[Mise à jour le 28 octobre]
Le DVD du film vient de sortir chez Docks 66. Parmi les suppléments que vous y trouverez : le making of, des séquences inédites, des entretiens avec les réalisateurs, Irène Théry ou encore Christiane Taubira. Nous vous en offrons plusieurs exemplaires, par tirage au sort en envoyant vos coordonnées à : leblogdocumentaire@gmail.com.

[Le 6 avril 2016]
De septembre 2012 à mai 2013, la France entière s’est écharpée sur le projet de loi du mariage pour tous. Les réalisateurs Mathias Théry et Etienne Chaillou ont choisi de suivre mois après mois la sociologue Irène Théry. Très investie dans les débats, elle raconte à son fils les enjeux de la polémique et plus largement les transformations de la famille. Grâce à des scénettes rejouées par des peluches, « La sociologue et l’ourson » nous plonge dans un récit captivant, à la fois intime et universel. Un documentaire inventif et réjouissant, en salles ce 6 avril en partenariat avec Le Blog documentaire. L’entretien avec les deux auteurs a été réalisé par Marie Baget.

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Le Blog documentaire : Quelle est la genèse du projet ?

Etienne Chaillou : C’est Irène Théry qui nous a mis la puce à l’oreille. L’ouverture du mariage aux couples homosexuels était dans le programme de François Hollande et elle savait ce que le projet allait arriver sur le tapis. Dès juin 2012, elle a beaucoup discuté avec Mathias [son fils, NDLR] de ses sujets d’études, et du terrain sur lequel elle travaille depuis 30 ans.

Mathias Théry : Elle nous parlait beaucoup de la famille, des familles homoparentales en particulier, et elle nous disait que ces familles révèlent les transformations qu’il y a eu dans la famille en général ces cinquante dernières années. Des mutations qu’on n’a pas su voir et pourtant qui sont bel et bien réelles…Ces familles, souvent jugées, sont le meilleur reflet de ce que nous sommes aujourd’hui !

Et de ces discussions est née l’idée qu’il y avait peut-être matière à un film ?

E. C. – Exactement. Mais nous ne savions pas au début qu’Irène serait le personnage central. Elle nous a fait rencontrer des gens avec qui elle travaille, des associations LGBT, des familles homoparentales, mais nous n’avons pas réussi à sentir le film à ce moment-là. C’est plutôt en écoutant Irène, en entendant sa passion, qu’on a senti le film.

M. T. – Et en se demandant aussi où était notre légitimité. Pour entamer un film, il faut un vrai déclencheur, et pas uniquement un sujet. Ça peut être le besoin irrépressible de pousser un cri comme une belle rencontre… Et pour ce projet, nous tenions quelque chose d’unique : cette relation particulière avec la sociologue. Nous avions notre point de départ.

E. C. – Nos films sont souvent la suite de pistes entamées dans des projets précédents. Par exemple, nous avions déjà réalisé une série de films courts à base d’enregistrements téléphoniques. On avait appréhendé ce ton si particulier de la voix d’une personne qu’on ne voit pas et qui peut être allongée sur son lit ou en train de se balader tout en nous parlant…

rc3a9alisateurs1Après ces mois de discussions avec Irène en 2012, à quel moment avez-vous eu le déclic et compris que c’était elle votre personnage et votre fil-rouge, que c’était votre « valeur ajoutée » ?

M. T. – Très tôt, nous avions envie qu’elle soit dans le film. D’ailleurs, nous l’avons filmée lors de quelques entretiens pendant l’été, mais elle ne voulait pas apparaître. On essayait donc de nous convaincre d’écouter ces conseils quand elle nous recommandait d’aller rencontrer les familles, les chercheurs, etc. Nous avons joué le jeu un temps, et puis au bout d’un moment on s’est dit qu’il fallait écouter notre idée première, et assumer notre envie de faire un film avec Irène. Ensuite, il a fallu lui dire, mais par palier. D’abord nous lui avons dit qu’elle serait dans le film, mais avec les autres. Puis que nous allions rester avec elle seulement. Elle n’était pas d’accord au début, puis elle a accepté. Le temps passait, et au fur et à mesure elle acceptait.

