Point de présentation en grande pompe pour la chaîne franco-allemande cette année à La Rochelle, mais une discrète conférence de presse matinale. Manière pour Vincent Meslet, directeur éditorial d’ARTE, de faire le point sur les événements qui marqueront la grille dans les mois à venir. Le Blog documentaire s’est également penché sur l’abondant catalogue dévoilé à l’occasion de ce Sunny Side 2015…

photoD’abord, c’est inévitable, les chiffres. Le documentaire sur ARTE représente 53% des programmes de la chaîne (ce qui, quantitativement, est à peu près équivalent à l’offre de France 5), 88 millions d’euros investis – dont près de 43 millions pour ARTE France, et 87 heures de programmes diffusés chaque semaine.

Vincent Meslet se réjouit également d’une audience moyenne équivalant à 2,2% de part d’audience (contre 2% il y a un an) et d’une image d’ARTE « consolidée ». Le directeur éditorial de la chaîne rappelle son ambition : des documentaires qui suscitent les débats, provoquent des émotions et valorisent la création ; des films réalisés dans une relation « d’exigence et de bienveillance » avec les auteurs et les producteurs.

A noter parmi les films qui ont « fait parler » ces derniers mois  – soient les meilleurs audiences de la saison passée : Daech, naissance d’un Etat terroriste avec 1.448.000 téléspectateurs (395.000 sur ARTE+7) ou Classe moyenne, des vies sur le fil (724.000). Sur le web, Le bonheur au travail a cumulé plus de 300.000 vues en « télévision de rattrapage » et près de 70.000 pour la webcréation associée. Dans ce domaine, c’est bien sûr Do Not Track qui remporte la palme avec plus de 750.000 visites depuis le lancement de la série produite par Upian.

Faire la différence

C’est LA question – l’obsession ? – qui revient plusieurs fois dans les propos de Vincent Meslet. Comment se démarquer de la concurrence ? Comment maintenir également la « longueur d’avance » acquise par ARTE dans les productions interactives ou les nouvelles manières de raconter les documentaires ? Les réponses se trouvent immanquablement quelque part au milieu des 138 pages du nouveau catalogue de la chaîne, aussi bien dans les thématiques abordées (la géopolitique, par exemple) que dans les programmes proposés.

Premier exemple cité par le directeur éditorial – et premiers films mentionnés dans ladite publication : Les aventuriers de l’art moderne, série animée de Dan Franck réalisée par Amélie Harrault avec Pauline Gaillard et Valérie Loiseleux (Silex films, 6 x 52 min.). La proposition « mixed medias » allie textes littéraires (la trilogie de Dan Franck), animation et images d’archives pour dresser le tableau de « la vie intime des artistes et des intellectuels depuis le jaillissement de l’art moderne au début du siècle dernier jusqu’aux ultimes fracas de la Seconde guerre mondiale ». « Une forme nouvelle, peut-être déconcertante au premier abord » concède Vincent Meslet, mais assurément adossée à un storytelling efficace.

Les aventuriers de l'art moderne - © Silex Films
Les aventuriers de l’art moderne – © Silex Films

Le recours à l’animation pour explorer le monde de l’art sera également au centre de Petits secrets des grands tableaux (Elisabeth Courturier et Thomas Cheysson, Les Poissons volants, 10 x 26 min.), série dans laquelle les animateurs «abolissent les limites du cadre et pénètrent au cœur de la toile pour explorer son époque, ses secrets et ses mystères ».

Autre programmation événementielle mise en avant par la direction d’ARTE : la série Jésus et l’Islam (Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Archipel 33, 7 x 52 min.). Une « œuvre intellectuelle » qui réunit les 26 plus grands spécialistes de religion, dans laquelle les auteurs de Corpus Christi analysent en profondeur toutes les questions posées par la sourate IV du Coran, « tant dans ses dimensions théologiques que littéraires et historiques ».

Un autre grand nom du documentaire historique, William Karel, posera quant à lui cette question : Que reste-t-il de François Mitterrand ? dans un documentaire que l’on imagine diffusé à l’occasion du vingtième anniversaire de la disparition de l’ancien président français, le 20 janvier 2016.

