Suite des entretiens que réalise Le Blog Documentaire avec les acteurs majeurs (et à la frontière) de la création documentaire et de la création web.

Après Boris Razon de France Télévisions, Upian et Narrative, voici le regard de Claire Leproust, qui dirige le département numérique de CAPA (qui, comme son nom ne l’indique pas, est un acronyme de Chabalier & Associates Press Agency, du nom de son créateur Hervé Chabalier, et non le nom du célèbre photographe).

Les projets réalisés, ceux en cours ou en préparation, la philosophie en matière de projets web : tout est expliqué pour vous dans cet entretien.

Claire Leproust – © Nicolas Bole/Le Blog documentaire

Le Blog documentaire : Webdocumentaire ou webreportage : la distinction a-t-elle un sens ?

Claire Leproust : Pour moi, le mot « webdocumentaire » est un terme générique et commode. Mais on sait qu’il recouvre des réalités très différentes (voir à ce propos l’article que nous avons consacré à la différence possible entre webreportage et webdocumentaire). Chaque réalisateur et chaque producteur peuvent se positionner en fonction de cette appellation générique, selon que leur intention soit portée vers un regard d’auteur ou une forme plus proche du reportage.

Quels sont vos projets en cours ?

CAPA a sorti le 5 décembre dernier, un webdocumentaire institutionnel sur lequel nous avons remporté un appel d’offre lancé par la mission gouvernementale sur le service civique. Ce projet est développé par CAPA entreprises et la division CAPA numérique, dont j’ai la charge.

Ce webdocumentaire intitulé « des valeurs, un engagement » est réalisé en partenariat avec MSN qui héberge le programme. Il propose des portraits de différents jeunes qui effectuent actuellement leur service civique dans des domaines très divers.

L’agence du service civique a lancé une grande opération de communication dont le webdocumentaire fait partie. L’objectif de l’agence est d’atteindre le chiffre de 75.000 jeunes en mission d’ici à deux ans : il s’agit donc clairement d’une façon de faire découvrir les différentes facettes de ces missions qui sont toutes d’ordre civique, humanitaire ou citoyen et portées par des associations, des institutions ou des fondations. MSN assure la diffusion du webdocumentaire à titre gracieux.

Cette logique de l’engagement est véritablement au cœur du programme et de l’ambition de CAPA : nous savons qu’entre la fin des études et le début de l’activité professionnelle, de plus en plus de jeunes se retrouvent parfois désœuvrés. D’autres jeunes s’intéressent également à ces missions pour leurs vertus sociales et citoyennes. « Des valeurs, un engagement » est un moyen de présenter ce qu’il est possible de réaliser de le cadre de ces missions : le renforcement du lien intergénérationnel, la sensibilisation au processus démocratique, l’accès aux métiers artistiques comme le cinéma, etc…

Le site met donc en lumière le portrait de six de ces jeunes en proposant un dispositif innovant. Les portraits sont d’abord réalisés avec les codes de la bande dessinée, qui correspond bien à la cible jeune du programme et à l’audience qui transite sur MSN. Nous avons également fait en sorte que la forme puisse parler du fond : le passage à la BD vers la vidéo est une façon symbolique de signifier le passage, pour ces jeunes, du monde de l’adolescence au monde réel, des adultes.

Le programme propose également une mini-BD, consultable rapidement comme un panorama, et qui raconte une histoire, comme celle de Martin, parti en Tunisie pour sensibiliser à l’importance de la démocratie. Une interview de Martin Hirsch et des passerelles vers les pages du programme sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) sont également disponibles sur la page d’accueil.

Quel est le budget et l’équipe du webdocumentaire ?

Le budget du programme se situe un peu en deçà des 100.000 euros. Le projet a été mené relativement rapidement puisque nous avons reçu la réponse positive à l’appel d’offres en juillet, nous avons réalisé le casting des jeunes que nous suivons en août et le tournage a débuté en octobre. CAPA a fait appel à deux jeunes auteurs pour la réalisation vidéo : Simon Bouisson, qui a déjà réalisé le webdocumentaire sur les communes de Paris et Claire Douieb. Diego Brelière a assuré quant à lui l’écriture du scénario en BD et le dispositif d’habillage, par système de filtres, entre les dessins et l’interface.