E. C. – À un moment donné, nous nous sommes rendu compte que c’était toujours avec elle que nous pensions les séquences.

Il faut beaucoup de pugnacité. Car finalement elle vous a un peu dérouté…

M. T. – Il faut dire que c’est un fort caractère et qu’elle avait son idée en tête sur ce que pourrait être le film.

E. C. – Son travail s’inscrit beaucoup dans le collectif, donc elle ne voulait surtout pas apparaître toute seule, au premier plan. Et puis elle faisait attention à ne jamais parler de sa vie privée dans son travail. Mais finalement, ce sont des principes qu’elle a accepté d’infléchir.

M. T. – Le monde de la recherche est aussi un univers particulier, avec de nombreuses rivalités, où certains travaillent sur les mêmes sujets. Irène faisait donc attention à ne pas se mettre trop en avant. Elle ne voulait pas que ses collègues pensent qu’elle cherchait à les doubler…

Lorsque vous vous êtes décidé à suivre Irène comme personnage principal, comment s’est dessiné le dispositif des enregistrements téléphoniques et des peluches ?

E. C. – Dans notre projet précédent [J’ai rêvé du Président, NDLR], nous avions décidé d’enregistrer au téléphone des personnes qui avaient rêvé du président de la République. Le ton nous a beaucoup plu. Pour le cas d’Irène, nous avons assez vite décidé de collecter du matériel, et notamment les conversations téléphoniques avec Mathias. Ces discussions avaient exactement le ton que l’on recherchait. Il est plus familier, il n’a rien à voir avec celui qu’elle a lorsqu’elle s’exprime dans un cadre plus formel, ou officiel, dans des réunions et des colloques. Lorsqu’elle nous parlait à nous personnellement, elle nous racontait des histoires qui nous transportaient dans d’autres époques. Or, nous n’avions pas envie d’illustrer ses récits de manière classique, avec des archives ou des photographies par exemple, et cette petite idée des marionnettes a grandi de jour en jour…

Alors concrètement, pourquoi des peluches ? Et comment les avez-vous choisies ?

E. C. – Nous n’avons pas tout de suite pensé aux peluches, mais d’abord à l’idée de marionnettes très bricolées. Nous avons fait plusieurs tests, avec de simples chaussettes par exemple, et petit à petit l’idée des peluches et des jouets s’est imposée. Cela nous semblait cohérent avec le dispositif d’un fils qui interroge sa mère. Comme si le fils allait s’enfermer dans sa chambre pour rejouer les histoires que lui a raconté sa mère.

M. T. – Nous avions aussi ce souci de raconter des histoires de vies, que le spectateur soit emporté par ces histoires sans être ébloui par l’esthétique mise en place. Ni trop sophistiquée, ni trop minimaliste… Il fallait trouver le bon équilibre pour que cela fonctionne.

E. C. – Notre slogan était : « Obtenir le maximum d’effets avec le minimum de moyens ».

Et l’économie de moyen était aussi une réalité ?

M. T. – En effet, il n’y avait pas d’argent pendant longtemps. On en a trouvé bien après avoir filmé tous les débats.

Les tournages avec les hommes ont donc duré 9 mois, entre septembre 2012 et mai 2013, et c’est plus tard qu’a débuté la phase avec les marionnettes et les peluches ?

E. C. – Dès la période du tournage dit « documentaire », nous avons commencé des petits tests de marionnette, pour explorer l’idée. Nous avons eu assez tôt l’envie de la marionnette de l’ours qui raconte à son fils, et nous nous sommes dit que la seule personne qui pouvait se permettre de représenter ainsi Irène Théry, c’était son fils. Mais nous ne lui en avons pas parlé, évidemment.

M. T. – D’ailleurs, le jour où on a prononcé le mot « marionnette », elle a dit : « Mon dieu, mon dieu ! Les gens vont dire que je suis manipulée ! ».