Parmi les autres curiosités distillées dans le catalogue, citons Regis Debray et Yannick Kergoat qui signent L’envers du Siècle (KG Productions, 2 x 52 min.), Florence Platarets qui pose la question Pourquoi le cinéma aime-t-il s’emparer du fait divers ? (Agat Films, 52 min;), des portraits de Bernadette Lafont (par Esther Hoffenberg) et de Michel Piccolu (par Yves Jeuland), Les disparus de Syrie (Sophie Nivelle-Cardinale et Etienne Huver, 52 min.), Jeux vidéo – Les nouveaux maîtres de la culture mondiale (Jérôme Fritel et Olivier Heckmann, 90 min.), Les batailles de l’adoption (Anne Georget, 90 min.), Ni Dieu ni maître (Tancrède Ramonet, 2 x 52 min.), Les oubliés de l’Histoire (Jacques Malaterre, 20 X 26 min.) ou encore Colombie, le silence des armes (Natalia Orozco, 52 min.).

Un « festival » de documentaires à la télévision

C’est le format imaginé par la chaîne franco-allemande pour valoriser la crème de la création documentaire sur son antenne. L’événement reconduit en novembre 2015 est destiné à « faire ressortir les spécificités et la diversité » de son offre. Une douzaine de films seront alors diffusés le temps d’une semaine. De « grands documentaires d’auteur-e-s conçus pour la télévision ou sortis en salles », parmi lesquels Austerlitz (de Stan Neumann), Hitchcock/Truffaut (Kent Jones et Serge Toubiana), Killing Time – Entre deux fronts (Lydie Wisshaupt-Claudel), mais aussi La maison de la radio (Nicolas Philibert) ou Comment j’ai détesté les maths (Olivier Peyon).

Quoi qu’on en dise par ailleurs, le documentaire de création conserve une place particulière sur ARTE et, même si on pourrait en souhaiter davantage et à des horaires moins tardifs, on ne peut que louer les multiples propositions annoncées pour les prochains mois. Ainsi, dans la case de La Lucarne (le lundi à minuit), on retrouvera les nouveaux films de Stéphane Breton (Chère humaine), Pierre-Yves Wandeweerd (Le Dernier homme), Lech Kowalski (I will pay for your story), Wang Bing (Jeunesse de Shanghaï : argent amer) ou encore Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel (Somniloques).

Les grands formats destinés à la case du mercredi soir regroupent également des signatures qui font promesse de singularités : Zhao Liang (Behemote – sur les routes de Chine), Marc Wiese (Le journal de Francesca), Joshua Oppenheimer (The look of silence), Rithy Panh (L’Exil), Raoul Peck (Les enfants de Baldwin) ou encore Virginie Linhart (Vincennes).

Deux coproductions internationales de ce type feront d’ailleurs l’objet d’un « accompagnement web » sur ARTE Creative : De l’obscurité (Agat Films pour la production française) et Les 18 fugitives (Bellota films côté français).

La première, d’abord baptisée plus poétiquement Notes on Blindness et réalisée par Peter Middleton et James Spinney, propose « une immersion sensorielle et intellectuelle au cœur de l’expérience d’un homme [l’écrivain et professeur de théologie John Hull] confronté à la cécité ». L’expérience (sonore) interactive est, comme le film, basée sur les journaux intimes et enregistrés de cet homme devenu aveugle en 1981 pour nous accompagner « dans la découverte d’un monde au-delà de la vision ».

La seconde, réalisée par Amer Shomali pour le documentaire linéaire et par Akufen pour la dimension interactive, remonte en 1987 pour nous raconter, en animation et avec humour, le sort de 18 vaches palestiniennes qui rentrent en résistance face à l’armée israélienne pendant la première Intifada. L’application et le site dédié agissent comme un prequel sous forme de bande dessinée interactive sur la vie des personnages du film avant leur arrivée en Palestine. Le tout devrait être visible au mois de novembre prochain.

Les 18 fugitives - © Red Corner
Les 18 fugitives – © Red Corner

Revendiquer son identité

Cultiver sa différence, c’est aussi pour ARTE revendiquer son identité binationale. C’est la raison pour laquelle la chaîne franco-allemande proposera prochainement plusieurs programmes enracinés de part et d’autre du Rhin. Paris-Berlin : destins croisés (Frédéric Wilner, 4 x 52 min.) auscultera la manière dont ces deux capitales se sont construites dans une relation complexe faite de fascination, de complicité et d’hostilité au cours de l’Histoire. Animation et images de synthèse seront de la partie.

