Le Blog documentaire organise sa septième soirée de « primeurs » à Marseille ce dimanche 23 octobre, avec depuis septembre dernier le soutien des Actions Culturelles d’ARTE. Et ce mois-ci, c’est un film très récemment terminé et qui commence à peine sa carrière en festival qui atterrit au Videodrome 2, notre cinéma partenaire. Vu aux Rencontres Ad Hoc, « Portraits crachés », de Perin Caspar, fait des enjeux familiaux une exploration des liens qui unissent un fils aîné – le réalisateur – avec sa mère et ses frères et sœurs. A découvrir dimanche, donc, à 18 heures au Vidéodrome 2, en présence de Perin Caspar.

capture-decran-2016-10-25-a-12-57-48Le Blog documentaire : Avec Portraits crachés, vous nous plongez dans l’imaginaire des films de famille… Comment avez-vous commencé celui-là ? Était-ce un désir conscient de démarrer un film ?

Perin Caspar : Pas du tout. J’ai effectué un voyage d’un an et demi pendant lequel je me suis baladé avec une caméra en me forçant à filmer tous les jours. Je me rends compte, en revenant chez moi, du contexte : les 7 enfants que nous sommes, les parents, la télévision qui marche en même temps que la radio, les chiens, les chats… Il y a une énergie que j’ai envie de capter. Au début, je veux simplement garder une trace pour constituer une mémoire collective dans la famille. Si bien que je n’ai pas écrit en amont, jusqu’au moment où une amie me dit, en voyant les rushes : « ne fais pas un webdocumentaire avec trois vidéos sur Internet mais commence à écrire sur ce qui t’intéresse dans ce film ». Elle m’a aidé, en me posant plusieurs fois la question du « pourquoi ».

Quelle est la part de psychanalyse personnelle, de catharsis dans un travail comme celui-ci ?

Je refuse le terme de « catharsis », tout comme celui de « résilience », même si je reconnais le fait que formuler des choses permet de les dépasser. Je n’ai pas envisagé le film comme une démarche d’analyse et de soin. Je parle plus volontiers de distanciation. C’est un travail que je faisais déjà auparavant, notamment à travers la sociologie ou le rap, dès l’âge de 15 ans. Avec ma place d’aîné, j’ai toujours eu une position réflexive par rapport à ce que je vivais.

En quoi l’image a-t-elle davantage répondu à ce besoin, pour vous, de rendre hommage à votre famille, plutôt que le texte ou la photo ? Que signifie, pour vous, mettre l’image de l’intimité familiale devant le regard de spectateurs ?

Il y a quelque chose d’incarné dans l’image : ma mère a sa personnalité, qui serait très difficile à décrire. Cela permet aussi de ne pas décrire les gens mais de laisser les gens se décrire eux-mêmes. J’ai fait en sorte qu’aucun des personnages ne parle sur un autre, et bien de lui-même. En outre, j‘ai mis longtemps à résoudre la question de l’intimité. Longtemps jusqu’au montage, et même pendant le montage, je ne voulais pas concéder certains raccords, certains cheminements de pensée car je pensais au film comme étant réalisé pour ma famille. J’ai réalisé plus tard, et plus encore maintenant qu’il est diffusé, que je l’ai fait pour un public. Je savais qu’il fallait structurer le film et mettre en narration l’histoire familiale. Pour autant, j’envisage ce film non comme l’histoire de ma famille mais comme celle d’une famille.

Portraits crachés - © Perin Caspar
Portraits crachés – © Perin Caspar

Il y a aussi le sentiment que l’image, parfois, est la condition d’une libération de la parole. On le voit avec votre sœur Ludivine lorsqu’elle évoque son désir de maternité. Quel rôle joue dans ces moments-là le fait d’être seul au tournage ? Aurait-ce été très différent avec un opérateur de prise de vues ?

Je pense, oui. Cette caméra a sa place dans la manière dont elle est apparue dans la famille, presque comme une personne à part entière. De fait, au bout de 3 ans, elle faisait totalement partie de la famille, à tel point que l’on me disait, quand je venais sans caméra : « Perin, pourquoi tu ne filmes pas ? » ! Ma façon de me tenir normalement dans l’espace, c’était ma petite caméra et moi. Je termine la fin du tournage avec une caméra de la production, une caméra de poing un peu plus grosse. Mais je ne suis pas à l’aise avec cette présence-là. Par ailleurs, la présence d’un opérateur aurait changé les choses : les moments d’intimité n’auraient pas été possibles. Nous nous moquions, avec mon frère ou ma mère, de savoir si tel ou tel passage apparaîtrait dans le film. Nous étions simplement à partager aussi des moments de vie, et parfois des secrets qui ne se retrouvent pas dans le film. En ce sens, je n’ai pas spécialement pensé de dispositif filmique.