E. C. – Après les débats, en juillet 2103, nous sommes partis trois jours à la campagne pour travailler avec un marionnettiste. À ce moment-là, nous pensions que nous pourrions tout faire avec lui. Nous avons tout filmé dans des décors réels. Mais nous sommes sortis épuisés de cette session et nous nous sommes rendu compte du temps incroyable que ça allait prendre !

M. T. – Certains plans sont tout de même restés de cette période, comme la scène de l’arrière-grand mère et de la grand-mère.

E. C. – Après l’été 2013, nous avons dû faire une pause, travailler sur d’autres projets pour gagner notre vie et chercher des financements. Finalement, il s’est écoulé une année avant que l’on reprenne vraiment la phase des peluches. À partir de ce moment, nous avons travaillé dans notre atelier avec jusqu’à cinq ou six personnes pour nous épauler. Nous avions finalement résolu cette histoire de fond réaliste avec une grande télé dans laquelle on mettait une photo et devant laquelle les marionnettes jouaient.

M. T. – Il faut une personne pour une marionnette. Même pour une marionnette qui ne fait rien, c’est nécessaire pour créer la vie. Alors que pendant toute la première période de tournages réels avec les humains, nous n’étions que deux.

irene-et-fils-au-telephonePourquoi avez-vous choisi de représenter les journalistes avec des peluches d’oiseaux ?

M. T. – Au départ, nous voulions récupérer les débats radio et télé et en faire des discussions sur la place du village. Comme si la France était un village et qu’il y avait un projet de loi à la mairie dont les gens débattraient au marché ou en se rencontrant à la boulangerie. Des débats d’experts transformés en débats entre citoyens. Nous avons même tourné des séquences dans ce sens, mais ça ne marchait pas très bien. L’idée était un peu farfelue et nous avons préféré calquer davantage sur la réalité. Les journalistes sont des journalistes, les politiques sont des politiques, et nous allons juste les remplacer par des animaux.

Pour les journalistes, nous voulions plutôt les présenter comme des relayeurs d’informations. Ce sont ceux qui vont écouter aux fenêtres des bâtiments, ou voir ce qui se passe à l’autre bout de la France, et viennent nous le rapporter. Donc les oiseaux, ça collait bien !

Y a-t-il un petit clin d’œil à Twitter ?

M. T. – Nous n’avions pas vraiment pensé à Twitter ! Mais certains journalistes nous disent qu’ils l’ont vu comme une critique, que leur rôle est plus noble que de simplement piailler comme des oiseaux ! Mais ce n’était pas notre intention !

Il y a un effet comique indéniable avec ces peluches. Etait-ce recherché ?

M. T. – Nous avions plus en tête que ce serait peut-être étrange, davantage que comique. Nous savions que ce dispositif allait produire plusieurs effets et nous avions pris le parti de jouer avec ces effets. Nous cherchions à donner à voir autrement un débat de société. Les séquences de marionnettes ont différentes vocations : certaines permettent des prises de distance avec la société contemporaine ; d’autres servent à donner corps à l’histoire, à plonger dans des époques ; d’autres à montrer ma mère dans des situations qu’elle ne nous laisserait pas filmer…

E. C. – Cela permet aussi d’aller vite dans les explications. Si Irène commence à raconter quelque chose et que nous avions cherché une représentation réelle, cela aurait pris beaucoup plus de temps, car le réel est plus riche. La marionnette permet de se concentrer sur un seul élément.

M. T. – Ces séquences permettent aussi de compléter, d’aller plus loin encore que ce qui est raconté par Irène. Par exemple lorsqu’elle dit : « Ma mère était une intellectuelle », nous la montrons en train de faire brûler sa casserole et de lire Le deuxième sexe. Ce qui est montré ne paraphrase pas mais permet d’imaginer encore mieux toute la vie de cette femme, sa personnalité frustrée par son époque…

A tel point que parfois nous avons écrit des scénarii qui n’étaient pas stricto sensu les histoires qu’Irène racontait. Par exemple, quand elle raconte l’évolution des couples homosexuels, elle parle d’un statut en général. Alors que nous, nous choisissons de raconter l’histoire d’un couple. Ce couple s’assume, manifeste, puis se retrouve à la maison… On voit leur vie à deux, on sent leur envie de fonder une famille, puis la solitude après la perte de l’être aimé… Irène raconte la grande histoire et nous figurons une histoire individuelle. Mais on aurait pu faire complètement autre chose sur le même récit !

irene-a-tableOn sent plusieurs fois cette fameuse réticence d’Irène vis-à-vis du film. Pourquoi avez-vous choisi de garder au montage ces moments où s’expriment ces réticences, et donc où l’on vous voit, vous, en train de faire le film ?

