La tenue du Sunny Side en début d’été à La Rochelle est une bonne occasion pour prendre le pouls des marchés des documentaires, sous toutes leurs formes. L’événement draine plusieurs milliers de professionnels chaque année ; parmi lesquels, bien sûr, des diffuseurs. Nous avons notamment rencontré Caroline Behar, directrice de l’unité documentaires de France 5 et de l’unité Acquisitions et Coproductions internationales de France Télévisions. Propos recueillis par Dorothée Lachaud ce 17 juin 2016.
Le Blog documentaire : Quelles sont les grandes tendances en matière de documentaires pour France 5 ?
Caroline Behar : France 5 à une approche variée du documentaire, car le documentaire occupe la moitié de la grille. La moitié des films diffusés sont des productions françaises (soit plus de 320 heures pour l’année 2015) ; les autres sont des acquisitions (environ 500 heures en 2015). En matière d’acquisitions, on effectue un gros travail se sélection dans des catalogues étrangers, mais aussi français. Il s’agit surtout de films « découverte », « sciences », « animaliers », « histoire », ou encore axé sur les technologies. Ces acquisitions peuvent aussi être pour nous l’occasion de collaborer avec des chaînes étrangères avec lesquelles nous partageons les mêmes valeurs. C’est le cas par exemple de la chaîne américaine PBS ,qui nous avait proposé le film The risis of ISIS, sur Daech. PBS l’avait coproduit pour sa case « Frontline », qui est éditorialement très proche de notre case « Le monde en face ». Au fil des années, France 5 a ainsi réussi à tisser un réseau de partenaires et de télévisions publiques étrangères fortes comme avec la NHK ou la BBC, pour ne citer qu’eux.
Cela donne aussi de la visibilité à France 5 dans le cadre des coproduction internationales ?
Tout à fait. Nous venons de créer une case « sciences » dont les premiers programmes, diffusés à partir de septembre prochain, seront des productions françaises mais aussi des coproductions internationales. Ces programmes ambitieux nécessitent 1 à 2 ans de développement, et portent essentiellement autour de la science et des civilisations.
Vous souhaitez renforcer le documentaire en soirée à la rentrée… Pourquoi cette orientation ?
L’idée, pour une chaîne comme France 5, c’est de grandir et de se déployer. Nous sommes forts en journée, mais nous devons nous renforcer en soirée. Ce renforcement passe par des soirées entières, des moments plus longs passés devant un programme. C’est un véritable pari qui a été impulsé par Nathalie Darrigrand (Directrice exécutive) et Patrice Grellet (Directeur délégué à l’antenne et aux programmes), arrivés à France 5 en début d’année.
Ainsi, nous souhaitons installer le téléspectateur dans une soirée, en proposant des formats de 90 minutes pour la science et de 70 minutes pour « Le monde en face », avec des débats pour prolonger les films. Ce qui est unique sur France 5, c’est de mettre le documentaire à l’honneur avec trois primes documentaires par semaine : le mardi, le mercredi et le dimanche.
Dans quelle mesure ce renforcement des soirées est un pari ?
Le format de 90 minutes est très exigeant, peu d’histoires parviennent à le soutenir. Il s’agit donc de films ambitieux, difficiles à financer et compliqués à produire. En cela, c’est un pari.
Mais nous nous donnons les moyens pour relever ce défi, en misant notamment sur une politique poussée de développement des projets, quand ceux-ci le nécessitent. Notre premier objectif, c’est de travailler en amont avec les producteurs et les auteurs sur les histoires, leur force, leur qualité. Par exemple, quand il s’agit d’expéditions scientifiques, il faut s’assurer de la qualité des expéditions et des intervenants, travailler en profondeur les propositions de réalisation, les arches narratives, mais aussi trouver des financements internationaux et français pour mieux financer ces films.
Ce renforcement des documentaires en soirée passe donc essentiellement par des programmes de science et de civilisation ?
Nous constatons en ce moment une montée en puissance des films scientifiques, et une forte appétence du public pour les documentaires de sciences et de civilisation. Chez France 5, nous avons eu envie de remettre la science au cœur de notre grille et de la placer en prime. Les producteurs français ont été très réactifs. Je tiens d’ailleurs à souligner le travail important des producteurs à l’international. Dans ce domaine de la science, nous comptons des producteurs français de grande qualité.
Alors la science dessinerait-elle la nouvelle identité du documentaire sur France 5 ?
En fait, il y a la science, mais aussi l’histoire des civilisations : les missions archéologiques, les expéditions scientifiques, comme le projet sur l’avion solaire « Solar impulse » porté par Gédéon Programmes, ou celui sur l’exploration de l’île reculée de « Madre de dios » en Patagonie. Cette case est aussi consacrée à l’exploration du corps humain, aux grands défis technologiques, ou encore à l’exploration des univers lointains (comme la conquête de mars). Nous avons travaillé sur cette case car, dans nos discussions avec la profession, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un vrai désir et une vraie compétence pour ces sujets. Nous avons donc décidé de mettre ce genre déjà bien présent sur France 5 encore plus à l’honneur.
Quels sont les films initiés pour cette case du mercredi soir ?
