente suscitée par l’offre web, du « blockbuster » web : un teaser efficace et une esthétique jeu vidéo qui n’a rien à envier (voire prolonge) la « post-it war » qui fait rage depuis quelques mois sur les vitres des grands buildings d’entreprises un peu partout dans le monde.

Le Blog documentaire aussi a mordu à l’hameçon, impatient de découvrir ce qui se cachait derrière ce partenariat. Et il est bien possible, en pareilles circonstances, que l’attente générée ne puisse produire qu’une légère déception, même si le chroniquer, au vu des qualités intrinsèques de l’œuvre, était incontournable.

Co-produit donc par Arte et l’ONF, sous la responsabilité de Pascal Brouard pour les vidéos et Philippe Archontakis pour la création web (cf. Departement), le programme s’ouvre sur une triple entrée : chercher, scanner, raconter. Les deux premières permettent d’accéder aux modules tournés par la dizaine de réalisateurs engagés sur le projet. Invités à entrer le nom de l’objet de notre choix ou à scanner un code barre, un système de tags par mot-clés oriente la requête du webspectateur vers une catégorie d’objets et propose un film. Une nouvelle page s’ouvre alors avec le film sur l’objet en question (pêle-mêle, un CD, une cigarette, un interphone, un parapluie…). Le film fini, l’interface propose de compléter le parcours : soit en découvrant des statistiques, sélectionnées aléatoirement, et qui renseignent sur l’emprise des objets de tous horizons sur notre quotidien (pourcentage des dépenses en boissons alcoolisées ou valeur du marché de la pizza surgelée dans différents pays), soit en visionnant un autre film.


L’œuvre comprend ainsi cent courtes séquences d’une minute environ, auxquelles il est aussi possible d’accéder via un panneau général constitué de cent petites étiquettes cliquables, chacune lançant un film. Il est enfin possible de laisser soi-même sa « trace », dans une bibliothèque de photos légendées d’objets du quotidien, qui constituent une sorte de corpus visuel à la Prévert.

Ambitieux, le webdocumentaire l’est assurément. C’est d’ailleurs la force des développements possibles qui étaient esquissés dans la présentation du programme qui a fait naître cette attente. Applications iPhone, appel à la contribution : il s’agit, pour une fois, d’un véritable programme d’un nouveau genre, dans la façon même de le « regarder » et d’interagir. Par ailleurs, décrire la vie par les myriades d’objets qui nous entourent, lesquels, dans leur apparente neutralité, disent tous quelque chose de nous : le propos avait presque une portée sociologique.

Et c’est précisément sur cette promesse que Code barre déçoit. Mais pouvait-il en être autrement ? L’expérience immersive de l’œuvre, très bien pensée, donne presque le vertige, fait croire aux miracles du data-journalisme : entrer un nom d’objet quel qu’il soit, dans un champ parfaitement libre, ne peut que soulever l’enthousiasme. La dé-linéarisation complète, que la partie introductive de Code barre laisse supposer, préfigure une révolution sur le fond comme sur la forme. On pense qu’en écrivant n’importe quel mot, en cliquant, on arrivera dans un univers inconnu, touffu, jonché d’informations, de vidéos, d’interfaces graphiques… Or c’est presque déçu que l’on découvre, finalement bien visible, l’architecture du site, construit autour de ces – certes, c’est beaucoup – cent portraits d’objets, dont certains ne convainquent pas. Pour un sujet comme « la tente », qui, en une minute, raconte une histoire (une tente de couleurs plantée au milieu du gris parisien des SDF), d’autres laissent indifférents, sans chair, désincarnés.


Code barre
génère donc un paradoxe : l’intention technique et fonctionnelle est graphique, inspirante, et l’on a envie, pour tout dire, de se l’approprier, un peu à la mode du design Mac, ludique et technologique. Une véritable réussite donc. Seulement, les promesses sont telles et les ramifications devraient être si nombreuses pour y répondre, qu’elles nécessiteraient un partage et un aspect collaboratif de l’œuvre encore jamais vu. Un peu à l’instar de In Situ (chroniqué ici) et dont, avec quelques semaines de recul, nous pouvons évaluer l’évolution, Code barre pallie l’absence d’un réalisateur (« à l’ancienne », dirait-on, un réalisateur qui apporte la singularité de son point de vue) par le foisonnement du collaboratif.

Peut-être ces œuvres sont-elles amenées à être chroniquées plusieurs fois, car elles gagneront, c’est certain, à « vieillir », à s’enrichir d’une pratique qui ne consiste plus seulement à regarder, mais aussi à participer. En cela, le précepte qui guide Code barre est radicalement novateur, car il bouscule la notion d’œuvre achevée et propose une nouvelle façon de regarder l’image.