M. T. – Oui, il y a eu des freins de la part de mes deux parents. Mon père disait d’ailleurs : « Tu ne devrais pas faire un film sur ta mère ». On a gardé aussi le moment dans la voiture où elle veut qu’on aille filmer à l’avant-première du film Naître père.

E. C. – Nous avons gardé ces moments pour plusieurs raisons : la première, pour disculper Irène qui ne veut pas être le personnage principal. Pour montrer qu’elle ne souhaite pas se mettre en avant. Que c’est notre volonté à nous. Et l’autre raison, c’est pour délivrer une sorte de message, celui de « casser la belle histoire ». Dans les séquences de marionnettes, nous faisons le choix de montrer les ficelles. Eh bien pour le réel, nous décidons aussi d’être transparent, de montrer les coulisses. Parce qu’un tournage avec des vraies personnes, ce n’est pas tout rose !

M. T. – Et montrer les coulisses, c’est aussi assumer le point de vue. Nous nous sommes dit que ça faisait sens de montrer un dialogue mère-fils quand on parle de la famille. Rien que ce dialogue nous dit pleins de choses sur ce que c’est de vivre en famille.

E. C. – C’est un film sur deux générations, celle de la mère et celle du fils, qui n’utilisent pas le même matériel pour communiquer. La mère c’est la parole, les plateaux médiatiques, les livres, et elle transmet son savoir à son fils qui s’en empare avec son propre langage : le cinéma. Les générations se comprennent, se racontent des choses mais parfois il y a aussi des incompréhensions, des frottements. Mais tout est une question de dosage car on peut vite s’éparpiller à ce jeu là ! Sur 14 heures d’enregistrements téléphoniques, nous avions des tonnes de moments intéressants entre Irène et Mathias, des perles ! Mais il fallait tenir notre sujet : raconter l’année du mariage pour tous, éclaircir le débat avec des questions simples.

Car ça aurait pu tourner au film de famille…

M. T. – Oui, alors que cela reste un moyen et non le sujet ! Ces moments-là sont savoureux, ils donnent un ton au film mais notre volonté première était de suivre ce débat national, de de montrer la démocratie en route… Derrière le « Je suis pour/Je suis contre », il y avait des questions légitimes à éclaircir. Et ce qui nous tenait à cœur, c’était aussi de montrer la thématique du changement et du mouvement. Par exemple, nous voulions avoir des discussions plus que des interviews d’Irène qui énonceraient ses vérités. Ces échanges permettent de montrer une intellectuelle en mouvement, qui évolue, qui peut changer. Tout comme le pays lui-même est en mouvement. Irène insiste d’ailleurs beaucoup sur le fait qu’il faut vivre avec son époque sans forcément juger nos ancêtres qui vivaient, eux, dans une autre époque, avec d’autres valeurs. Il s’agissait donc d’évoluer avec son temps sans être effrayé par ce mouvement.

mariage-homoCombien de temps a duré le montage ?

E. C. – Il a duré longtemps, environ un an par intermittence. Mais nous ne travaillons pas de manière « classique ». Nous pensons le montage comme du modelage. Pendant le tournage, il nous arrivait de faire des tests de montage, nous commencions à construire des embryons de films.

Nous voulions capturer la réalité en plans-séquence, que la caméra ne s’arrête pas et restitue ainsi des fragments du présent. À l’inverse, les moments de marionnettes sont très construits, totalement storybordé. Nous nous sommes servis de références de style néo-réaliste ou de cinéma noir pour nous aider dans l’écriture de ces scènes.