Agat films propose par exemple un film sur la piste de Gengis Khan, avec notamment l’exploration de son tombeau, mais sans caméras intrusives car nous n’avions pas les autorisations nécessaires. Cet essor des documentaires scientifiques s’explique aussi par le fait que les nouvelles technologies nous permettent de rendre plus accessibles un tas de données, de faire des découvertes que nous n’aurions pas pu faire avant, et de les mettre à la portée du grand public. Ainsi, Bonne Pioche propose Khéops, voir à travers les pyramides, qui donnera à voir pour la première fois au grand public les chambres secrètes de cette pyramide, grâce à l’utilisation de caméras thermiques. Le film suit la mission scientifique « Scan pyramids », initiée par les Japonais. Et comme cette mission est très suivie, le film a pu bénéficier d’un financement très international.
Est-ce que le Sunny Side reste un rendez-vous important pour le financement de projets d’une telle ampleur ?
Oui. Au Sunny Side, nous allons participer à la journée UER (Union Européenne de Radio-Télévision) où seront présents tous les commissioning editors européens dont nous pouvons solliciter le soutien. Financer ces projets à l’international reste le travail du producteur, mais dès que nous en avons l’occasion, nous accompagnons ces projets dans tous les grands rendez-vous et marchés internationaux, comme ici au Sunny Side.
A quoi ressemblera la rentrée de France 5 en matière de documentaires de société ?
Là aussi, nous voulons renforcer notre soirée du mardi. Nous proposerons ainsi un format de 70 minutes avec un débat plus long à la clé. Nous sommes sur des films engagés, indispensables, et nous avons envie de creuser le regard, le point de vue, de laisser du temps et d’oser des angles d’attaque ambitieux, avec du débat. Par exemple, sur la justice des mineurs, dans le passé nous aurions travaillé sur un film qui aborde la problématique au sens large, mais dorénavant nous nous concentrons sur le témoignage avec des personnages forts. Nous avons ainsi choisi d’être en immersion au tribunal de Lille pour entendre la parole des témoins pendant 70 minutes. À travers cette parole, c’est un visage de la France d’aujourd’hui qui s’exprime, celle des mineurs déscolarisés, mais aussi celle des professionnels qui doivent les juger et les protéger.
Est-ce là la marque du retour du documentaire d’immersion ?
L’immersion peut être une des formes possibles, mais nous voulons rester larges… « Le monde en face » porte bien son nom : il s’agit de se situer au cœur des problématiques de société, de porter un regard singulier sur la société française, mais aussi à l’international sur la géopolitique et l’investigation. Nous voulons aussi mettre l’accent sur « demain autrement », et proposer des films qui racontent un autre futur, notamment marqué par l’appropriation du champ politique par les citoyens. Ainsi, nous travaillons avec Cinétévé et le réalisateur Philippe Borel sur Demain, la fin du travail en interrogeant l’ »ubérisation » de la société, le développement des algorithmes et leur impact sur le monde du travail. Aussi, dans ces films de 70 minutes, nous proposerons un film de parole très fort sur le mal logement sous toutes ses formes ; un autre sur le business des camps de réfugiés (produit par Phares et balises). Nous raconterons aussi « la vie après l’alcool » en montrant la reconstruction des alcooliques ; la violence faite aux femmes pour marquer la journée du 22 novembre. Avec Antoine Leiris, nous interrogerons l’après attentats avec un film intitulé Vous n’aurez pas ma haine, du même titre que sa lettre qui avait été amplement relayée par les réseaux sociaux. En matière de géopolitique, nous préparons un film sur l’Arabie Saoudite et le rôle de ce pays dans la géopolitique actuelle. Nous avons enfin la soirée « Doc du dimanche », au cours de laquelle nous interrogeons les grands enjeux sanitaires et environnementaux.
Cette ambition éditoriale s’accompagne-t-elle d’une augmentation des budgets ?
Les budgets n’ont pas bougé, mais notre politique de développement est une façon pour nous de marquer notre accompagnement des auteurs et des producteurs. Des efforts budgétaires sont également porté au cas par cas, et l’apport de France 5 peut augmenter en fonction des formats. Ainsi, pour chaque documentaire, une étude des besoins est faite, mais le budget global n’a pas bougé.
Cette politique de développement est-elle l’occasion de découvrir de nouveaux auteurs, et de faire une place aux documentaires de création ?
Nous travaillons sur des premiers films. Mais cela me gêne de parler de « documentaires de création », car cela induit que tous les autres n’en seraient pas… La politique de France 5 a toujours été d’affirmer le documentaire de création au cœur de nos lignes éditoriales, plutôt que de créer une case spécifique pour ces films.
Plus loin…
-> Voir la page du « guide de la création » dédiée aux documentaires de France 5
-> Biographie de Caroline Béhar (Ina Expert)
Caroline Béhar est diplômée de l’ESC La Rochelle et d’un Master en marketing de l’Université de Toronto. Elle débute sa carrière dans le conseil en événement culturel. En 1995, elle rejoint France 5 à sa création au sein de la direction du Développement International et des Partenariats pour y développer un réseau international de chaînes d’éducation et de découverte. En 1997, elle est nommée adjointe de l’unité Achats et Coproductions Internationales. Elle y développe une politique d’achats de programmes science, histoire, découverte, société et culture ainsi que de nombreux projets de coproductions internationales. Elle participe à une stratégie de partenariats avec des producteurs et diffuseurs étrangers, ainsi qu’à la mise en place de la veille internationale et le développement de projets Global Média. En 2010, elle est nommée Responsable de l’Unité pour France 5, tout en continuant à diriger l’unité Acquisitions et Coproductions internationales pour l’ensemble des chaînes de France Télévisions.
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