On voit aussi votre autre frère, Peter, qui vit entre chez votre mère et dans des cartons dans la rue. J’imagine que la question qui se pose dans bien des documentaires (poser la caméra, intervenir, aider) vous a traversé aussi dans les moments de crise ? On vous entend d’ailleurs lors d’une récidive de votre frère : s’agissait-il là d’une mise en scène ou était-ce totalement spontané ?

Je ne suis pas issu d’une école de cinéma. Au moment où je commence à filmer, je n’ai que l’expérience de me balader avec ma caméra. Je n’ai aucune idée de ce qu’on met derrière l’idée du cadrage, du dispositif… Quand je parle du film, des amis se mettent à me poser des questions dessus. Je réponds assez simplement : le dispositif, c’est de se poser à une table et de filmer. Le fait de filmer s’inscrit dans une continuité de l’action : lorsque je filme Peter qui pleure et que je décide d’arrêter de filmer et d’entrer dans le champ, c’est parce que j’en ai ras le bol de tenir la caméra, et que je veux être à ses côtés. Mais tout cela n’est pas réfléchi.

Portraits crachés - © Perin Caspar
Portraits crachés – © Perin Caspar

Pour quelles raisons vos autres frères n’apparaissent-ils pas au montage ? Les avez-vous filmés ?

Ce film, c’est le cheminement de mes inquiétudes. Au début, je filme l’appartement, ma mère prend une place prédominante. Je commence à lui parler avec mes réflexes d’apprenti sociologue. A ce moment-là, Peter est à la rue et je le filme aussi, dans le squat dans lequel nous vivons. Eux deux occupent la place. Je me rends rapidement compte que je ne peux pas filmer tout le monde, et que mes inquiétudes se situent avec eux, non pas avec mes autres frères et sœurs. Et puis dans le cours du film, Ludivine se met à vider son sac, à parler de la relation filiale avec sa mère, de son désir de maternité : elle devient alors un personnage.

Il y a aussi une dimension du secret, du tabou dans le film, qui ne parle jamais ou presque de votre père…

Mon père est le seul personnage qui ne se fait raconter que par les autres : soit par le manque d’affection ressenti par mon frère, soit par son côté autoritaire évoqué par ma mère. Dans une première version de travail, il y avait une séquence de 2 minutes avec mon père au travail, en train de nettoyer des bâtiments. Pour moi, c’était une manière de contre-balancer ce que les autres disaient sur lui. Mais les amis m’ont dit qu’on ne comprenaistpas ce que je voulais en dire. En substance, ils disaient « Si tu veux évoquer que c’est une figure de l’absence, fais-le disparaître du film« . Éthiquement, ça a été très dur pour moi de le faire disparaître du film, d’autant que c’est la seule personne de la famille qui aujourd’hui n’a toujours pas vu le film.

Il y a bien sûr le personnage central de la mère, votre mère… Un être cher et de chair qui devient un personnage, une forme d’icône, de symbole aussi parfois. A quel moment se dit-on que sa propre mère devient un personnage ? Reste-t-elle les deux aujourd’hui ? Jusqu’à quel point pour vous un tournage change les rapports que vous entretenez avec eux ?

Il y a une croyance que le cinéma peut transformer la réalité. Et on me pose souvent la question de ce que ça a changé entre nous. Je crois qu’on ne change pas le monde avec le cinéma mais je sais en revanche que le film a provoqué des choses. Mon frère a par exemple pris la parole devant 120 personnes lors d’une projection à Lille. Ce film a aussi permis de délimiter des temps de discussion avec ma mère, quitte à ce que des paroles soient conservées pour nous seuls, sans que je les utilise pour un film. Quand elle reconnaît mon rôle pendant l’incarcération de mon père, on ne pensait pas filmer ce jour-là. Ce moment-là était la première reconnaissance de ma place dans la famille.

logo-blog-documentaire-petitLes Primeurs est un événement mensuel imaginé par Le Blog documentaire et Vidéodrome 2, avec le soutien d’ARTE Actions Culturelles.

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Portraits crachés, de Perin Caspar, 1h27 – 2016
Production : Nayra
Projection au cinéma Vidéodrome 2 dimanche 23 octobre à 20 heures 30.
Entrée à prix libre.

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