M. T. – Le montage était long car nous étions aussi empêtrés dans le débat, dans tous les propos qui ont jailli pendant cette période ! Les démonstrations complexes, avec des sujets et des sous-sujets à articuler… Ces débats continuaient entre nous dans notre atelier, il a fallu faire le tri.

E. C. – Au départ, nous ne voulions pas spécialement être pédagogiques mais en voyant le bordel, nous avons réalisé la nécessité d’expliquer. Et pour suivre le fil, il fallait expliciter clairement au spectateur pas mal de notions (PMA, GPA, dons de sperme, etc.), et les amener dans le film de manière fluide.

Et vous avez travaillé avec un monteur ?

E. C. – Non, nous montons nous-mêmes. La relation monteur-réalisateur est intéressante pour le recul, mais en l’occurrence nous sommes déjà deux. Un monteur se serait un peu énervé avec nous ! On a tendance à commencer quelque chose, puis à le laisser et à commencer autre chose.

M. T. – La difficulté du montage était aussi l’alternance marionnettes/humains. Nous avions d’abord envisagé de faire la première partie du film entièrement avec des marionnettes, puis de passer aux personnages réels – manière de se prendre le réel en pleine figure…

E. C. – Par exemple, nous avons bûché longtemps sur une question simple : est-ce qu’Irène doit d’abord apparaître en chair et en os ou en peluche ? Ce n’est pas du tout le même effet ! Il fallait trancher cette question qui nous emmenait dans deux directions différentes.

M. T. – Nous avons mis du temps aussi à trouver l’idée simple du chapitrage avec les mois qui défilent, ce qui nous a permis de penser la « couleur », l’ambiance, et le thème de chaque mois.

manif-devant-assemblee1À quel moment vous êtes-vous engagés avec Quark ?

M. T. – Dès le début. Nous travaillons avec eux depuis longtemps. Ils avaient eu un intérêt d’ARTE assez tôt, nous avons attendu pendant six mois de signer avec la chaîne mais finalement elle n’était plus intéressée. Mais c’est notre interlocutrice à ARTE qui nous a poussés à faire des tests car elle n’était pas convaincue sur le papier de l’idée des marionnettes. Nous avons donc dû réaliser des tests et un trailer en urgence. C’est plus compliqué de tourner un film quand on est embêté par les histoires de financements, et aussi poussé par des gens qui n’y croient pas complètement et qui veulent des preuves.

E. C. – À l’époque, ARTE encourageait beaucoup les projets « transmédia » (mixant un documentaire et des objets web, voire interactifs). Nos producteurs ont essayé d’adapter notre dossier à cette case parce qu’il y avait une opportunité à un moment donné. Mais quand notre proposition est passée sur la table, c’était moins à la mode. Plusieurs projets ont été retoqués en même temps que le nôtre. C’est vraiment une question de case et de budget.

M. T. – Quand ARTE a finalement refusé notre projet, nous avons décidé de continuer malgré tout. Nous avons vu nos producteurs pour leur dire notre désir de poursuivre, et que l’on visait le cinéma tant qu’il n’y avait pas de nouveaux diffuseurs. Ils ont choisi de rester dans le bateau et de nous suivre. Secrètement, ils devaient espérer le vendre à ARTE plus tard…

Pouvez-vous expliquer votre relation de travail ? En quoi êtes-vous complémentaires ? Ça a l’air de bien fonctionner entre vous ?

M. T. – Nous nous sommes rencontrés aux Arts Décoratifs de Paris. En sortant de l’école, nous avons fait un projet ensemble, puis le suivant, puis un autre, et finalement pendant une dizaine d’années ! Nous avons réalisé des films de tous les formats, un peu de webdocumentaire aussi.

E. C. – À chaque fois, nous partons du réel et nous cherchons à l’interroger, quitte à le triturer.

M. T. – Parfois, il nous faut trouver d’autres moyens que la caméra et le micro pour donner à voir le réel. Des interventions graphiques ou plastiques, de l’animation, des écritures différentes.