Ce projet a fait suite à deux programmes que nous avions précédemment réalisés. MSN, tout d’abord, nous avait commandé un programme de contenus, intitulé « En quête de héros », qui s’attachaient à présenter les « héros contemporains », connus ou anonymes qui s’engagent pour une cause. Le webdocumentaire avait très bien fonctionné, en partie parce que MSN est une plateforme puissante qui draine un public large. La cible du service civique, les jeunes de 16 à 25 ans, se retrouve d’ailleurs dans la typologie des utilisateurs de MSN. Il y avait une affinité de cible, davantage qu’avec des médias moins généralistes, comme Le Monde ou Les Inrocks.

Et puis, nous avions réalisé, avec CAPA entreprises, « La vie à sac », un webdocumentaire pour Médecins du Monde, qui avait également très bien marché. Les directeurs marketing et communication d’institutions ou d’ONG en ont entendu parler, ont vu qu’il était possible d’appréhender les sujets de société sous un autre angle via le webdocumentaire. Ce fut le cas de Patrick Chanson, de l’agence du service civique, qui avait aimé le travail réalisé sur « La vie à sac »

Justement, comment a fonctionné La vie à sac ? Quelle a été sa vie après sa mise en ligne ?

Nous dénombrons 200.000 visionnages pour les films, ce qui reste un très bon chiffre d’audience. Le fait de travailler avec Médecins du Monde et des partenaires comme Le Monde, Dailymotion ou France 5 a permis de rendre conciliable le plan média et le plan de financement. Le budget s’élève environ à 130.000 euros.

Nous avons travaillé avec des artistes et auteurs au regard singulier et fort : la réalisatrice Solveig Anspach était en réelle immersion auprès des familles Rom, Diane Grimonet (dont Alain Genestar, le directeur de Polka, dit affectueusement qu’elle est « la paparazzi des SDF » !) n’avait jamais travaillé en équipe jusqu’alors, ou encore Karima Hamzaoui qui a travaillé sur un terrain très difficile, à Calais où la question des clandestins, on le sait, est très sensible.

Je trouve que le programme propose des films forts qui peuvent à la fois se voir en suivant la forme interactive du projet, avec l’entrée dans les médias par les objets dans le sac, mais aussi de manière linéaire.

Une émission spéciale sur la chaîne Toute l’histoire a permis de diffuser les quatre films, avec un débat animé par Alain Genestar. Le modèle de financement qui a prévalu sur ce projet est intéressant, et montre qu’il existe une comptabilité entre une forme « d’écriture webdoc » et une diffusion télé.

Quelles est la philosophie de CAPA en termes de projets webdoc ?

CAPA a vocation à s’intéresser au langage web, aussi bien du côté de CAPA entreprise que du côté CAPA presse. CAPA et webdoc vont bien ensemble, dans la mesure où le fait de parler de sujets de société constitue l’ADN de CAPA.

Aussi, nous avons observé une demande assez forte de la part des ONG, des associations ou des institutions pour investir le média Internet. C’est d’abord moins cher pour eux que de payer un spot de publicité à une heure de grande écoute à la télévision.

Mais je dirais aussi que la notion de partage, rendue possible sur le Net, permet de nouvelles formes de narration et une nouvelle forme d’engagement pour ces institutions.

Ce terme d’engagement constitue un axe majeur pour CAPA, car nous sommes bien positionnés pour répondre à ces demandes d’organismes dont le but est de traiter de sujets de société.

Nous n’avons pas encore véritablement une récurrence dans les demandes des entreprises sur leur positionnement de marque via le web. Mais nous savons que le consommateur aujourd’hui n’est plus uniquement vu comme un client, et que la dimension participative que permet Internet pourrait intéresser des acteurs, aussi bien en B2B (Business to Business : communication d’entreprise) qu’en B2C (Business to Consumer : communication au grand public).

Et puis, nous suivons une deuxième tendance, liée à la « gamification », à l’aspect ludique que permettent les applications et la réactivité sur le Net. Nous avons développé cet aspect par le biais de la web-fiction autour de la série Braquo, diffusée sur Canal Plus (NDLR : vous retrouverez prochainement un article détaillé sur ce sujet dans Le Blog Documentaire).