Code barre suscite donc un avis infiniment partagé entre l’enthousiasme, l’admiration et la déception, mais Le Blog Documentaire conseille tout de même d’aller fureter sur le programme, pour s’en faire sa propre opinion et surtout sa propre expérience.

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2 – What if …we change, plateforme militante et création en ligne

WW

Aux antipodes graphiques, esthétiques et narratives de Code barre, le webdocumentaire (mais le terme est-il vraiment adapté ?) néerlandais What if… we change, entièrement en anglais, mérite tout de même le détour, pour une innovation qui serait susceptible d’être réutilisée à d’autres fins.

What if… we change est un projet collaboratif visant à mettre à disposition des webspectateurs une plateforme de vidéos réalisées par les principaux animateurs du site (au nombre de 5) mais aussi par tout un chacun souhaitant apporter sa contribution. Produite avec le concours de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (IUCN) et les partenaires/animateurs du site, l’interface s’ouvre sur une page permettant de naviguer soit vers des histoires (stories), soit vers les projets (projects) menés par les cinq principaux animateurs de la plateforme. L’objectif affiché est d’apporter des solutions sur la façon de prendre soin de la Terre et de la « réparer » (fix) pour vivre en meilleure harmonie avec la nature.

Les histoires sont regroupées sur une liste cliquable, renvoyant vers un module (que l’on pourra en fait retrouver en passant par l’onglet « projets ») parfois encapsulé sur Youtube. On ne peut pas véritablement trouver de charme graphique ni d’intérêt narratif à cette partie du programme, tant la conception est dédiée à une élémentaire facilité d’utilisation.

Les projets sont plus complets, permettant au webspectateur d’obtenir des informations sur le porteur du projet et de lancer l’agrégateur de vidéos spécifique au projet (réalisé en Inde, au Mali, en Bolivie…). Une carte du monde occupe le centre de la page et, en glissant le curseur de la souris dessus, la carte s’agrandit automatiquement jusqu’au pays étudié. On peut enfin accéder à ces contenus par l’intermédiaire de boutons cliquables en bas à gauche de l’écran.

Ce n’est rien de dire que le propos est pour le moins laudatif dans son ensemble : dans la veine très anglo-saxonne du « you can do it if you want it », l’interface propose un ensemble d’initiatives destinées à protéger la planète des excès de l’activité humaine. Chaque porteur de projets, chapeau de Crocodile Dundee sur la tête ou accoutrement de globe-trotter, explique sa vision et décrit les actions entreprises : promouvoir l’émergence de la pêche durable et respectueuse de l’environnement, préservation de la vie sauvage en Inde… Difficile, si l’on perçoit l’intérêt de la démarche, de se laisser envahir par un univers créatif et sensible : le programme ressemble davantage à un couteau suisse qu’à une œuvre, à un éco-tour du monde solidaire à portée concrète (que pouvez-vous changer pour mieux vivre avec la planète ?) qu’à un propos faisant appel à nos sens.

Le caractère participatif affirmé est cependant l’un des attraits du projet. Il est tout d’abord possible de se connecter via les réseaux sociaux pour suivre les projets mis en place : ce n’est pas nouveau dans le web participatif, mais cet aspect est bien pensé, avec la mise en place d’une page très claire permettant de suivre chaque projet ou porteur de projet.

L’innovation principale vient surtout du fait qu’une fois connecté, le webspectateur peut lui-même créer des films. Une interface de montage vidéo en ligne permet de sélectionner des extraits de clips et d’apporter sa propre touche au programme. La proposition est enthousiasmante, même si les médias disponibles pour le montage ne sont pas d’une richesse exubérante : il est possible, non seulement d’interagir avec des mots, mais aussi avec des images, et ainsi apporter une véritable valeur ajoutée au projet.

On peut dès lors imaginer le potentiel créatif qui pourrait émaner d’un webdocumentaire utilisant une telle plateforme de montage en ligne : à l’instar des « mash up « films, le webspectateur pourrait, à partir d’une banque d’images communes, proposer son propre montage, qui trouve lui-même sa place dans un projet global, « méta-narratif », qui interroge la façon dont les images peuvent être agencées. Cet art du montage, cet art premier du cinéma qu’avait souligné en son temps Chris Marker (dans Lettres de Sibérie) sur la façon de raconter différemment avec un même matériau, s’en trouverait alors réactivé, avec les moyens immersifs et participatifs que seul le web peut proposer.

Nicolas Bole

Les précisions du Blog documentaire

1. Le webdocumentaire Code Barre possède son blog dédié. Vous y retrouverez notamment toutes les modalités du Rallye proposé dans le cadre des Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM). Du 12 au 18 novembre 2011, l’évènement en ligne de création documentaire vous propose ce défi : créer une série d’histoires d’objets en 6 jours. Inscriptions avant le 11 novembre minuit.

4 Comments

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