E. C. – Pourquoi ça marche bien ? Nous avons donc cette formation commune qui nous a donné un vocabulaire et des goûts communs. Mais nous sommes très différents.

M. T. – Étienne a suivi une spécialité en animation, il est plus dans la maîtrise très précise de l’image. Et avec le temps, on acquiert un langage de couple, même si on n’est pas un couple !

E. C. – Sur ce film, il est évident que nous avons un statut différent. Mathias étant le fils d’Irène, il allait souvent filmer tout seul. Moi, j’étais moins accroché aux rushes car je n’avais pas tout tourné.

M. T. – J’étais aussi plus harcelé par Irène qui me nourrissait de ses idées, me gavait de plein de choses !

E. C. – Et moi j’étais plus distant. Par exemple, je me suis tenu à la vouvoyer pendant toute la durée du tournage.

M. T. – Quand il y avait des difficultés humaines (fatigue, pression des parents, risque de froisser certains, etc.), Étienne me permettait de garder la tête froide, de ne pas me laisser trop prendre par mes sentiments… Dans les moments de crises, c’était précieux !

hollandeComment Irène a-t-elle réagi au film ?

E. C. – Bien ! Elle a été surprise au premier visionnage, parce qu’elle ne s’y attendait pas, mais je n’ai pas vu de réactions négatives. Ah si ! Une gêne que nous n’avions pas vu : lorsque la mère porteuse représentée en peluche apparaît, elle ne parle pas. Elle a eu peur qu’on interprète mal ce choix de notre part, qui est uniquement stylistique dans cet extrait du film.

M. T. – Pendant les débats, elle était très anxieuse du rôle que le film pouvait jouer. C’était dans une période très délicate où une bourde pouvait créer une crise. Aujourd’hui, ce combat est gagné, et finalement elle est heureuse que nous nous soyons emparé des sujets qui sont les siens, de la PMA, d’une certaine approche de la famille, etc. Elle se reconnaît bien dans l’idée de dézoomer pour regarder notre histoire, et ensuite de rezoomer sur des cas particuliers. C’est bien sa démarche que nous nous sommes appropriée. Elle dit aussi que nous avons réussi à faire des choses qu’elle n’arrive pas à faire juste avec la parole.

Et comment a réagi François Hollande qui a vu le film en salles à la clôture du festival des Etoiles de la SCAM ?

E. C. – Sa venue a été une surprise pour nous. C’était une séance électrisée par sa présence. Au moment de son apparition au début du film, les gens ont éclaté de rire, ça a donné une séance très particulière. Il nous a confié ensuite qu’il regrettait que le débat ait trop traîné, à cause des violences, et qu’il aurait fallu faire cette loi plus vite.

M. T. – Il a aimé le film, il a aimé l’humour. J’imagine qu’il se rend compte que c’est une loi qui va laisser une trace positive de son quinquennat. On a plus parlé des lois historiques comme la loi Veil que de choix d’écriture documentaire ! Mais finalement il est peu présent dans le film. Il ouvre et il clôt. C’était une volonté de notre part, pour montrer qu’il était peu présent dans le débat. Il est resté stoïque, un peu muet, à sa place de Président.

Vous avez des projets ?

E. C. – Pour l’instant on se concentre sur la sortie du film en salles. Difficile de faire autre chose. Ceci dit, avec les marionnettes nous avons effleuré le travail de fiction. En storyboardant, nous avonsa dû inventer des situations, donc pourquoi pas la fiction ?!… Après, il faut les bonnes idées…

M. T. – C’est la phase de réflexion tous azimuts, avant de décider ce qui va vous occuper les prochains mois ou les prochaines années !

5 Comments

  1. Je viens d’aller voir ce film car je vois qu’il est recommandé par l’excellent blog documentaire. « La sociologue et l’ourson » est un petit bijou: drôle, pédagogique, émouvant. Bravo !

  2. Bravo, un résumé drolissime et émouvant de cette période sombre de l’histoire de France, où on a vu des intégristes, des facsistes vouloir interdire un droit élémentaire à d’autres français. Vive les familles homoparentales!

  3. Le film sera-t-il disponible en VOD ?

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