Bien sûr, il n’y a pas que le « Cuban Hat » de notable aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM), qui se sont tenues du 10 au 20 novembre 2016. Il y a aussi par exemple le Doc Circuit Montréal (DCM), un marché documentaire pour le moins singulier, sorte de laboratoire collaboratif tout entier tourné vers la promotion du documentaire de création, et qui a réuni cette année pas moins de 355 professionnels. Xavier de La Vega l’a exploré pour vous…

14670604_10153873763966837_6007266869516854294_nLa salle se remplit progressivement. A l’heure dite, ce dimanche 13 novembre, une bonne centaine de personnes se sont entassées pour assister à la présentation des prototypes réalisés pendant le Kino VR des RIDM. Pendant les trois jours précédents, quatre équipes ont travaillé d’arrache-pied pour redéfinir le documentaire en réalité virtuelle. Rien que ça. Parmi ces prototypes conçus pour l’Oculus Rift, on passait ainsi du récit de la création du monde selon la cosmogonie inuit à la remémoration des traces de vie d’un proche décédé. Pour le visiteur à peine débarqué de l’avion, comme c’était le cas de l’auteur de ces lignes, la fraîcheur des présentations, tout comme le plaisir manifeste des participants à montrer leurs prototypes, donnaient le ton de la semaine à venir. C’est que le DCM, le marché documentaire des RIDM multiplie les événements qui, comme ce Kino VR, donnent une tonalité expérimentale, collaborative, mais aussi particulièrement festive à ces rencontres.

Imaginez par exemple un réalisateur et son producteur qui viennent montrer, au cours d’une projection publique, un film en cours de montage. Un film, déjà, avec son rythme et ses personnages, mais parsemé d’écrans noirs, de variations de niveaux sonores, et surtout, à l’architecture encore branlante. C’est l’objet de la session « rough cut » qui a lieu chaque année aux RIDM. Pour l’édition 2016, c’est Mila Aung-Thwin et Bob Moore d’EyeSteelFilm, deux figures de la scène documentaire montréalaise, qui sont venus montrer le rough cut de Let be there light. Ce film consacré à l’aventure de la fusion nucléaire était soumis à un panel réunissant notamment un monteur, un expert scientifique, un diffuseur. Ensemble ils ont décortiqué l’état du film et c’est comme s’ils soulevaient le capot de la narration documentaire, des enjeux proprement dramaturgiques à ceux de la conformité aux attentes des diffuseurs. Passionnant.

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On peut citer dans le même registre l’invitation faite cette année aux partenaires de la production française Sens VR – l’auteur Charles Ayats, la productrice de Red Corner Marie Blondiaux, et Marianne Lévy-Leblond du pôle web d’ARTE – de livrer un post-morten particulièrement instructif de ce récit en réalité virtuelle. C’est également un esprit collaboratif qui imprègne la session de pitch festive « Cuban Hat », puisque le documentaire élu par la communauté des documentaristes gagne une aide en industrie (prêt de caméra, post-production, etc) qui peut se révéler décisive pour mener le projet à son terme. Chaque année, au moins un des cinq films pitché à Cuban Hat est mené à son terme. Qui dit mieux ?

« Le RIDM et le DCM ont été créés par des documentaristes, ce qui explique qu’ils aient voulu privilégier un événement où les réalisateurs peuvent se rencontrer et s’entraider », rappelle Mara Gourd-Mercado, la directrice générale des RIDM. « Les RIDM ne sont pas un festival de premier rang, comme peut l’être le Hot Docs de Toronto. Du coup, nous essayons d’apporter quelque chose de différent aux réalisateurs. Notre particularité, c’est notre engagement exclusif pour le documentaire de création, mais aussi d’être un lieu convivial où les réalisateurs peuvent parler facilement aux chargés de programmes. »

Pour la nouvelle génération des dirigeants des RIDM, comme Mara Gourd-Mercado qui a pris les rênes du festival l’année dernière, ou comme la programmatrice en chef du DCM depuis 2015 Samara Chadwick, il s’agit clairement de perpétuer une singularité. « Dans la majorité des festivals, les vraies discussions commencent lorsque les gens sortent pour aller au café. Nous essayons de faire en sorte que cet esprit se manifeste dans les sessions du festival lui-même. Nous ne voulons pas que que les RIDM soient un lieu de plus pour affirmer l’autorité de l’industrie, mais plutôt montrer au grand jour comment les choses se font, comment l’industrie parle d’elle-même », avance Samara Chadwick.

Le DCM n’en est pas moins un marché, avec ses sessions de pitch classiques, ses rencontres face-à-face, et ses 72 décideurs venus cette année acheter des films. « Nous avons construit une belle complémentarité avec Hot Docs. Certains réalisateurs lancent le périple de leur film aux RIDM, avant d’accéder aux sessions de pitch et aux rencontres professionnelles de Hot Docs. D’autres viennent au contraire trouver aux RIDM le bout de financement qui leur manque, l’accord de diffusion qui leur permettra de terminer leur film », observe Mara Gourd-Mercado. Un marché donc, mais que les organisateurs entendent bousculer, en faisant bouger les lignes des critères de diffusion. C’est l’orientation qui prévaut dans la sélection des 40 projets de films – des documentaires de création encore et toujours – défendus pendant le Talent Lab du festival – dont des projets présentés au pitch « Docunexion » du Sunny Side à La Rochelle. « A entendre les félicitations des diffuseurs au sujet de la qualité des projets sélectionnés, on sent que des portes s’ouvrent. De plus en plus de projets de films présentés au Talent Lab se concrétisent », affirme Samara Chadwick.

Un enjeu similaire inspirait les événements consacrés à la réalité virtuelle cette année. Si, avec ses créateurs joviaux et ses prototypes en images de synthèse, le Kino VR avait l’énergie communicative d’une gamejam, celle-ci avait été dopée par un enjeu esthético-politique. « La VR pose des questions essentielles pour la pratique documentaire. Nous voulions les aborder dans un optique spécifiquement politisée et en sortant des paramètres établis, explique Samara Chadwick. Une vision domine actuellement la production documentaire en réalité virtuelle : la VR en tant que « machine à empathie ». C’est l’idée que si vous mettez un masques sur les yeux des responsables de Davos, avec à l’intérieur un film sur un centre de réfugiés syriens, vous allez changer l’attitude des premiers envers les seconds. C’est là une vision moralisatrice et même un peu coloniale. Vouloir utiliser la VR pour prescrire des émotions, c’est un peu bizarre. Or il y a un risque que le financement des projets documentaires en VR épouse cette conception. »

Le ton avait été donné deux jours plus tôt, lors d’une table-ronde à l’intitulé fracassant, « L’(anti)manifeste VR » (la table-ronde sera bientôt en ligne via l’ONF), pendant laquelle la fameuse « machine à empathie » a été interrogée de toute part. « La seule consigne du Kino VR, c’était d’explorer d’autres horizons que celui-là, rappelle Samara Chadwick. A voir les projets, je crois que nous avons réussi. » Quant à l’auteur de ces lignes, il ne sait plus très bien si ce sont les deux dizaines de court-métrages visionnés en état de jet-lag avancé [Xavier de la Vega était cette année membre du jury des court et moyen-métrages, NDLR], les dizaines de rencontres et les discussions à bâton rompu, ou encore les éclats hivernaux des soleils de Montréal, mais il est revenu du Québec tout revigoré.

 

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