D’une manière plus générale, CAPA a bâti sa réputation sur la qualité des productions et sur l’innovation dont elle a fait preuve. Nous devons prendre des risques pour proposer des expérimentations. C’est pourquoi nous travaillons avec des free-lances, des sociétés technologiquement très en pointe, afin de permettre à CAPA de figurer sur les nouveaux médias. Nous envisageons cette politique comme de l’investissement en R&D (Recherche et Développement).

Web et télé sont là pour s’entendre, sur la manière d’engager l’audience d’une façon différente ou de donner du sens à certains programmes.

Nous avons également vocation à accompagner les projets transmédia, qui permettent aux programmes télé, aussi bien en magazines qu’en fiction, de s’associer au web. Je suis persuadée que web et télé sont là pour s’entendre, sur la manière d’engager l’audience d’une façon différente ou de donner du sens à certains programmes. Cela ne doit pas être envisagé de manière systématique pour chaque programme télé, mais il faut penser en amont l’interaction télé-web.

Nous travaillons enfin sur un webmagazine en partenariat avec le « Club des annonceurs » dont le rôle sera de faire connaître les nouvelles formes d’écritures sur le web, pour les entreprises notamment. Il s’agira aussi, pour les jeunes auteurs ou photographes, d’une vitrine où ils pourront faire parler d’eux auprès des marques qui veulent investir le web.

Quels sont vos prochains projets webdoc ?

Nous produisons actuellement avec CAPA entreprise un programme pour l’INCA, l’Institut National contre le Cancer, et un autre pour la MAAF, pour la prévention contre le sommeil au volant. Charles-Henri Frizon, pour CAPA entreprise, coordonne la mise en place de ces webdocumentaires.

Nous développons également un très beau projet avec CAPA presse, intitulé « La criée ». Ce programme est développé par Simon Bouisson et Olivier Demangel qui portent un regard sur la jeunesse et la façon dont elle peut s’exprimer.

A l’approche des élections présidentielles, c’est toujours le moment, sans que l’on parle nécessairement de politique, de se demander ce que  pense la jeunesse, ceux qui feront la France de demain. Ce programme part à la rencontre des jeunes et leur demande de parler de ce qui les indignent ou les inquiètent. Toute la mise en scène consiste à leur demander de pousser un cri, comme un ultime mot qu’ils aimeraient crier à la foule.

Nous avons obtenu l’aide du CNC sur ce projet, ce qui nous a permis de développer l’interface. Nous allons désormais le présenter à Canal Plus pour essayer d’obtenir un accord de diffusion.

Quels sont vos coups de cœur du moment en matière de webdoc ? Que pensez-vous par exemple de Manipulations ?

Je connais bien Upian et je sais qu’ils ont fait un travail remarquable sur Manipulations. Surtout vu le délai qui leur était imparti : ils ont réalisé l’interface en à peine trois mois ! Je leur tire mon chapeau, car le propos nécessite un travail important. C’est dommage d’ailleurs que les producteurs ou les diffuseurs télé ne prévoient pas en amont un développement web à leurs programmes. Pour Manipulations, l’impulsion sur le volet webdoc a été donnée par Boris Razon à France Télévisions.

Je trouve que le projet est cohérent par rapport au documentaire télé. C’est bien sûr très expérimental en termes d’usage et de cible, puisque je pense que tout le monde n’a pas envie de mener une investigation sur du réel, sur un sujet sérieux. On est vraiment dans le serious gaming, avec une dimension ludique mais aussi une difficulté à toucher une forte audience. Mais je pense que nous avons pour rôle, en tant que producteurs, de porter des projets risqués, difficiles, innovants. De ce point de vue, le travail d’Upian est remarquable.

A titre personnel, j’ai véritablement adoré le webdoc canadien « Le bruit des mots ». Dans l’interface comme dans le propos, avec le slam poignant de certains des jeunes : c’est un coup de cœur ! (NDLR : vous pouvez retrouver ici notre chronique de ce webdocumentaire).

Propos recueillis par Nicolas Bole

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  2. Belle photo de sac à main… (le point quoi… le point)

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