Dans une optique assez similaire, Un jour en France, un jour en Allemagne (Roland Théron, Vassili Silovic et Elise Darblay, 2 x 90 min.) prendra de la hauteur pour analyser « les grandes forces qui façonnent les paysages et les hommes » des deux pays. France et Allemagne seront filmés par des drones et des hélicoptères le temps d’une journée recomposée. La proposition sera accompagnée d’un quiz interactif en second écran et d’un replay enrichi de data-visualisations réalisées par Karen Bastien et Florent Maurin.

COP 21 : passage obligé

Là où ARTE risque d’avoir un peu plus de mal à se singulariser, c’est dans la programmation qu’elle proposera – comme tous les autres médias – à l’occasion du sommet environnemental mondial qui se tiendra à Paris en décembre prochain. Cette COP 21 risque fort de devenir le théâtre d’un vaste embouteillage de programmes environnementaux au risque, sur un temps relativement court, de brouiller les messages et d’étouffer les débats sous une avalanche de discours documentaires divers et variés.

Qu’à cela ne tienne, ARTE mise sur six documentaires, notamment : Inondations, une menace planétaire (Nicolas Koutsikas et Marie Mandy), Les horlogers du climat (Pierre Oscar Lévy) ou encore Terres nucléaires (Kenichi Watanabe). Moins classique et plus enthousiasmant, Opération climat se présente comme un vaste documentaire participatif sous la houlette de Gaël Leiblang, avec Matthieu Lietaert et Blandine Grosjean. Une initiative au terme de laquelle un film sera composé à partir des contributions des citoyens européens, invités à envoyer des images vidéo – et des histoires ? – de lieux auxquels ils sont attachés. Le tout est pensé pour alimenter les débats de la COP 21, notamment « sur l’avenir climatique, l’envie et l’urgence à agir ».

Mais c’est peut-être du côté d’ARTE Future qu’écloront les propositions les plus subtiles pour « remuer les consciences ». Immersia, par exemple, proposera une « plongée en vidéo sous-marine interactive à 360° » pour « un voyage sensoriel durant lequel le narrateur raconte l’intimité de son expérience ». Ce projet sur la nécessaire préservation des fonds marins est piloté par Bruno Masi. Citons également le prometteur Les îles du futur (Antoine Schmoll) qui viendra proposer, sur le web en accompagnement d’une série éponyme à l’antenne, un « jeu de stratégie » visant à sensibiliser aux enjeux de la transition énergétique en proposant à l’utilisateur de gérer et conduire une île virtuelle vers l’autonomie.

Nouvelles peaux pour l’offre numérique

Le pôle web, même s’il est évoqué en dernière instance, fourmille donc de propositions en lien avec l’antenne, mais pas que… Vincent Meslet et Gilles Freissinier se font d’abord l’écho des nouvelles formules pensées pour les différentes déclinaisons de la chaîne sur Internet.

Ainsi, ARTE Future va faire peau neuve, dans une version Bêta en août (guettez la Nuit des étoiles pour apercevoir ce nouvel « astre web ») avant une proposition plus aboutie à l’automne. Annet Sager, directrice adjointe de l’unité Connaissance, nous explique que l’interface sera repensée et mieux éditorialisée, en intégrant notamment un fil de dépêches sur les thèmes qui fondent la ligne éditoriale du site (sciences, nature, environnement, technologie, etc.). C’est également sur cette plateforme que se déploiera l’aventure interactive Planète corps (Mathieu Détaint et Florent Maurin) qui vous permettra de voyager dans un univers coloré et géométrique en 3D à l’intérieur du corps humain. Rendez-vous fin juin sur Internet et le 18 juillet prochain sur l’antenne.

Les sujets économiques ou de société seront généralement renvoyés sur ARTE Info, qui proposera notamment Product, une série de 10 x 3 min. réalisée par Simon Bouisson et Ludovic Zuili sur l’origine et les circuits empruntés par les produits qui alimentent nos repas quotidiens.

ARTE Creative, de son côté, revêtira également de nouveaux habits, plus larges et plus « colorés ». Développement des programmes courts en fiction et en magazine, renforcement de l’offre documentaire, il s’agit pour Vincent Meslet « d’enrichir, d’élargir et de renforcer » cette offre. Pop culture et préoccupations contemporaines alimenteront « une profusion de propositions, avec un ton incisif et créatif ». Parmi les multiples modules courts attendus sur la plateforme :

  • Hell Train (Gasface, 7 x 6 min.) nous emmène à la rencontre de « ceux qui font la mythologie de la violence » à New York ;
  • Vie rapide by Les Kids (Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah, 2 min. 30 quotidiennes), les deux journalistes du Bondy Blog et de France Inter « livrent des instantanés de leurs vies et de leurs rencontres avec des personnages, connus ou pas » ;
  • L’odyssée du lisse (Olivier Dubois, Emmanuelle Julien et Adrien Pavillard, 10 x 5 min.) décrypte « avec fantaisie et impertinence les passions suscitées par les poils » ;
  • Urbex et Street art à la reconquête de nos villes (Mathias Bones, 8 x 4 min.) propose, de Berlin à New York, « des voies d’évasions avec les explorateurs urbains, street artists et hackers » ;
  • Kestuf’ (François Dufour et Jeff Le Bars, 1à x 2 min.), désopilante série basée sur de « vraies interviews » illustrées par « une animation humoristique à la ligne claire » – Kestuf’ comme par exemple : « Qu’est-ce que tu… fais quand tu reçois un cadeau pourri » ;
  • Mr Brainwash à NYC (Rudi Taieb et Mouloud Achour, 8 x 5 min.) suit Thierry Guetta, associé à Banksi dans le vrai-faux documentaire Faites le mur !, dans ses œuvres, ses projets et ses rencontres à New York ;
  • Safari Typo (Thomas Sipp, 6 x 8 min.) décrypte sur « un mode ludique » les polices de caractères qui « nous font signe, orientent, mettent en garde et incitent à consommer ».

affiche_PKD_OkioARTE Creative est aussi le réceptacle du nouveau « jeu d’exploration » coproduit avec Darjeeling et Nova Productions autour de l’univers de l’écrivain Philip K. Dick. Californium (« une résonance latine, ça fait sérieux », blague Gilles Freissinier) nous plonge dans la Californie des années 70 où « un écrivain parano remarque d’étranges anomalies dans son quotidien » ; autant de « glissements de réalité » qui le ramène aux mondes futuristes qu’il a imaginés dans ses romans. Le jeu accompagne la diffusion à l’antenne du documentaire Les mondes de Philip K. Dick (Yann Coquart et Ariel Kirou) ; un « voyage dans la vie chaotique et paranoïaque de l’écrivain américain, plébiscité par les amateurs de science-fiction et de littérature ».

Confidence du directeur du pôle web d’ARTE : le dispositif devait se compléter d’une fiction en réalité virtuelle (titre de travail : Philip and I), développée sur les casques Oculus par le studio Okio. Quinze minutes de récit pour une expérience basée sur une histoire vraie qui nous place dans « la peau » d’un robot androïde. A découvrir en janvier 2016.

Ce que le catalogue ne dit pas

D’autres projets encore sont en développement pour venir combler l’appétit pantagruélique d’ARTE Creative. Citons par exemple Osmosis (Louis Chiche, 10 x 8 min.), un thriller d’anticipation sur le réseau de rencontres du futur, Tu vivras moins bête, adaptation du travail de Marion Montaigne ou encore Poulp, un projet développé avec La Blogothèque autour de la communication par SMS.

Un « jeu sérieux » est également dans les tuyaux pour accompagner la série d’anticipation écologique Occupied, tandis que s’annonce la troisième saison de BiTS à partir du 21 août prochain. S’agissant de Do Not Track, Gilles Freissinier reste évasif quant à l’éventualité d’une nouvelle saison, mais la question reste posée – notamment au regard du succès du programme…

Un autre succès semble donner des ailes à ARTE : après Type:Rider et outre Californium déjà mentionné, la chaîne franco-allemande poursuit ses efforts dans le domaine du jeu vidéo. Ainsi apprend-on que Ex Nihilo et Cosmografik travaillent sur une proposition autour du street-art pour l’instant baptisée The Vandals. Un autre projet, Superpolifilo, est actuellement développé par Nicolas Buffe à partir d’un roman méconnu du XVème siècle, Hypnerotomachia Poliphili (Songe de Poliphilo). Ces jeux devraient être proposés selon les mêmes modalités que Type:Rider avec une version réduite mais gratuite sur le web, et une version payante pour disposer de l’intégralité de l’offre.

Gilles Freissinier indique enfin qu’ARTE Radio bénéficiera dans les prochains jours d’un nouveau site, répondant davantage aux usages « mobiles » et mieux axé sur la recommandation.

Pour le reste, rendez-vous fin août pour la « conférence de rentrée » de la chaîne…

Cédric Mal

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